Dumping social | Sous-traitants, pas sous-traités!

Dumping social | Sous-traitants, pas sous-traités!

C’est devenu une tradition. Le 28 mars, c’est la journée contre le dumping social, organisée par la FGTB. En plusieurs endroits du pays ont lieu des actions d’information et de sensibilisation. Le dumping social, c’est une réalité dénoncée depuis bon nombre d’années déjà, mais qui continue de passer « sous les radars », et d’être méconnue du grand public. Cette année, la journée d’actions se concentrait sur les travailleurs sous-traitants.

“En êtes-vous certain?”

Dès 7 heures du matin, l’UBT-FGTB était à pied d’œuvre. Installée à un carrefour très fréquenté menant au zoning de Willebroek, en province d’Anvers, l’équipe sur place a distribué tracts (et gaufres !), et dialogué avec les très nombreux chauffeurs de camions et camionnettes. Le tract interroge. « Est-ce que vous participez au dumping social ? Bien sûr que non, pensez-vous… En êtes-vous certain ? Savez-vous avec quelle firme de transport, quel sous-traitant votre entreprise travaille ? »

Des questions légitimes, ainsi que l’explique Tom Peeters, Secrétaire fédéral adjoint « Transport routier et logistique » à l’UBT. « Les soucis liés à la chaîne de sous-traitance concernent bien entendu les chauffeurs, mais il arrive que les travailleurs eux-mêmes ne soient pas au courant des pratiques mises en œuvre dans leur entreprise. Le transport routier est soumis à une très grosse pression sur les tarifs. Des appels d’offre sont lancés, et c’est toujours le « moins cher » qui l’emporte. Il serait pourtant bon de se demander pourquoi leurs prix sont si bas. »

Un système à base d’inégalités

La raison, c’est que ces tarifs sont basés sur des inégalités et du dumping. L’UBT a, a de nombreuses reprises, dénoncé l’exploitation de chauffeurs étrangers. Une exploitation qui passe, notamment, par un système d’entreprise boîte aux lettres dans les pays de l’est. Le principe ? Des entreprises belges s’installent, virtuellement, à l’étranger, de préférence dans des pays où les salaires sont très bas. Elles engagent, grâce à ces structures, des chauffeurs de camion à moindre coût. Ces chauffeurs travaillent en Belgique, en permanence ou presque, mais à un salaire réduit, sans protection sociale, et parfois dans des conditions de vie épouvantables.

La clé est entre les mains des donneurs d’ordre

Comment éviter cela ? Outre la nécessité de contrôles accrus et de peines plus sévères pour les auteurs du dumping, un travail à la source est nécessaire. Pour une plus grande responsabilisation de l’ensemble de la chaîne de sous-traitance.

« La clé se trouve entre les mains des entreprises donneuses d’ordre, lors du choix de l’entreprise de transport. Le prix ne peut être le seul critère. Il y a un grand travail à faire au niveau des exigences de qualité, lors de l’octroi d’un marché. Certaines administrations, par exemple, ont déjà ajouté des critères qualitatifs à leurs offres. Il faut militer, à tous niveaux, pour que ceci soit étendu. Les délégués et travailleurs ont ici un rôle à jouer. Ils doivent pouvoir dénoncer une situation qui se produit dans leur entreprise, en connaissance de cause. C’est dans l’intérêt des travailleurs et des employeurs. Nous sommes à leurs côtés dans cette lutte. Car un transporteur qui souhaite jouer le jeu et payer décemment ses chauffeurs est également la victime de ces pratiques. »

Selon Tom Peeters, choisir un transporteur correct pour un marché n’aurait que très peu d’influence sur les prix des produits, et donc sur les ménages. « Je crois que les consommateurs ont envie de savoir que leurs produits leur parviennent dans de bonnes conditions. Si chaque multinationale ajoutait quelques centimes au prix de vente de ses produits, cela suffirait à améliorer les conditions de vie des chauffeurs. Mais ça, elles ne le veulent pas… »

Des situations dramatiques

Du côté de la Centrale Générale, c’est le secteur de la construction qui était sur le terrain en cette journée contre le dumping social. Après une mobilisation devant le Palais de Justice de Charleroi, c’est vers le chantier du Grand Hôpital que la délégation s’est dirigée. Un lieu hautement symbolique dans ce contexte, puisque les cas – particulièrement graves – de dumping y sont légion.

