En Colombie, défendre les droits des travailleurs et travailleuses au péril de sa vie

En Colombie, défendre les droits des travailleurs et travailleuses au péril de sa vie

Vu d’ici, la Colombie est régulièrement associée au narcotrafic et à la figure de funestes personnages popularisés par des séries sur Netflix. Si le prisme du trafic de drogue reste extrêmement prégnant dans ce pays, la réalité est autrement plus complexe. Les difficultés quotidiennes sont alimentées par des décennies de capitalisme sauvage[1]. Sur place, le combat des camarades syndicalistes et leaders sociaux reste (trop) souvent une question de vie ou de mort.

Une annonce choquante

Le 14 juillet 2023, réunies en colloque international dans la ville de Buga, en Colombie, les organisations partenaires latino-américaines de la FGTB Horval sont informées des menaces de mort proférées à l’encontre de Juliana Millán[2], co-directrice politique de ATI, organisation défendant droits humains et syndicaux. Pour les délégations belges et latino-américaines, cette déclaration est un choc ; pour les hôtes colombiens, il ne s’agit que d’un énième plongeon dans un cauchemar qui les afflige depuis longtemps.

Une lueur d’espoir, mais…

Bien qu’en 2022, un Président progressiste ait été élu pour la première fois de l’histoire du pays, la protection des droits et de la vie des leaders syndicaux et sociaux reste particulièrement adverse. Gustavo Petro avance un agenda de réformes sur des thématiques comme la Paix Totale, une solution négociée au conflit armé interne, ainsi que des réformes de la loi pour garantir des droits essentiels comme la santé et le travail.

Son groupe étant minoritaire au parlement et cet agenda contraire aux intérêts des élites économiques, politiques et sociales du pays, il se trouve toutefois vite bloqué par les partis de droite et d’extrême droite. Ces derniers défendent les intérêts des grands propriétaires terriens et des élites entrepreneuriales historiques. Mais aussi ceux des élites « émergentes » alimentées par le trafic de substances illicites, de personnes et d’armes pendant plus de trois décennies. L’inertie institutionnelle couplée à des années de pouvoir de la droite compliquent la mise en route de politiques de changement sur un mandat si court. Mandat qui se trouve également entaché de scandales au sein du propre entourage présidentiel.

La solidarité internationale en réponse à la violence

Retour en arrière : 2018, la FGTB Horval décide de lancer un nouveau programme syndical en Colombie pour soutenir les droits des travailleurs et travailleuses de l’industrie agroalimentaire – par l’intermédiaire d’organisations syndicales affaiblies par des années de menaces et d’exécutions. Pour ce faire, elle s’associe à Solsoc, ONG belge de la mouvance socialiste et à l’organisation colombienne ATI. Un programme se développe afin d’accompagner les syndicats dans leur renforcement et leur structuration.

Trois camarades assassinés

Très vite, le contexte de violence et de menaces à l’encontre de partenaires syndicaux refait surface. Dès l’année 2018, trois camarades de l’organisation partenaire SINALTRAINAL sont assassinés alors qu’ils participent à des négociations pour l’amélioration des conditions de travail dans les usines Nestlé en Colombie[3]. Grâce au soutien international de Horval, des négociations se mettent en place et les persécutions cessent. Depuis cette année et jusqu’à aujourd’hui, une stratégie de réaction internationale a été mise en place : la FGTB Horval en coordination avec Solsoc et ATI et les syndicats colombiens, rédigent des déclarations communes, font du plaidoyer au niveau des parlements européen et belge et exposent la situation en Colombie. Grâce à cette stratégie, le harcèlement ne s’arrête pas, mais des vies ont été protégées.

« L’union fait la force »

2022, un nouveau programme quinquennal voit le jour. La ville de Palmira dans le département du Valle del Cauca est choisie comme fer de lance des activités. La région est particulièrement illustrative de la mainmise de grands groupes sur le système agro-industriel, privilégiant le profit au mépris des droits des travailleuses et travailleurs. Sur place, deux syndicats : SINALTRAINAL, actif dans l’ensemble de l’industrie agroalimentaire et défendant les travailleur·euse·s d’entreprises telles que Nestlé, Coca-Cola ou Sodexo ; et SINTRACATORCE, qui défend l’amélioration des conditions de travail des travailleurs du secteur de la canne à sucre.

Les deux syndicats joignent leur force et mettent en place, avec l’appui d’ATI, l’embryon d’une future fédération agroalimentaire. L’objectif : regrouper différents syndicats de ce secteur selon la devise “l’union fait la force”. En plus de cette fédération, des formations politico-syndicales, structuration, sur les enjeux de genre, etc. sont prévues. Ainsi que des projets visant à fournir de nouveaux services aux membres des organisations syndicales : santé préventive et accès aux soins de santé de base et à une alimentation saine et durable à travers des alliances entre monde ouvrier et paysan.

Persécutions autour d’une maison culturelle syndicale

2023, une balise importante est atteinte en juin à travers la concrétisation matérielle de la construction de la maison culturelle syndicale à Palmira (la CACTUS). Cette construction est un symbole puissant de résistance syndicale dans ce pays où, chaque année, on dénombre le plus grand nombre de leaders syndicaux assassinés[4]. Elle est aussi un symbole d’union dans un contexte syndical extrêmement fragmenté[5].

Dès que la maison a commencé à sortir de terre dans le quartier, en février 2023, des actions de menaces et d’intimidation ont se sont multipliées envers les travailleurs : menaces téléphoniques, persécution des membres de leur famille, présence de personnes et de caméras externes aux organisations le jour de l’inauguration… Cette situation se tend plus encore quand la fille de Juliana Millán (ATI) entend un autre enfant tenir des propos plus qu’inquiétants: “Ils vont tuer ta mère”… Difficile de préciser qui se cache derrière le « ils », mais dans cette région, les menaces ne sont pas à prendre à la légère.

Garantir la sécurité

Avec courage, les camarades ont tenu à poursuivre le colloque, permettant des échanges entre partenaires de plusieurs pays d’Amérique latine. Depuis lors et à la suite du colloque, Juliana a quitté la ville et entamé des démarches auprès des autorités compétentes afin de garantir non pas seulement sa sécurité et celle de ses enfants. Mais aussi plus largement : celles des dirigeants syndicaux et leurs familles, des organisations syndicales et sociales impliquées ; et, finalement, du projet de la maison syndicale.

Ces épisodes nous rappellent que devant les graves reculs des libertés syndicales de par le monde, l’engagement sans faille de la coopération syndicale internationale, en association ou non avec des organisations non gouvernementales, reste aujourd’hui indispensable, voire même… vital !


[1] Voir à ce sujet : Frédéric Thomas 2022 – https://www.solsoc.be/s-informer/publications/etude-sur-le-devoir-de-vigilance-vu-par-les-organisations-partenaires-colombiennes-de-fos-ifsi-et-so.html

[2] Cf. Communiqué ATI – https://ati.org.co/comunicado-a-la-opinion-publica/?fbclid=IwAR2pJFLBs-mvDH14Lw-OXPhguFsFGqrRZV65PWL6cDEWKFygUcDXAZSmnPI

[3] Cf. Communiqué Horval – https://www.horval.be/fr/international/colombie/violente-attaque-contre-le-syndicalisme-en-colombie-trois-assassinats-en-dix-jours

[4] Cf. CSI/ITUC – Global Rights Index 2022.

[5] La Colombie compterait en effet, selon certaines sources, plus de 6 000 syndicats selon les derniers décomptes (ENS, 2019).

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