Accord de gouvernement: « On sacrifie l’émancipation des femmes et on alimente la violence économique »

Accord de gouvernement: « On sacrifie l’émancipation des femmes et on alimente la violence économique »

Avec cet accord du gouvernement, les femmes risquent d’être les grandes perdantes des politiques d’austérité mises en place. Entre précarisation accrue, attaques sur les pensions, absence de mesures pour faciliter l’accès à l’emploi stable et retour d’une violence économique insidieuse, les décideurs – principalement masculins – semblent frappés, au mieux, d’aveuglement. Selena Carbonero, secrétaire fédérale de la FGTB, réagit à  cet accord, qui non seulement ignore les réalités des travailleuses, mais les punit pour des choix qu’elles n’ont pas faits.


Éclairage: Qu’entend-on par « violence économique?

La violence économique est une forme de domination qui prive une personne – souvent une femme – de son autonomie financière et de ses ressources. Elle peut se manifester à différents niveaux :

Dans le cadre privé :

  • Contrôle des finances par le conjoint.
  • Pressions financières pour empêcher une séparation.

Dans le cadre professionnel et social :

  • Précarisation des emplois occupés majoritairement par des femmes (temps partiel imposé, bas salaires).
  • Réformes qui réduisent l’accès aux pensions, aux allocations chômage et aux services publics essentiels (crèches, santé).
  • Discriminations à l’embauche et plafond de verre qui limitent les opportunités de carrière.

Ces mécanismes maintiennent les femmes dans un état de dépendance financière, rendant plus difficile toute émancipation et augmentant le risque de pauvreté. À travers ses politiques, le gouvernement amplifie ces inégalités, renforçant ainsi la violence économique subie par les femmes.

Syndicats Magazine: Si tu devais résumer les attaques faites aux femmes par ce nouveau gouvernement, tu dirais quoi ?

Selena Carbonero: Je reprendrais ce que l’on a dit dès le début de notre analyse :  la spécificité des carrières – et de la vie quotidienne – des  femmes est totalement ignorée par ce gouvernement. En allant plus loin : les femmes sont sanctionnées pour avoir eu une carrière morcelée, ou un job à temps partiel. Ce qui, pourtant, n’est généralement pas un choix. Puisque non seulement les tâches de soins reviennent encore et toujours aux femmes et qu’il manque de places d’accueil pour les enfants, mais aussi parce que les secteurs typiquement féminins sont organisés autour du temps partiel. En bref… On va punir les femmes pour des choix qu’elles n’ont en réalité pas faits.

On sacrifie les femmes – et d’autres groupes de population – au nom de quoi ?

Au nom des économies à tout-va. Comme souvent, ce gouvernement – poussé par De Wever et Bouchez – n’a pas mis ses « lunettes de genre » pour décider des mesures prises. Il n’a pas vu – ou pas voulu voir – les spécificités existantes au sein de la population. Aujourd’hui, sur l’autel de l’austérité budgétaire, ce gouvernement n’a aucune gêne à sacrifier certains groupes plutôt que d’autres. Ici ce sont les femmes qui paient, mais aussi les malades, les chômeurs…

Nous sommes, rappelons-le, face à un gouvernement fondamentalement antisocial. Si les économies « font effet », peu importe qui elles touchent et qui elles laissent sur le carreau.

Donc ces choix sont motivés à la fois par une volonté d’appliquer une politique d’austérité à tout prix, et aussi par une indifférence globale face à l’impact que cela a sur les femmes. C’est juste « plus facile ».

Ce sentiment de choix de la facilité, on le retrouve tout au long de cet accord de gouvernement. On y tape systématiquement sur les plus vulnérables.

Tout au long de cet accord, on s’attaque aux personnes les plus fragiles, en misant sur leur difficulté à défendre leurs droits. Mais sans réfléchir aux résultats et objectifs réels. Car ces mesures sont  totalement contre-productives. Le gouvernement réduit les périodes assimilées et durcit l’accès à la pension, sans proposer de mesures permettant aux femmes d’améliorer leur situation.

Mais si on voulait vraiment, par exemple, « augmenter » et améliorer l’emploi des femmes, on devrait leur faciliter l’accès au travail à temps plein. Or on ne le fait pas, puisqu’on prévoit plus de flexijobs, plus d’heures de travail étudiant… Des profils moins coûteux, qui ne vont pas inciter les employeurs à donner de meilleurs contrats aux travailleuses.

