Le travail ne devrait pas tuer. Et pourtant…

Le travail ne devrait pas tuer. Et pourtant…

“Les gens se rendent au travail pour gagner leur vie. Et pourtant, chaque jour, dans toute l’Union européenne, 12 personnes en moyenne ne rentrent pas à la maison, parce qu’elles sont mortes au travail. Loin de leur assurer de quoi vivre, le travail les a tuées.” C’est ce qu’indique le site “Action-Europe“, développé par la Confédération européenne des Syndicats (CES). La campagne pour “zéro décès au travail” se poursuit.

Aux accidents de travail s’ajoutent les cancers professionnels, l’épuisement, la dépression, les maladies de cœur, voire les suicides liés au travail. “Mourir du travail”, c’est une réalité.

“Karôshi”, ou le fait de mourir de travailler

Le terme “karôshi“, en japonais, désigne tout simplement le fait de “mourir de travailler”. D’épuisement, d’un AVC, d’un arrêt cardiaque ou même d’un suicide lié à la charge ou aux conditions de travail. Le Karôshi est reconnu comme tel au Japon depuis les années 70. Et si l’on a souvent tendance à associer les cadences infernales, l’épuisement, les heures supplémentaires et les suicides professionnels à ces contrées lointaines, le concept existe bien évidemment – toute considération culturelle mise à part – ailleurs (et chez nous) également.

Deux millions de morts par an, à cause du travail

Que disent les chiffres? L’OMS et l’OIT indiquaient, dans un rapport publié en 2021, que les maladies et traumatismes liés au travail sont responsables du décès de près de deux millions de personnes dans le monde, chaque année. Ce chiffre est relativement constant, et ne tient pas compte, ici, de la période covid. Responsables de 81 % de ces décès: les maladies “non-transmissibles”, dont les pneumopathies obstructives chroniques (450 000 décès), les accidents vasculaires cérébraux (400 000) et les cardiopathies/infarctus (350 000). Les accidents du travail sont quant à eux responsables de 360 000 décès par an, à l’échelle mondiale.

Le rapport identifie 19 “facteurs de risque” sur le lieu de travail. Citons les longues heures de travail, l’exposition à la pollution atmosphérique, aux asthmogènes, aux agents cancérogènes, les problèmes ergonomiques et le bruit. Le risque principal identifié est l’exposition à de longues heures de travail (voir ici la carte interactive).

Créer des lieux de travail plus sains, plus sûrs

« Ces estimations fournissent des informations importantes sur la charge de morbidité liée au travail, et ces informations peuvent contribuer à l’élaboration de politiques et de pratiques visant à créer des lieux de travail plus sains et plus sûrs. Les pouvoirs publics, les employeurs et les travailleurs peuvent tous prendre des mesures pour réduire l’exposition aux facteurs de risque sur le lieu de travail. La modification des schémas et des systèmes de travail permet également de réduire ou d’éliminer ces facteurs de risque. En dernier recours, les équipements de protection individuelle peuvent eux aussi contribuer à protéger les travailleurs dont le travail ne leur permet pas d’éviter l’exposition. »

Guy Ryder, Directeur général de l’OIT

8% des cancers directement liés au travail

Même son de cloche au niveau européen. Un exemple: 8 % des décès par cancer en Europe sont directement liés au travail. La CES indique ceci. “Quelque 100.000 travailleurs meurent chaque année d’un cancer dû à une exposition à des substances dangereuses au travail. (…) Le changement climatique présente de nouveaux risques pour la santé et la sécurité. La crise du COVID a montré que nous devons être mieux préparés au travail pour affronter de prochaines pandémies.”

Santé et catégorie professionnelle

Ce n’est plus un secret: le “niveau de vie” a une influence sur la santé. Précarité et maladies chroniques vont main dans la main, et les inégalités sociales se répercutent sur le carnet de santé. L’équation s’applique aussi au niveau professionnel. La précarité ; l’angoisse du lendemain ; la nécessité de cumuler les boulots et d’accumuler les heures de travail ; les métiers lourds et pénibles ; les horaires décalés et le travail de nuit… Autant de facteurs qui nuisent à la santé, et peuvent avoir des conséquences dramatiques.

Espérance de vie inégale

L’Observatoire des inégalités, en France, résume la situation assez simplement: “Les maladies professionnelles frappent avant tout les milieux populaires, les ouvriers et les employés.” Sur tous les cas recensés par le ministère du Travail français en 2016, plus des deux tiers affectaient des ouvriers ; 21 % des employés ; tandis que seulement 2 % concernaient des professions intermédiaires et 4 % des cadres supérieurs et chefs d’entreprise.

L’Observatoire belge des inégalités confirme. “L’espérance de vie est très inégale selon la profession.” Un chiffre: environ 80 % des accidents qui causent une incapacité permanente ou la mort concernaient des ouvriers en 2018.

La période de pandémie a également rappelé que les métiers “essentiels”, soumis dès le départ à un risque plus grand que d’autres catégories de professions, étaient bien souvent loin d’être les plus valorisés. “La pandémie de COVID a entraîné la mort de plusieurs milliers de travailleurs. Ce qui montre que le lieu de travail est une source majeure de contagion et que nous devons être mieux préparés aux futures pandémies”, indique Pierre Bérastégui, chercheur (ETUI).

Prévenir, se préparer, améliorer : un choix politique

La santé au travail est un enjeu politique. La CES lance un appel simple à l’Union européenne : “Le travail ne devrait pas tuer”. Et formule des recommandations à plusieurs niveaux. Des efforts doivent en effet être fournis pour :

  • prévenir les accidents au travail et les maladies professionnelles;
  • se préparer aux pandémies à venir;
  • faire de la santé physique et mentale des travailleurs le point de départ de l’organisation du travail et de la conception des lieux de travail.

“Cela demande une législation efficace et une amélioration en matière d’éducation, de formation, de prévention, de protection, de contrôle, d’information, d’inspection, d’application et de sanctions.”

Une pétition est en ligne pour interpeller les autorités.

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB

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