Carlo Briscolini, secrétaire régional de la Centrale Générale de Charleroi, a détaillé ces faits, en revenant principalement sur deux dossiers. « On a découvert ici des situations dramatiques qui concernaient des travailleurs détachés. En 2020, cela concernait des travailleurs roumains. L’an dernier, des travailleurs ukrainiens. L’un d’eux est décédé dans un accident. »

Sous les radars

Comme l’indique Carlo Briscolini, 85% des travailleurs de ce chantier sont « détachés » par une entreprise étrangère. Le dossier des travailleurs roumains démontre tout le cynisme et la créativité – très mal placée – des entreprises qui pratiquent le dumping. « Ces travailleurs étaient envoyés par une très grosse société de Roumanie. Il ne s’agissait pas ici d’une entreprise boîte aux lettres! Mais bien d’une grosse structure qui détache des centaines de travailleurs sur des chantiers européens. C’est grâce au courage de plusieurs de ces Roumains que nous avons découvert le système de « rétrocession ». Plusieurs travailleurs sont venus à la FGTB pour dénoncer ce système. On s’est donc aperçu que même si, à première vue, leurs rémunérations correspondaient à des salaires corrects en Belgique, des rétrocessions étaient organisées ensuite. Donc en réalité, le travailleur reçoit son salaire sur un compte, puis doit renvoyer une partie de ce salaire vers l’entreprise en Roumanie. C’est ainsi que l’entreprise passe sous les radars des inspecteurs sociaux. »

Un système bien rodé

Le deuxième dossier évoqué, le plus récent, concerne des travailleurs ukrainiens. « On constate une nette augmentation du nombre de ces travailleurs depuis 2018. Faut-il le rappeler, nous n’avons rien contre la présence de ces travailleurs. Au contraire, nous essayons d’améliorer leur situation. Mais le système est bien rodé. En général, le travailleur ukrainien entre en Europe via la Pologne. Il obtient là un contrat à la limite de la légalité, avec une entreprise boîte aux lettres polonaise, qui travaille, elle, avec des Hollandais. Eux sont directement en contact avec les entrepreneurs principaux, ici. C’est grâce à des montages comme ça que ces derniers sont capables de dire ‘Je ne savais pas, je ne suis pas responsable’ quand un problème se pose. »

Accident mortel, aucune couverture

Plus qu’un problème, c’est un drame qui s’est produit sur le chantier. L’un des travailleurs est décédé, en 2021, dans un accident. « Un camarade ukrainien a perdu la vie. Nous avons tenté de soutenir sa famille. Nous nous sommes aperçus qu’il n’était pas salarié. La Pologne a en effet inventé un type de contrat ‘à la commande’, qui correspond à – chez nous – de faux indépendants. Dès lors, la famille du travailleur n’est pas couverte, c’est à dire qu’il n’y aura aucune indemnité pour l’épouse et les enfants. C’est tout cela qu’on vient dénoncer aujourd’hui. »

Le dumping social, c’est mauvais pour tous les travailleurs. Qu’ils soient d’ici ou de l’étranger. Lutter pour une responsabilité solidaire sur l’ensemble de la chaîne de sous-traitance, c’est permettre à toutes et tous de travailler dans de bonnes conditions et en toute sécurité.

« Si on n’y prend pas garde, dans 20 ans, on va avoir des entreprises dans la construction, sans aucun ouvrier, où on prend les marchés et où on externalise le risque, avec seulement des sous-traitants. »

Carlo Briscolini

Les actions en images

C’est quoi, le dumping ?

C’est l’ensemble des pratiques frauduleuses mises en place par certaines entreprises pour contourner le droit du travail et les règles de sécurité sociale applicables aux travailleurs. Citons le cas d’exploitation de travailleurs étrangers, d’entreprises boîte aux lettre, de concurrence déloyale.

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB

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