Monique Verbeeck : “On est syndicaliste pour la vie”

Monique Verbeeck : “On est syndicaliste pour la vie”

Les femmes, actrices principales des luttes sociales d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Le magazine Syndicats leur rend hommage dans cette rubrique. Tous les mois nous présentons une militante de la FGTB : son histoire, ses luttes, ses craintes, ses aspirations. Aujourd’hui, c’est au tour de Monique Verbeeck.

Monique Verbeeck est aujourd’hui pensionnée. Depuis très peu de temps. Lors de notre rencontre, à la fin du mois de février, elle préparait son discours de départ, prévu le premier mars. Car Monique quitte l’UBT pour profiter d’un repos bien mérité. Elle a joué un rôle essentiel au sein de la centrale, pour des travailleurs et travailleuses très spécifiques : depuis 2014, elle était Secrétaire pour les travailleurs du port d’Anvers, les dockers. Et la première femme à assumer ce rôle.

L’UBT, un choix facile

Monique est grande, souriante, accueillante. Son bureau, à Anvers, est rempli de souvenirs, d’affiches, de documents qui retracent sa longue carrière au sein de l’UBT. En plusieurs endroits, l’on croise l’image ou la statuette du « buildrager », le docker si représentatif de l’activité de la centrale au sein du port. Ce docker que Monique connaît si bien.

Monique faisait ses premiers pas à l’UBT presque à la sortie de l’école. Elle le dit : elle n’a pas fait ce que l’on appelle “de hautes études”. “Chez moi, on finissait l’école, on s’inscrivait au syndicat et on devenait membre du parti. À l’époque c’était le PSB, le parti socialiste belge unitaire. Je suis membre du syndicat depuis 1974. Après l’école, j’ai travaillé un an comme employée administrative pour un magazine, mais ça n’a pas marché. J’ai démissionné parce qu’il y avait… d’énormes araignées dans la cave de mon lieu de travail ! Pendant plusieurs semaines, j’ai continué à prétendre que j’allais travailler, je partais avec mes tartines… Bien sûr, j’ai été sanctionnée par l’ONEm !

Monique cherche alors autre chose. Au milieu des années 70, déjà, on parle de « crise ». Monique ne croule pas sous les offres d’emploi. “J’ai reçu trois offres. L’une dans une compagnie portuaire, l’autre dans le secteur du diamant, et la troisième à l’UBT. C’était un choix facile. Nous étions socialistes. Chaque année, on allait au Premier mai. Et ma mère me disait que choisir l’UBT, c’était choisir la sécurité.” Monique entrera à l’UBT le 2 mai 1975.

D’abord téléphoniste, dans une centrale « à l’ancienne », elle reste intimidée par la structure. “J’étais très polie, et les gens se sont même un peu moqués de moi. Je disais toujours “Monsieur, Madame”. Je trouvais difficile d’appeler les supérieurs, comme mon Président, par leur prénom.

Une pression différente

En 1984, Monique entre au Secrétariat des Travailleurs des Ports. “Aider ce public, c’était très varié… Entre les pensions, les problèmes administratifs, les feuilles d’impôt… Tout cela devait être fait manuellement.” À l’époque, la charge de travail est importante, mais la pression est différente de celle qui pèse aujourd’hui sur les travailleurs. “Il fallait faire les choses correctement, mais il n’existait pas cette injonction à l’immédiateté. Chose que l’on vit aujourd’hui avec les réseaux sociaux, les e-mails. Nous, on travaillait avec des photocopies pour partager les informations qui nous venaient de Bruxelles. D’ailleurs, quand on a commencé à travailler par e-mail, on a cru que ça allait nous coûter des jobs.”

Ce ne fut pas le cas. “Bien au contraire. Il y avait de plus en plus de travail. Je trouve que ma génération n’a pas démérité pour s’adapter à tous ces changements. J’ai commencé avec une machine à écrire, puis des gros ordinateurs… Ensuite il y a eu les emails, les réseaux sociaux. Il a fallu tout apprendre. Je dis « chapeau » à notre génération !

Premiers progrès pour les femmes

Monique Verbeeck voit sa carrière évoluer avec les années. En 2005, elle devient collaboratrice directe de Marc Loridan, alors secrétaire national et secrétaire pour le port d’Anvers. En 2014, elle deviendra elle-même secrétaire du port. “La première femme à ce poste“, précise-t-elle. Monique décrochera également des mandats à l’ETF et à l’ITF, pour représenter à l’international les femmes qui travaillent dans les ports. Une thématique importante dans sa carrière. “En 2000, il y avait trois femmes ouvrières dans les ports belges. Maintenant il y en a environ 600. Les métiers ont évolué, et attirent plus de femmes.

Car si les choses changent, le secteur reste néanmoins très masculin. Au sein du syndicat également. “Au début, j’étais la seule femme dans le service du port. Il y en a plus aujourd’hui. Oui, il y avait des remarques, des résistances, qui venaient notamment des travailleurs du port. J’ai d’ailleurs une anecdote. Un ouvrier que je connais très bien m’a dit : « le dock part en c… », parce que des femmes commençaient à être engagées. Mais quelques années plus tard, il est venu dans mon bureau. Il cherchait de l’aide pour sa fille qui voulait commencer comme travailleuse portuaire. Je lui ai dit “tiens, tu as changé d’avis?” Plus tard, durant une grève, j’ai pris une photo de ce travailleur au port, avec son fils et sa fille. Ils y participaient tous les trois.

