Manifestants, pas criminels : Une première victoire militante et collective

Manifestants, pas criminels : Une première victoire militante et collective

Les partis progressistes au gouvernement reculent. Rouges et verts annoncent finalement qu’ils ne voteront pas le texte tant décrié de ladite « loi Van Quickenborne ». C’est une victoire militante, collective. Celle de la mobilisation sans faille, celle de la volonté commune qui a tant marché dans Bruxelles pour porter ce message : nous sommes manifestants, pas criminels.

Libertés syndicales. Droit de grève, droit de manifester. Action collective. Autant d’outils indispensables au mouvement syndical, au monde militant. Car de tout temps, aucune victoire sociale n’a été remportée sans lutte. Et pour lutter, il faut en avoir les moyens.

Les attaques au droit à l’action collective ont été nombreuses ces dernières années. Nombreuses et violentes. Entre les condamnations de syndicalistes et de délégués, les huissiers sur les piquets, les astreintes et amendes, les décisions de justice défavorables aux grévistes, le droit des travailleurs et travailleuses à se défendre est mis à mal.

Pour contrer cette tendance lourde, une plateforme inédite, composée des syndicats et d’une grande part du monde militant et associatif, a été créée sous l’impulsion de la FGTB. Une plateforme qui s’est véritablement organisée suite à la dernière provocation en date  : le projet de loi «  Van Quickenborne  », qui prévoyait entre autres une interdiction de manifester de plusieurs années. Le texte, contesté notamment par l’Institut fédéral des Droits humains, constitue une menace pour l’ensemble du monde militantet pour l’action collective au sens large.

Entre manifestations multiples, interpellations d’élus et campagnes de sensibilisation et d’information, le mouvement a payé. Les partis progressistes au gouvernement ont finalement déclaré qu’ils ne voteraient pas le texte. Pour en parler, nous avons rencontré Selena Carbonero, Secrétaire fédérale de la FGTB et cheville ouvrière de la plateforme «  Manifestant·es, pas criminel·les ».

Selena, est-ce qu’on peut célébrer une victoire aujourd’hui ?

Très franchement, j’ai vraiment envie d’être certaine que les dispositions problématiques soient bien retirées du texte avant de crier à la victoire complète. Par contre, le fait d’avoir au droit à l’action collective amené plusieurs partis de la majorité à reculer, ça, c’est une première victoire. C’est la mobilisation du front commun élargi, lancé à l’initiative de la FGTB, et le travail militant, qui ont permis d’arriver à ce résultat. Au niveau local, également. Les interpellations ont permis – au sein du PS particulièrement – de rallier des élus à notre cause.

Comment est né ce front commun élargi ?

Tout a commencé le jour où on a reçu l’arrêt relatif aux 17 condamnés du Pont de Cheratte. L’ambition de départ de la plateforme était de se positionner contre la tendance à la criminalisation des mouvements sociaux en Europe et ailleurs. Prenons l’exemple de la France : depuis les gilets jaunes, l’arsenal répressif s’est presque militarisé. L’arsenal juridique a été renforcé. Tout ça, ça a des influences en Belgique.

S’ajoute une criminalisation de la grève, et par conséquent de toutes les actions de désobéissance civile. Les syndicats sont particulièrement visés, ici, avec l’interprétation de l’article 406 du code pénal – l’entrave méchante à la circulation – qui a évolué. Sa lecture par les tribunaux a changé. La Cour de cassation a par exemple conclu qu’à partir du moment où on bloque une route, l’intention est « méchante ». Il s’agit donc d’un détournement d’une disposition légale dont il avait été dit à l’époque – on le lit dansles textes parlementaires – qu’elle ne servirait pas à interdire ou empêcher les mouvements de grève.

De nombreuses associations et ONG se sont associées à la plateforme en front commun élargi, alors qu’au départ les condamnations concernaient plutôt le monde syndical…

Oui. Mais déjà lors des premières condamnations, on avait tous compris que cette «  nouvelle  » lecture de l’article 406 ne concernerait pas que les grévistes et les organisations syndicales. On s’est dit qu’il fallait créer une convergence entre différentes organisations de la société civile. La conscience du danger était déjà là. Car un simple sit-in pourrait désormais constituer une entrave méchante à la circulation.

