Edgar Szoc : “Le gouvernement doit respecter les décisions de justice, qu’il y soit favorable ou non”

Edgar Szoc : “Le gouvernement doit respecter les décisions de justice, qu’il y soit favorable ou non”

La Belgique a été condamnée plus de 7000 fois (!) par des tribunaux nationaux et internationaux, en raison des manquements dans sa politique d’accueil des demandeurs d’asile. Ces condamnations restent lettre morte ; le gouvernement les ignore, bafouant au passage tous les principes de l’État de droit. Edgar Szoc, Président de la Ligue des droits humains, nous en parle.

CONTEXTE // État de droit : « État dans lequel les pouvoirs publics sont effectivement soumis au respect de la légalité par voie de contrôle juridictionnel », selon le Larousse. Autrement dit, c’est un  État où le gouvernement – tout comme le gouverné – doit respecter la loi. C’est la base d’un  État démocratique, un bouclier contre le totalitarisme. La Belgique ? « La Belgique est un État de droit démocratique qui garantit à chacun le respect des Droits de l’homme et du citoyen. L’Etat ne peut agir que si la Constitution ou la loi l’y autorise », nous indique très justement le site « Wallonie.be ».

EN BREF // Voici quelques jours, le Conseil d’ État, soit la plus haute juridiction administrative du pays, suspendait la décision de la Secrétaire d’ État à l’Asile et à la Migration Nicole de Moor de “refuser l’accueil pour les hommes isolés”, comme elle l’avait annoncé quelques semaines auparavant. Le Conseil d’État rappelle que la législation ne permet évidemment pas de priver du droit à l’accueil une catégorie de demandeurs d’asile. Cette condamnation s’ajoute à des… milliers d’autres.

Nous avons rencontré Edgar Szoc, Président de la Ligue des Droits humains. Il nous parle de cette situation inédite et dangereuse pour la démocratie.

Syndicats Magazine : Le gouvernement a été condamné plus de 7000 fois, et ne réagit pas. Cela semble surréaliste. Où en est-on aujourd’hui ?

Edgar Szoc: “Je milite à la Ligue depuis 17 ans. Entre 2006 et 2022, on pouvait compter sur les doigts de la main les situations où le gouvernement ne respectait pas les décisions de justice. C’était rarissime. Maintenant, on parle de milliers de condamnations. Fin décembre, on disait encore 7000. Maintenant plus personne ne compte.”

Qu’est-ce que ça veut dire, plus généralement, au niveau démocratique ?

Ce qu’il faut rappeler, c’est qu’en dehors de ce qu’on pense de la politique d’accueil, en dehors de la “sympathie”, disons-le comme ça, qu’on peut avoir ou non à l’égard de la cause des migrants, ou en dehors de ce qu’on souhaite comme politique migratoire, le fait est que le gouvernement ne respecte pas les décisions de justice. TOUS les démocrates devraient se scandaliser. Car c’est là le pilier de base de l’État de droit. Le gouvernement, comme n’importe quel justiciable, doit respecter les décisions de justice. Qu’il y soit favorable ou non.

“On ne va plus accueillir les hommes seuls”, c’est ce que Nicole De Moor annonçait récemment. Quelle est la réponse légale à ce genre d’affirmation?

On est en tout cas dans l’illégalité. Car il faut le rappeler : l’obligation d’offrir l’accueil aux demandeurs d’asile le temps que leur demande soit examinée, c’est une obligation de résultats, pas une obligation de moyens. Le gouvernement ne peut pas se contenter de dire « on fait ce qu’on peut, mais on n’y arrive pas ». Si on n’y arrive pas collectivement, alors il faut payer des hôtels ! C’est moche, et c’est la conséquence de la fermeture de centres, notamment sous Francken (ancien Secrétaire d’ État à l’Asile et à la Migration, NDLR)… On a organisé l’incurie dans laquelle on se trouve maintenant. Par ailleurs, par rapport à cette question d’ « hommes seuls », il s’agit d’une discrimination de genre très claire, une des rares, d’ailleurs, en défaveur des hommes.

« On organise la violence puis on s’étonne qu’elle survienne. »

Edgar Szoc

Pour les demandeurs d’asile, mais aussi pour les citoyens, c’est inaudible ?

