Le 4 février, c’est la journée mondiale contre le cancer. Voici quelques jours, la Fondation contre le cancer publiait son « baromètre belge du cancer », un document complet sur cette maladie et ses ravages dans notre pays. Focus sur une catégorie : le cancer professionnel.
On le sait, le cancer est un problème de santé majeur, à l’échelle mondiale. « Plus de dix millions de personnes se voient diagnostiquer un cancer chaque année. Le cancer est la deuxième cause de décès dans le monde occidental. En Belgique, un homme sur trois et une femme sur quatre développeront un cancer avant l’âge de 75 ans », nous dit le rapport. Le nombre de cas de cancer continuera à augmenter dans les années à venir. Une évolution principalement due au vieillissement de la population, mais également à des facteurs liés à notre style de vie et à notre environnement. Le cancer pourrait alors devenir la première cause de décès.
“Environnement” professionnel
Style de vie et environnement, nous dit-on donc. S’il est souvent difficile de mettre le doigt, précisément, sur « les causes » d’un cancer, certains facteurs connus viennent augmenter les risques. Citons les expositions à des pollutions, radiations, les substances nocives dans l’alimentation, les pesticides… Citons également les comportements personnels : tabagisme, alcool, consommation d’aliments gras, exposition excessive au soleil… Et enfin les facteurs d’ordre professionnels, dont on parle beaucoup moins. Le baromètre de la Fondation contre le cancer cite notamment les cas particuliers des travailleurs des industries chimique et nucléaire. Travailleurs « qui sont souvent surexposés à des agents cancérigènes chimiques et physiques ».
La crise sanitaire que nous traversons nous a prouvé qu’une bonne politique de prévention et de protection de la santé au travail était cruciale. Une politique qui se doit d’aller au-delà du Covid. En effet, dans l’Union européenne, plus de 100 000 décès par an sont attribuables à des cancers d’origine professionnelle. Un chiffre qui nous vient de l’institut syndical européen (ETUI).
En Belgique, le Fondation contre le cancer indique que 4% de toutes les tumeurs malignes diagnostiquées sont liés à des causes professionnelles. Ce chiffre est plus haut chez les hommes que chez les femmes, avec respectivement 7% et 1%. 7 cancers professionnels sur 10 sont liés à une exposition à l’amiante. « Ce chiffre correspond environ à 1.850 cas par an. Chaque année, [Fedris] en reconnaît une centaine seulement. Ce chiffre reflète le petit nombre de demandes qui parviennent au Fonds et la difficulté des procédures. De ce fait, les cancers professionnels sont peu connus et largement sous-estimés », indique la fondation.
Agents cancérigènes : de quoi parle-t-on ?
Les agents cancérigènes professionnels peuvent avoir diverses origines :
– les agents chimiques : dérivés du pétrole, métaux, amiante, silice, etc.
– les agents physiques : rayonnements ionisants (rayons X), rayonnements ultraviolets.
– certains agents biologiques : virus de l’hépatite B, de l’hépatite C, etc.
– organisation du travail : travail de nuit posté (c’est-à-dire accompagné de changements fréquents d’horaires de travail). Il entraîne une perturbation de l’horloge biologique.
Il faut également tenir compte des agents mutagènes : ce sont les substances et mélanges qui peuvent produire des modifications génétiques.
Ces agents cancérigènes peuvent affecter notre organisme par différentes voies :
– inhalation : on inspire des gaz, vapeurs et fumées, des poussières et des brouillards d’acides forts ;
– ingestion : on mange ou on boit sur le lieu de travail ; la nourriture ou les couverts sont en contact avec des agents cancérigènes. L’hygiène est dans ce cas primordiale !
– absorption par la peau : contact cutané avec des substances cancérigènes ;
– exposition à des rayonnements ionisants naturels (lumière du soleil) ou artificiels (rayons X) ;
– injection : objets tranchants, seringues contaminées.
Le cancer: 53% des décès liés au travail
Que nous dit le baromètre belge du cancer sur les cancers professionnels ? En 2015, le cancer professionnel représentait 53% de tous les décès liés au travail dans l’UE et dans les autres pays développés. Les principaux cancers liés à l’environnement de travail sont les cancers du poumon, de la peau (non-mélanome), de la vessie et le mésothéliome (incluant le cancer de la plèvre).