« Quand on conteste et qu’on exerce le droit démocratique de manifester, on ne doit pas se retrouver devant les tribunaux. Personne ne doit être criminalisé pour un exercice pacifiste et démocratique du droit à l’action collective. »

— Selena Carbonero, Secrétaire fédérale FGTB

Nous avons donc pris contact avec plusieurs associations. Citons notamment La Ligue des Droits humains, Amnesty International, Greenpeace, le CNCD-11.11.11, qui sont présentes depuis le début. La CSC et la CGSLB nous ont rejoints. La plateforme continue de grandir avec la Coalition climat, entre autres, qui vient gonfler les rangs de ce front commun élargi ! Il nous fallait créer un rapport de force le plus large possible pour essayer d’influencer la jurisprudence. Et obtenir une modification du code pénal qui permette d’exclure les mouvements sociaux de l’application de l’article 406. Car il faut le rappeler, et c’est le plus important : les militants et les mouvements sociaux n’ont rien à faire devant les tribunaux.

Comment s’est déroulé ce travail collectif ?

Au départ, ça a commencé par la rédaction d’une carte blanche dans la presse, par la mise en œuvre d’une stratégie… Mais très vite, l’actualité nous a rattrapés, avec le projet de loi Van Quickenborne. Ce projet a réellement servi de catalyseur. De nombreuses autres organisations nous ont rejoints dans la plateforme. Et ça a marché. Soyons clairs, on n’est pas toujours d’accord sur tout, il peut arriver qu’il y ait des divergences de vue. Mais les fondamentaux font qu’on se retrouve, tant dans les discours que dans les actes. Au final, au-delà du nombre, il y a eu un bond qualitatif. C’est ce qui fait que le rapport de force se retourne en notre faveur.

Revenons effectivement au dernier «  retournement  » en date. Les partis progressistes ont finalement changé d’avis  : ils ne voteront pas la loi. Pourtant, au départ, le vent n’était pas favorable au monde militant…

Il faut le dire : il y a bien eu des tentatives de décrédibilisation de nos analyses au sein de la majorité gouvernementale. Pourtant, même le conseil d’État et l’Institut fédéral des Droits humains nous rejoignaient sur divers points.

La plateforme a activé tous les leviers envisageables. Des contacts avec les élus locaux ont été pris en nombre. Des interpellations de représentants PS, Vooruit, Ecolo et Groen ont été faites. Et biensûr la manif du 5 octobre. Tout cela combiné a amené une prise de conscience de députés, qui petit à petit ont déclaré « On ne voterapas ce texte ». Le but n’était pas de semer la zizanie dans les partis, mais bien de convaincre.

Est-ce que le message porté par la plateforme a fait peur au monde politique ?

On parle du « Il y aura un avant et un après la loi van Quickenborne » ? Peut-être. Mais Thierry Bodson n’utilise pas ces mots à la légère. La dernière fois qu’on a atteint un tel paroxysme dans le ton, c’étaitil y a dix ans, quand on a retiré des droits aux jeunes chômeurs. Ça montre bien la gravité de la situation dans laquelle on se trouve, et l’ampleur du risque. Ce risque, nous l’avons objectivé, et dénoncé.

On voit que la droite se montre très agressive depuis l’annonce des partis progressistes….

Oui. Aujourd’hui, les partis qui ont finalement décidé de suivre les avis émis tant par le Conseil d’État que par l’Institut fédéral des Droits humains, et par une grande partie du monde militant et associatif sont menacés par la droite. Pourtant, respecter ces avis, c’est respecter l’État de droit. C’est aller dans le bon sens.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui est attendu ?

Par rapport aux trois articles problématiques du texte, ils doivent être retirés, purement et simplement, du projet de loi fourre-tout dans lesquels ils se trouvent. Parce que ces dispositions ne résoudront en rien le problème des casseurs. On sait que c’est l’argument défendu par la droite : «  Les syndicats défendent les casseurs ». C’est faux. Mais on sait que cette loi-là ne pourra rien changer en la matière. Ce ne seront pas les casseurs qui seront arrêtés et empêchés de manifester. Ce seront des manifestants, des syndicalistes, des jeunes militants climatiques… Aujourd’hui,on reste vigilants et unis. C’est une première victoire pour la plateforme, il faudra en arracher d’autres.

© Photos : Ali Selvi

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB

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