Oui car cette situation est illégale, les tribunaux n’arrêtent pas de le dire, mais le fait de le dire n’a strictement aucun impact. C’est quelque part un appel, de la part du gouvernement, à l’action directe ! Si l’État ne respecte pas ses obligations – et il y a une jurisprudence de la Justice de Paix de Saint-Jos qui valide ça – il est légitime pour les demandeurs d’asile d’occuper des bâtiments publics. C’est grave ! Du côté de la Ligue des Droits humains, nous n’avons jamais été des promoteurs de la désobéissance civile, puisque notre cadre d’action, c’est l’État de droit. On croit qu’il y a moyen d’obtenir des avancées sociales par le droit. Mais quand l’acteur principal ne joue pas le jeu, c’est un appel à la désobéissance civile. Et in fine à la loi de la jungle, voire à la violence ! C’est gravissime et totalement inédit.

Malheureusement les médias et la population finissent par s’habituer à ça, d’autant que ça touche les migrants et que ce n’est pas une thématique populaire. Mais j’insiste : le problème va au-delà de la question migratoire. Le gouvernement ne respecte pas les décisions de justice. L’extrême droite est aux portes du pouvoir, et là on lui donne le manuel d’utilisateur pour faire la même chose.

« Qu’est-ce qui se passe si un citoyen décide de ne pas payer ses amendes pour excès de vitesse ? Si un condamné décide de ne pas aller en prison parce que ça ne l’intéresse pas, parce qu’il est au-dessus des lois et de la décision de justice ? »

Edgar Szoc

Quelles sont les solutions ?

Encore une fois, il y a une obligation de résultats. Il faut donc être créatif, comme on a pu l’être quand les Ukrainiens sont arrivés. Quand on prend le problème au sérieux, on arrive à le résoudre. Il faut aussi un plan de répartition par communes et par régions – car pour l’instant c’est Bruxelles qui prend la plus grande part – ainsi qu’un plan de répartition européen. Certes, il y a de grandes disparités entre pays, également au niveau de la qualité de l’accueil. Mais quel est le modèle que l’on veut suivre ? Veut-on s’aligner sur les pays qui proposent un accueil raciste et indigne ? Les chiffres migratoires que l’on connaît ne sont pas exceptionnels, on a vécu des situations similaires par le passé, et ça va sans doute continuer, avec les migrations climatiques, etc. Là encore, quelle est la part de responsabilité de la Belgique?

Sur le terrain, avec les demandeurs d’asile, comment ça se passe ?

À la Ligue, on a de nombreux et nombreuses avocat.es en droit des étrangers, qui nous rapportent les témoignages de leurs clients. Et ces clients, déjà, par le simple fait d’avoir fait appel à un avocat, savent qu’ils ont la possibilité d’un recours, connaissent leurs droits. Ce n’est pas le cas de tout le monde, loin de là… Il y a une énorme incompréhension. Un exemple : vous fuyez le Gabon après le Coup d’ État, et ici, dans la belle démocratie belge, on n’applique pas les lois. On vous explique qu’il n’y a pas de « volonté politique d’appliquer les décisions de justice ». Ça n’a aucun sens.

Il y a aussi un problème dans la représentation du migrant. On le décrit comme quelqu’un qui va profiter des aides, des allocations… Mais ces gens, ce sont des battants ! Ils ont affronté plein de choses avant d’arriver ici… Ils en veulent, ils veulent bosser ! En termes de droit du travail, il faut faire attention au dumping bien sûr, mais la meilleure manière d’éviter ça, c’est de donner des permis de travail !”

Des recours qui ont des répercussions sur le travail de la Justice…

Oui, même au niveau syndical, car quand l’accueil n’est  pas offert aux demandeurs d’asile, le recours se fait au niveau du tribunal du Travail. Et donc ça engorge ces tribunaux, au détriment des litiges liés au chômage, au RIS, ou à des relations travailleur-employeur… Les tribunaux du Travail, en particulier à Bruxelles, sont complètement débordés, tout simplement parce que l’État ne fait pas son boulot. En bref, ça a des tas de conséquences, y compris en dehors du domaine strict de la politique migratoire.

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB

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