« La littérature scientifique a démontré le rôle des perturbateurs endocriniens dans le développement du cancer. Ces substances sont présentes dans notre environnement de vie, comme les cosmétiques, produits plastiques, produits de nettoyage, matériaux d’emballage, etc. Ces substances peuvent être responsables d’un large éventail de types de cancer. Chez la femme, l’exposition à ces substances est associée au cancer du col de l’utérus, des ovaires et du sein et chez l’homme, de la prostate et du testicule. »
Baromètre belge du cancer
Cancer et inégalités
L’étude française COSMOP étudie la mortalité selon l’activité professionnelle. Elle démontre, comme on pouvait s’en douter, d’importantes inégalités sociales à ce niveau. « Des excès de mortalité par tumeur maligne étaient retrouvés dans l’industrie des produits minéraux et celle du métal, dans la construction, les services auxiliaires des transports, l’hôtellerie, la restauration et les services aux entreprises, ce dernier étant essentiellement représenté par les travailleurs de l’intérim. »
Du côté d’ETUI, on ne dit pas autre chose. « Suivant la place occupée dans la hiérarchie sociale, le risque d’un cancer lié au travail varie de manière considérable. Il est très élevé pour les travailleuses du nettoyage ou les ouvriers de la construction, il est beaucoup plus faible parmi les cadres. »
Côté prévention sur le lieu de travail, on en fait trop peu, tout comme au niveau de la reconnaissance des cancers professionnels.
Le temps de latence rend la reconnaissance difficile
Le temps de latence entre l’exposition effective à l’agent cancérigène et le développement de la maladie contribue à ce phénomène. « Les coûts directs et indirects sont supportés pour l’essentiel par les systèmes de santé publique, la sécurité, les victimes et leurs familles. Dès lors, toute mesure de prévention est présentée comme un fardeau pour les entreprises. Par ailleurs, la visibilité du lien entre le travail et les cancers reste très faible. Les systèmes d’indemnisation des maladies professionnelles n’interviennent que pour un nombre très limité de cancers et leurs statistiques conduisent à une appréciation sous-estimée et déformée de la réalité », indiquent Tony Musu et Laurent Vogel, chercheurs au sein d’ETUI, dans leur publication « Cancer et travail Comprendre et agir pour éliminer les cancers professionnels ».
Pour Tony Musu, les cancers professionnels sont « des maladies évitables qui coûtent très cher à nos sociétés ». Expositions multiples à des agent toxiques, répétées, sans protection adéquate voire sans information suffisante sont monnaie courante dans certaine métiers. Pourtant, établir le lien entre cancer et activité professionnelle n’est pas chose aisée. « Les pathologies cancéreuses ne portent en général aucune signature spécifique et rien ne distingue, par exemple, un cancer de la vessie d’origine professionnelle d’un cancer de la vessie d’une autre origine. De plus, les cancers professionnels surviennent souvent des dizaines d’années après le début de l’exposition, typiquement lorsque les patients sont à la retraite, et ils ne pensent pas à faire le lien avec la profession qu’ils ont exercée. A fortiori s’ils ignorent l’identité ou les risques associés aux agents auxquels ils ont été exposés. »
Alors, évitables, les cancers professionnels ?
Oui. La législation en matière de prévention des risques professionnels est très claire : l’employeur se doit d’éviter les risques. Pour ce faire, il lui incombe d’éliminer l’agent cancérigène ou de le remplacer par un produit ou procédé qui n’est pas — ou qui est moins — dangereux pour la santé. Si ce n’est pas possible, il faut utiliser un système clos ou encore réduire l’exposition des travailleurs à l’agent dangereux. Et ce à un niveau aussi bas que techniquement possible.
Durant sa campagne « Objectif : zéro cancer professionnel », la FGTB a publié une brochure très complète sur le thème des cancers professionnels, consultable ici.
« La FGTB demande de compléter, standardiser, centraliser et analyser scientifiquement les données sur la mortalité et l’activité professionnelle des travailleurs et travailleuses sur la base, notamment, des examens effectués par les services internes et externes de prévention (médecine du travail). Et également d’intégrer les données du dossier de santé des travailleurs (médecine du travail) dans le dossier médical du patient afin que le médecin traitant puisse poser un diagnostic correct et soutenir le travailleur dans ses démarches.
Dans le même temps, la législation sur les maladies professionnelles impose un parcours du combattant aux victimes de maladies professionnelles. La FGTB fixe l’objectif « 0 cancer professionnel ». Elle appelle à éliminer au maximum les agents cancérigènes au travail, à reconnaître et à agir sur les causes des maladies qui trouvent leur origine dans la profession et à revoir d’urgence la mécanique défectueuse de la législation sur les maladies professionnelles. »