La Maison picarde, à Mouscron, a besoin d’être restaurée, particulièrement sa salle de bal, dite « des faïences ». Ce symbole du mouvement ouvrier et syndical, aujourd’hui en péril, est en quête de fonds pour lui rendre sa beauté d’antan.
Au début du siècle dernier, la Maison picarde, alors « Palais des Fêtes », faisait partie d’un complexe plus large, qui abritait coopératives, magasins, syndicats, mais aussi espaces culturels et de loisirs. Le mouvement ouvrier, alors, s’organisait. Nous avons rencontré les petits-fils des artisans qui ont posé les magnifiques faïences de la salle de bal, véritable joyau d’art ouvrier.

Aujourd’hui, un large appel au vote est lancé: la Maison picarde participe au « Challenge patrimoine » de l’IRPA, l’Institut Royal du Patrimoine artistique. Celui-ci permet à un projet d’intérêt patrimonial de remporter des fonds et de bénéficier de l’expertise de l’institut. Pour voter, c’est ici!
Un peu d’Histoire
Dans le paysages mouscronnois, les bâtiments liés à l’action commune socialiste sont faciles à trouver: ils sont tous dans la même rue, la rue du Val. La mutuelle est juste en face de la régionale FGTB, et la Maison du Peuple, qui a malheureusement fermé ses portes en 2023, est au coin de la même rue. Le « Parc des Loisirs », salle polyvalente également surnommée « Point rouge » s’y trouve également, tout comme les bureaux du PS.
Cette configuration, on la doit à l’organisation historique du mouvement ouvrier en Cité des Hurlus. Le tournant du 20e siècle fait du village une ville. L’industrie textile se développe, et la population double en quelques années. La coopérative « La Fraternelle » voit le jour en 1892, de la volonté d’une vingtaine de membres du POB (Parti ouvrier belge). Ils créent d’abord une boulangerie, puis la Maison du Peuple. Au fil du temps s’ajoutent des activités culturelles, musicales, sportives, mais aussi des services syndicaux – qui deviendront la FGTB en 1945 – le secours mutuel, ou des magasins. La Fraternelle s’agrandit, acquiert des terrains voisins. En 1920, la Jeune Garde socialiste propose l’idée de la création d’une salle de bal au sein du complexe. C’est ainsi que le palais des fêtes verra le jour.








Culture et émancipation ouvrière
Le projet est ambitieux, et l’objectif est clair : offrir aux ouvriers un espace de culture, de divertissement et de formation, renforçant ainsi la cohésion sociale et l’émancipation intellectuelle. On y voit un symbole du mouvement ouvrier et socialiste. On s’inspire d’ailleurs du Vooruit, à Gand, pour concevoir le bâtiment. Pour orner sa salle de bal, la coopérative La Fraternelle fait le choix des fresques en faïences. Les différentes tableaux glorifient le travail de la classe ouvrière, la solidarité, la nature, les saisons. L’une des œuvres est même une copie de l’une des peintures présentes dans l’illustre bâtiment gantois. Les faïences sont créées à Berchem Saint-Agathe, dans l’atelier Helman. Elles seront posées par les frères Vandecasteele, Henri, Carlos et Maximilien, carreleurs mouscronnois et membres de la coopérative des Ouvriers du Bâtiment réunis. La salle entière est couverte de ces faïences, du sol au plafond.
Une affaire de famille
Nous rencontrons Henri Vandecasteele, petit-fils de l’un de ces frères. Il porte le même prénom que son grand-père, et a fait le même métier. Henri est devenu carreleur lui-même, comme l’était son père Anselme, son oncle Gérard, puis son fils, David. Quatre générations de carreleurs mouscronnois, restés attachés à cet îlot socialiste de la rue du Val. « Je n’ai pas connu mon grand-père, il est mort jeune, d’un accident de travail. Il est tombé d’une façade où il posait des faïences. Mais j’ai bien connu mes grands-oncles. J’ai travaillé ensuite avec mon père, mon oncle, puis mon fils, et on a carrelé tous les bâtiments de la rue du Val: la Maison du Peuple, la mutuelle, la FGTB… Tout ça à des époques différentes. »
Du travail à la Maison picarde, Henri en a bien sûr entendu parler. « Quand j’étais petit, j’ai été dedans, j’ai vu les faïences, ça m’a fait quelque chose bien sûr. Puis je l’ai visitée quand on a inauguré les nouveaux locaux de la FGTB, car la réception se tenait dans cette salle. Dont il paraît qu’elle est « signée » Vandecasteele… Qu’il y a une faïence qui porte discrètement la signature des frères. Mais je ne l’ai jamais vue. »
Monument syndical
Pendant des décennies, la salle des faïences restera un haut-lieu de rassemblement pour les travailleurs mouscronnois, puisque attachée – au sens propre comme figuré – à la FGTB de Mouscron. Philippe, le jeune frère d’Henri – c’est une histoire de famille – a fait toute sa carrière au sein de la FGTB de Mouscron, comme plusieurs de ses cousins, dont Charles Vandecasteele – petit-fils de Carlos – et Patrice D’Hoop. La Maison picarde, il l’a fréquentée à maintes reprises. « On a par exemple tenu dans cette salle les réunions avec le personnel lors de la faillite de l’usine Motte… Mais aussi des comités régionaux élargis, des réceptions… »