Par ailleurs, on ne prévoit pas non plus d’améliorer l’offre en structures d’accueil pour les enfants. Ce qui vient empêcher les femmes, là encore, de travailler à temps plein. On voit aussi, au niveau régional, une volonté de restreindre l’accès des places en crèches aux chômeurs et chômeuses de longue durée. Les femmes ne sont pas forcément plus représentées dans ce groupe, mais ont plus de difficulté à justifier le nombre de mois requis pour sortir de ce statut. Car elles ont souvent des contrats précaires ou courts.

Comment on fait pour avoir un emploi à temps plein, suivre une formation, postuler activement, sans endroit de qualité qui accueille les enfants ? Et comment faire avec des services publics démantelés ? Ces mesures restreignent l’accès à l’emploi des femmes et les renvoient vers la sphère privée.

On en vient au risque de précarité accrue et de violences économiques…

Oui. La violence économique touche davantage les femmes, et vient alimenter un discours masculiniste ou sexiste en vogue. Le « retour des femmes à la cuisine », c’est un discours qui trouve écho sur les réseaux sociaux, même au sein de la (très) jeune génération. Réduire les droits des femmes à la pension, à un job de qualité, à des services d’accueil, c’est créer de la précarité, de la dépendance. Et c’est aussi revenir à une certaine forme de violence, voire à un risque d’exploitation économique. C’est un retour en arrière sur des décennies de luttes féministes, un recul en termes d’émancipation, alors qu’il faudrait au contraire renforcer ces acquis.

La violence économique touche davantage les femmes, et vient alimenter un discours masculiniste ou sexiste en vogue. Le « retour des femmes à la cuisine », c’est un discours qui trouve écho sur les réseaux sociaux, même au sein de la (très) jeune génération.

Selena Carbonero

C’est plus vrai encore pour les femmes migrantes ou d’origine étrangère ?

Sans entrer dans le détail, au niveau international, les femmes sont davantage impactées par les conflits, où qu’ils se déroulent. Aujourd’hui, elles auront un accès plus difficile à notre pays, au vu des politiques d’accueil très dures auxquelles on s’attend. Les femmes qui fuient leur pays d’origine ont par ailleurs un parcours migratoire généralement plus dur. Une fois encore, l’exploitation, qu’elle soit économique, sexuelle, n’est pas rare. Tout cela n’est absolument pas pris en compte dans l’accord de gouvernement. Pour faire court : on continue de considérer les personnes migrantes comme des indésirables, alors que ce sont ces mêmes personnes que l’on croise tous les jours dans de nombreux secteurs professionnels essentiels.

Quid de la santé des femmes ? La question de l’IVG, entre autres, est remise au placard.

Dans notre pays, on n’avance plus depuis longtemps sur la question de l’IVG, qui a sans cesse fait l’objet d’un marchandage politique. Cette fois encore, le gouvernement a décidé de ne pas décider. Certes, l’IVG a été sorti du code pénal, mais la question relève avant tout d’un enjeu de santé publique, et non d’un simple débat éthique.

Enfin, précariser les femmes tout en s’attaquant aux services publics, à la sécurité sociale, comme cet accord de gouvernement le prévoit, c’est aussi s’attaquer au bien-être des familles entières. Les reports de soins vont se multiplier, la santé – physique comme mentale – va se détériorer, et tout cela va se répercuter bien au-delà de l’individu. Punir et appauvrir, c’est tout simplement une vision rétrograde qui va à l’encontre du progrès social, et de notre modèle de société basé sur la solidarité.

Mobilisation des femmes

Derrière les discours de « modernisation » et d’austérité, l’accord de gouvernement entérine un recul majeur pour l’émancipation des femmes. Plutôt que de favoriser leur accès à l’emploi stable ou d’investir dans des services publics essentiels, les mesures adoptées renforcent les inégalités structurelles et enferment de nombreuses femmes dans la précarité. En cette veille du 8 mars et à quelques jours d’une grève générale, la mobilisation est plus que jamais nécessaire pour refuser cette régression sociale.

Tout savoir sur cet accord de gouvernement : accorddegouvernement.info

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB |  Plus de publications

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