Respect et équité

Monique se bat pour défendre les droits des femmes travailleuses portuaires. « J’ai participé à beaucoup de campagnes à ce sujet. Sur le respect notamment. Respect entre hommes et femmes, et plus généralement respect pour toutes les minorités. J’ai toujours soutenu les campagnes contre la violence, les journées pour les droits des femmes, pour l’égalité… J’ai aussi travaillé sur des enquêtes anonymes auprès des travailleuses. Dans les réponses, on constatait qu’il y avait encore des problèmes sérieux sur les ports. Harcèlement, remarques inadaptées… Au niveau international aussi, la situation reste inéquitable pour les femmes. Il y a encore du travail. D’ailleurs pour moi, respect et équité sont des mots très importants. »

Des progrès, toutefois, sont perceptibles. “J’ai connu une époque où il n’y avait pas de sanitaires adaptés pour les femmes. Ni de vêtements de travail. J’ai connu l’arrivée du premier pantalon de travail pour femme, des premières chaussures de sécurité. Avant cela, elles recevaient juste des vêtements d’homme beaucoup trop grands… Mais au-delà des aspects pratiques, on voit des progrès en termes de respect, et c’est principalement grâce à la jeune génération.

Défendre, et agir

Monique Verbeeck a un message clair, qu’elle veut transmettre tant aux femmes qu’aux décideurs et acteurs de terrain. “Je dirais à une femme qui débute : reste toi-même, fais ton travail et ne te laisse pas intimider. Gagne le respect de tes collègues. Je n’ai jamais été une ouvrière des ports moi-même, mais mon expérience me permet de comprendre ce qui se passe dans le secteur. J’ai vu et appris beaucoup. Je défends et promeut le principe d’avoir plus de femmes dans les ports. Mais au-delà de défendre, il faut agir. Car signer des déclarations de principes, tout le monde peut le faire. Mais ensuite il faut les mettre en pratique. Tout le monde est toujours “pour plus d’emplois féminins”, mais si des années plus tard on interroge sur les progrès réalisés, partout dans le monde, on constate très peu de résultats. Or, c’est le résultat qui compte.

“Proche de la base”

Dans le cadre de cette série sur les femmes syndicalistes, nous posons toujours la même question : comment vous décririez-vous en quelques mots? Monique répond immédiatement « proche de la base ». Elle cite un autre Camarade, le regretté Marc Goblet, dont elle partage d’ailleurs la date de naissance. « Il disait « Je reste un syndicaliste, proche de la base ». Je pense que ça me ressemble. Tout le monde, n’importe qui, pouvait toujours faire appel à moi. Quand j’ai évolué dans ma fonction, j’ai eu un peu peur de perdre ce contact avec la base. Car je devais aller plus souvent en réunion, écrire énormément de rapports… Alors j’ai laissé ma porte ouverte, littéralement et symboliquement. J‘aime être proche des gens. J’ai vu beaucoup de collègues partir en pension, certains sont décédés, il y a eu aussi des travailleurs des ports que l’on a perdus suite à des accidents, des maladies. J’ai toujours eu beaucoup d’empathie pour tout cela. Je suis toujours en contact avec les familles, les proches.

Le premier travailleur que j’ai reçu, qui est décédé depuis longtemps, était autrichien. Il parlait le dialecte anversois, mais pas très bien. Il était tellement saoul qu’il a fini par terre dans mon bureau. C’était spécial, un premier contact! Mais ça m’a pas empêchée d’être visible et disponible pour les travailleurs. D’ailleurs, l’agencement des bureaux fait que j’ai toujours été une des premières que les travailleurs voyaient.

Monique Verbeeck

“Le faire à fond”

Toujours très impliquée, Monique est émue en évoquant sa carrière. “Mon parcours, c’est un long chemin, que j’ai parcouru avec des hauts et des bas. Partir en pension, ça ne va pas être facile. C’est très difficile de couper le cordon avec le syndicat. On reste homme ou femme syndicaliste pour la vie. Je reste liée au port et à ses travailleurs. Et avec mes collègues bien sûr.

La pension retire Monique du cœur du port, mais n’enlève pas le port du cœur de Monique. L’expression lui plaît. “Mes dernières réunions, ça va être dur. Avec le temps je me suis encore plus impliquée dans le travail. Quand on m’a offert une chance de progresser, je me suis dit que je devais penser à moi, et y aller. Je trouve que quand on nous propose quelque chose, il faut le faire à fond. Quand j’allais à des réunions internationales de l’ITF à Londres, j’écoutais du premier au dernier mot. Je n’y allais pas en touriste. Il faut comprendre les choses, sinon on n’est pas un digne représentant. L’UBT a toujours été un moteur dans les négociations, dans les évolutions, car on est le plus grand syndicat dans les ports. Je suis très fière de ça. Je pense que notre travail a remis le port sur la carte internationale.

Le premier mars, Monique fermait finalement la porte de son bureau, sans doute avec un pincement au cœur. Mais que l’on se rassure, elle reste à la disposition des travailleurs et travailleuses des ports, en Belgique et ailleurs. “Je vais encore venir un jour et demi par semaine pour soutenir mes collègues…” Parce que syndicaliste, on l’est pour la vie.

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB

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