Déclin et classement
Les années passent… La « Fraternelle » évolue, la Maison du Peuple historique sera remplacée par un bâtiment plus « moderne » dans les années 70. La FGTB se sépare de la Maison picarde, et celle-ci tombera dans le giron communal. « Elle a appartenu à la mutuelle, puis à la Ville », indique Charles Vandecasteele, ancien Président de la FGTB Wapi. « La Ville qui, de mémoire, voulait la démolir. » Dans les années 80 en effet, le futur du lieu est incertain. Les faïences manquent d’ailleurs de disparaître complètement au profit de murs blancs, ceux d’un futur commissariat de police. Le projet n’aboutira pas, suite aux démarches répétées de l’ancien résistant mouscronnois et syndicaliste Marcel Sonneville, qui est parvenu à faire classer les faïences en 1988. La salle des faïences, ensuite, trouvera une nouvelle vie, et continuera d’accueillir des expositions, des remises de prix, des événements culturels, et même une troupe de théâtre en résidence. Le rez-de-chaussée abritera la Maison de la Laïcité pendant plusieurs années.
Mais le temps et le manque d’entretien font leur oeuvre. Si la Maison picarde figure bien dans la liste des monuments remarquables à Mouscron, elle n’est pas pour autant visitable à l’heure actuelle. Et pour cause. Sa fameuse « salle des faïences » a besoin d’une restauration complète. Qui coûte de l’argent, et demande des compétences très spécifiques. Des infiltrations ont causé des dégâts aux faïences, dont certaines ont dû être enlevées de manière préventive. La toiture a été refaite, ce qui a stoppé ces infiltrations, mais le mal est fait et l’ensemble de l’ouvrage doit aujourd’hui être sauvé.
Appel au vote
Récemment, nous recevions un message du Centre culturel de Mouscron, qui a à cœur de voir l’édifice briller à nouveau. Il nous demandait de soutenir la recherche de fonds en faveur de la salle de bal. Aujourd’hui, un large appel au vote est lancé: la Maison picarde participe au « Challenge patrimoine » de l’IRPA, l’Institut Royal du Patrimoine artistique. Celui-ci permet à un projet d’intérêt patrimonial de remporter des fonds et de bénéficier de l’expertise de l’institut. Pour voter, c’est ici, et c’est jusqu’à mi-février. La salle est en deuxième place aujourd’hui, et peut espérer bénéficier d’une aide significative.
La Maison Picarde de Mouscron est le témoin vivant d’une époque, de l’histoire sociale, ouvrière et culturelle. L’on ne peut que lui souhaiter le meilleur, et espérer que la volonté politique soit aujourd’hui suffisante pour lui rendre sa beauté, mais aussi pour remettre au centre les valeurs qu’elle défend: la solidarité, la culture pour toutes et tous.
Il faut la préservé absolument cela fait partie de notre histoire