Karl Marx et les jeunes, ça donne quoi ?

Karl Marx et les jeunes, ça donne quoi ?

Un spectacle de rue itinérant, intitulé “Une autre histoire”, met en scène la vie de Karl Marx, pour aborder les réalités du monde ouvrier, du capitalisme et de ses dérives, notamment dans le secteur textile.

Les Amis de Karl Marx célèbrent la venue du grand philosophe allemand à Mouscron, en organisant un pèlerinage pour rendre hommage à la communauté ouvrière locale ayant tissé le fil de nos vêtements. Mais que reste-t-il aujourd’hui de tout cela ? Quels vêtements portons-nous ? Et comment nous (sup)portons-nous ? Quel monde voulons-nous demain ? Embarquez pour un pèlerinage théâtral et humoristique où le passé de l’industrie textile vient faire un clin d’œil au présent et nous invite à rêver d’un futur autre.

Plaquette de présentation d'”Une autre histoire”

C’est par ces mots que Vinciane Geerinckx et Thomas Prédour, comédiens et amis de longue date, présentent leur spectacle itinérant, “Une autre histoire”. Un spectacle qui mêle éléments historiques et fictifs, pour rendre hommage au monde ouvrier d’hier et d’aujourd’hui, chez nous et ailleurs dans le monde. Nous avons assisté à l’une des représentations, à Mouscron. Le public du jour : les élèves de l’institut des Frères Maristes. Le décor ? L’ancienne piscine communale, transformée pour un moment en un lieu de vie et de passage de Karl Marx. On détourne ici – un peu ou beaucoup – l’Histoire, pour amener des questionnements cruciaux sur les inégalités, l’exploitation ouvrière, les délocalisations, la consommation.


Raconter des histoires

Au départ, on s’interroge, on doute, même. Comment ces deux acteurs, costumés à l’ancienne, munis d’une belle énergie et de leurs meilleures intentions certes, pourront-ils intéresser ces adolescents de 2024 à la cause défendue par Marx ?

C’est simple: en racontant des histoires. Car le passage de ces « Amis de Karl Marx » est une belle opportunité de se plonger dans le passé local, celui de l’industrie textile. Si 80% du spectacle est fixé d’avance, le reste évolue en fonction des réalités locales. Ici, on parlera usines, travailleurs frontaliers, filatures.

Tisser des liens

Thomas Prédour se décrit comme un “artisan culturel”. Son objectif: lier la pratique artistique aux questions de société. Il nous raconte l’origine du spectacle, né pendant le confinement et concrétisé grâce à l’appel à projet “Un futur pour la Culture. “C’est une matière complexe… Comment vulgariser Karl Marx pour un jeune public? Je suis originaire de Leuze-en-Hainaut, et Vinciane y vit. On a donc fait le lien avec la mémoire textile et ouvrière de la région. Il fallait faire parler cette mémoire, notamment en rencontrant des gens qui ont travaillé dans les usines textiles… On a retranscrit le tout, en y mêlant Marx, l’industrie textile d’aujourd’hui, et en réécrivant l’Histoire autour des réalités locales.”

Réécrire, tout en restant cohérent et didactique. “On s’est documentés auprès des associations spécialisées dans les questions textiles. On cite des chiffres d’Oxfam, d’ACHact, qui ont validé ce contenu.”

Face aux adolescents présents à Mouscron, on explique, on parle, on échange. On évoque les conditions de vie du monde ouvrier au 19e siècle en Belgique, aujourd’hui ailleurs. On sort des marionnettes, qui mettent en scène l’ouvrier face au patron d’usine. Enfin, on décrit en jouant les recettes du grand capital pour toujours maximiser les profits, et réduire la part des salaires. Le spectacle se clôture par un défilé de mode improvisé, où chacun prend la mesure des conditions de travail désastreuses dans l’industrie textile mondiale, et aux conséquences de la fast fashion sur l’environnement et le tissu social.

Quelques chiffres:

  • 0,18 € : montant qui revient aux ouvrières asiatiques ayant travaillé à la confection d’un t-shirt vendu 29€ en Europe (soit 0,6% du total).
  • 19.000 Km : nombre de kilomètres parcourus en moyenne par un jeans, pour toutes les étapes de sa fabrication.
  • 12h : nombre d’heures prestées par jour (en moyenne et quand il n’y a pas de grosses commandes) par des ouvrières textiles en Inde, avec un seul jour de repos par semaine.

« Arrêtons de prendre les grands patrons pour des héros »

Et la sauce prend. Le franc tombe, les jeunes pigent. “Est-ce que ce sont les patrons qui fabriquent vos pantalons?”, demande Vinciane? “Il faut arrêter de prendre ces grands patrons pour des héros.” On cible ici les Bezos de ce monde, ceux qui organisent la consommation mondiale, la fast fashion et l’exploitation de travailleurs et travailleuses.

Enfin, les jeunes gens présents écrivent sur des fiches en forme de “papillons de l’espoir” leurs idéaux et rêves pour le monde de demain. Des idéaux qui vont généralement dans le sens d’une consommation plus responsable, de plus de respect pour le monde du travail. Qui prouvent, aussi, que tout n’est pas perdu.

Un spectacle et plus encore

“Une autre histoire” peut être interprété devant un public adolescent comme adulte, et la troupe est toujours en recherche de collaborations. Parallèlement au spectacle, des ateliers et activités peuvent compléter le propos. “On a une volonté d’aller au delà du spectacle, et d’amener des projets d’éducation permanente.”

Après Leuze, Mouscron, Ath, “Une autre histoire” cherche toujours d’autres terrains de jeu. En 2025, des dates sont prévues à Tournai, Bruxelles, Fourmies. Toute personne intéressée par le projet pour son école son association… peut contacter la troupe par mail.

La troupe d'”Une autre histoire”

Vinciane Geerinckx et Thomas Prédour ont été interpellés par le propos de Karl Marx, qui, au 19e siècle, a cherché à comprendre d’où venaient les inégalités entre les humains et comment il serait possible de les éviter afin de créer une société dans laquelle l’exploitation du peuple n’existerait plus. Il leur a semblé pertinent de lier la pensée de Marx et leurs questionnements sur la société d’aujourd’hui au passé et au présent d’une ville où l’industrie n’est plus, comme il y en a beaucoup en Europe. Face à la persistance des inégalités sociales, il leur paraît pertinent de continuer à réfléchir à ce qui se joue entre les classes sociales. Où en est la pensée marxiste alors que les industries locales ont été décimées par un capitalisme mondialisé ? Et quels sont les possibles futurs?

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB

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