Le congé pour aidants proches, un luxe que peu se permettent

Le congé pour aidants proches, un luxe que peu se permettent

En ce 23 juin, l’on célèbre – plutôt discrètement – les “aidants proches”, ou aidants informels. Il s’agit des personnes – souvent des femmes – qui prennent soin d’un parent, d’une personne âgée, d’un proche malade ou handicapé. Ce, en dehors de tout cadre professionnel. Les aidants-proches sont précieux, pour l’ensemble de la société. Nombreux seront celles et ceux qui se reconnaîtront – ou reconnaîtront des membres de leur entourage – dans cette description. Certains (beaucoup) de ces aidants proches cumulent l’activité de soins informels avec leur travail de tous les jours. Et ne peuvent se permettre de prendre le congé auquel ils ou elles ont droit, pour des raisons financières. La perte de revenus étant trop importante.

Quelques chiffres

Quelques chiffres, émanant de l’enquête de santé Sciensano, tout d’abord. Au sens large du terme, près de 900 000 personnes seraient aidants proches dans notre pays, à des degrés divers. “En Belgique, 12,2% de la population (de 15 ans et plus) prodigue au moins une fois par semaine de l’aide ou des soins. En Région wallonne, le pourcentage d’aidants informels (15,1%) est plus élevé qu’en Régions flamande (10,7%) et bruxelloise (10,6%). Le pourcentage d’aidants informels est plus élevé chez les femmes (14,2 %) que chez les hommes (10,1 %) et culmine dans la tranche d’âge des 55-64 ans (21,9 %).” Une tranche d’âge qui s’explique par la nécessité d’aider et de soutenir un parent vieillissant, par exemple. 13 % de l’ensemble de ces “aidants” consacrent 20 heures ou plus chaque semaine à apporter du soutien ou des soins à une ou plusieurs personnes.

Une reconnaissance méritée mais compliquée

Sur l’ensemble de tous les aidants proches en Belgique, un peu moins de 13 000 seulement sont inscrits, ou “reconnus” comme tels. Il s’agit des personnes qui ont fait des démarches auprès de leur mutuelle pour obtenir ce statut, très symbolique, et ouvrir leur droit à certaines aides, voire au très récent “congé thématique” qui les concerne. “Dans certains cas, se faire reconnaître comme aidant proche peut ouvrir des droits. Au niveau communal notamment. Mais la procédure est très stricte. L’ouverture du droit au congé l’est plus encore. Et l’indemnité de remplacement est tellement basse que les gens ne le font pas”, nous expliquait-on du coté du service d’étude de la FGTB.

S’arrêter pour soigner, c’est possible, mais…

En 2021 en effet, moins de 500 personnes ont opté pour le congé thématique pour les aidants proches. Un système qui prévoit que l’on peut s’arrêter de travailler, temporairement, à temps plein ou à temps partiel. Que nous dit l’ONEM à ce sujet? “Le congé pour aidants proches est un nouveau congé thématique (depuis 2020, NDLR) au même titre que le congé parental, le congé pour assistance médicale et le congé pour soins palliatifs. Grâce à ce congé, vous pouvez suspendre complètement vos prestations ou les réduire pour apporter de l’aide ou du soutien à une personne qui, en raison de son grand âge, de son état de santé ou de son handicap est vulnérable et en situation de dépendance.”

Prendre un congé: une trop grande perte financière

La demande se fait via la mutuelle. Une allocation d’interruption forfaitaire est prévue pendant ce congé thématique. Malheureusement, la perte de revenus est trop importante pour que la majorité des travailleurs et travailleuses puissent se le permettre. Dans le secteur privé, en 2022, l’allocation de base est de 828,45 EUR pour une interruption complète. (L’ensemble des montants est disponible et régulièrement mis à jour sur le site de l’ONEM). C’est inférieur au seuil de pauvreté. Par conséquent, le système est très peu sollicité.

Un impact sur la santé des aidants proches

L’enquête Sciensano indique par ailleurs que l’aide informelle peut avoir des conséquences négatives sur la santé de l’aidant: stress, dépression, mal-être, douleurs… En cause, plusieurs éléments: la tristesse de voir un proche malade, la peur de le perdre; la fatigue liée au temps passé et à l’énergie consacrée à prodiguer les soins; les efforts physiques éventuels (pour soulever la personne, effectuer des tâches ménagères…). Cet impact sur la santé dépend certes de la nature et de l’intensité de l’aide accordée. Mais est d’autant plus grand si la personne qui aide travaille encore, et rencontre des difficultés à combiner vie privée, vie professionnelle et activité de soins.

Ce 23 juin, c’est la “journée des soins informels”. L’occasion de mettre à l’honneur ces aidants et aidantes de l’ombre. Mais de rappeler, aussi, que leur rôle est essentiel et devrait être valorisé. La FGTB publiait en ce jour un communiqué rappelant que le droit de soigner dignement un proche malade ou vieillissant ne doit pas être un luxe réservé aux ménages à gros revenus. “Nous voulons une allocation qui  compense plus efficacement la perte de revenus et nous demandons une extension du congé à six mois d’interruption complète.”


Témoignage de Marie-Laure, qui soigne sa maman

Marie-Laure, presque 54 ans, est aidante proche. Comme beaucoup de gens de son âge, elle soigne sa mère octogénaire, malade, qui ne peut plus quitter son lit depuis plusieurs années. Marie et sa sœur ont tenu à ce que leur maman reste à domicile le plus longtemps possible. Elles travaillent toutes deux, et se partagent les tâches de soins. Plusieurs professionnels de la santé interviennent également chaque jour, mais ce n’est pas suffisant. “Je pense que je passe 5 heures par semaine en déplacement et visites de soin, en alternance avec ma sœur. Nous avons mis en place un réseau de soins à domicile: infirmières, aides-soignantes, kiné, repas de midi livrés… Nous nous occupons des repas du soir, des courses… A côté de cela, il y a la gestion de tous les intervenants, l’administratif, les passages à la pharmacie, les rendez-vous médicaux… C’est difficile de chiffrer le temps que l’on consacre vraiment à notre maman.”

Marie-Laure travaille encore à temps plein, avec parfois des déplacements à plus de cent kilomètres de chez elle. Le planning doit être précis, et le stress est réel. “Oui, cela a un impact sur la santé mentale. Je constate l’état de santé de ma mère au quotidien. Quand elle va moins bien, certains jours, je suis inquiète, stressée. Et le côté gestion, administration, est pesant. Heureusement que nous sommes deux.

Quant à l’opportunité d’une reconnaissance, d’un congé, elle semble difficile d’accès. “Je suppose que tout dépend de la situation personnelle de chacun. Aujourd’hui, je ne pourrais pas me le permettre. Et si la situation de ma maman s’aggravait ? Je ne sais pas… Mais je pense que ce serait difficile. Avec des indemnités aussi basses, c’est compliqué d’arrêter de travailler.”

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB

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