Mathilde, la voix qui porte

Mathilde, la voix qui porte

Mathilde. C’est sur les réseaux sociaux que nous l’avons connue. Sa chanson, « À la gloire des femmes en deuil », a surgi en 2022 et est immédiatement devenu un hymne féministe rassembleur, beau, puissant. Puissant comme sa voix et son discours. Alors que se déroule la Journée internationale de lutte contre les violences à l’égard des femmes, nous publions son interview.

« Le simple fait d’exister et d’avoir une parole sur les réseaux, en tant que femme, grosse, c’est un geste politique »

Sur Tiktok, sur Instagram ou sur scène, l’artiste française, forte d’une communauté d’un demi-million de personnes, s’engage, défend. Féministe jusqu’au bout des ongles, elle se bat contre toutes les formes de violence, contre le sexisme, la grossophobie, le harcèlement. Elle prend des risques, au quotidien. Elle est attaquée, souvent. Mais elle est entourée par cette communauté soudée et fidèle, qui la soutient et qui forme, avec elle, une armée de « guerrières de lumière ».

C’est à l’issue d’un concert donné au festival Manifiesta que nous l’avons rencontrée en septembre dernier. Mathilde sourit, rayonne. Elle vient de conquérir le public belge. Elle vivait en effet sa première « mini-tournée » dans notre pays. Deux dates : l’une à Bruxelles, l’autre à Ostende. Dès son arrivée dans la capitale, le chauffeur de taxi lui parle des Wallons, des Flamands, même de Léopold II, de décolonisation. « Il m’a tout raconté ! J’aime bien avoir les contextes politiques des lieux dans lesquels je vais jouer. Je trouve ça important. Je suis moi-même issue de l’immigration non-visible car mon père est portugais, donc je ne le porte pas sur mon visage, mais je parle plusieurs langues, j’ai vécu et travaillé dans plusieurs pays. »

« Préservée de la pensée de droite »

Le parcours – tant musical que militant – de Mathilde a commencé très tôt. « Mon père est un anarchiste qui a quitté la dictature portugaise, ma mère est une femme des années 60-70, elle a été élevée et biberonnée au MLF (Mouvement de Libération des Femmes, ndlr). Donc j’ai été briefée ! Beaucoup de choses étaient acquises chez moi. J’étais entourée d’artistes et de gauchos, donc j’ai été assez préservée de la pensée de droite jusqu’à très tardivement. »

C’est en entrant dans la vie professionnelle que Mathilde se confronte à un milieu différent. Parallèlement, sa vie de jeune adulte sera marquée par la violence. « Il a fallu que je m’affirme, et de plus en plus. Cette affirmation a été plus facile, hélas – mais j’essaie d’en tirer un enseignement positif – parce que j’ai vécu des violences conjugales de mes 19 à 21 ans. J’ai frôlé la mort, j’ai un rapport direct avec la mort, et ça me fait célébrer le vivant. C’est beaucoup plus facile pour moi de dire ‘non’. Je peux très vite dégager les choses néfastes de ma vie. Ecrire des chansons, ça me permet de dépatouiller mes émotions. Mon engagement militant s’est fait avec la musique, j’ai trouvé un public pour parler de mon vécu, tout d’abord, puis d’autres sujets militants. »

« Tout art est politique »

Mathilde, dans ses textes comme dans ses contenus sur les réseaux, célèbre la sororité, la solidarité, la liberté. Elle dégomme tout ce qui s’y oppose, avec force, mais aussi beaucoup d’humour. Elle chante l’amour, la beauté, la vérité. Chaque mot, chaque phrase est authentique et porteur. « Mais tout art est politique et engagé. Même quand je parle d’amour et de sujets plus « triviaux », sur des expériences intimes qui a priori ne sont pas forcément politiques, le fait que je sois une femme, grosse, qui ne donne
aucun gage physique de soumission à aucun diktat, ça fait de mon discours un discours politique, de facto. Le fait d’exister en tant que femme grosse déjà, avec une parole sur les réseaux – ma simple insoumission par le non verbal avant même que je ne dise quoi que ce soit – c’est un geste politique. »

Quant à faire de la politique au sens strict ? Oui, « s’il le faut », quand la maison crame. « Je rejoins beaucoup de mouvements quand je pense qu’il est nécessaire qu’on se réunisse, selon l’urgence du moment. Quand ça crame en face, d’abord on éteint le feu, et ensuite on continue à avoir nos différences, à s’engueuler, etc. Je pense que c’est un truc de privilégiés que de continuer à s’engueuler dans des guerres intestines de gauche. Ca me met dans une colère ! Et en face, en France, on a Marine Le Pen, Eric Zemmour, Bruno Mégret, Thaïs D’Escufon, qui n’ont pas de problèmes pour s’allier, eux ! C’est irresponsable, particulièrement pour les populations qui n’ont pas ce privilège, de continuer de s’engueuler entre bourgeois de gauche. C’est une honte. »

Cyberharcèlement: « C’est comme le compost! »

Ces prises de position politiques, Mathilde les paie. Cher. Il suffit de lire les commentaires sous ses vidéos pour s’apercevoir que la haine n’est jamais loin. Injures, sexisme, grossophobie, tout y est. Pourtant, c’est
avec humour – voire avec une touche de sarcasme – que Mathilde réplique sur ses réseaux. Le but? Donner des clés à d’autres, qui vivent les mêmes choses. « Je ne réponds jamais directement à la haine en ligne que je reçois. Je la recycle. Je recycle les déchets en contenus, pour montrer qu’on n’est pas obligées de se laisser faire. Car ‘faire comme si ça n’existait pas’, c’est encore une fois un discours de privilégiés. Car ça existe, ça me fait du mal, je vais y répondre et c’est comme ça. Par là, je donne à d’autres femmes, à une échelle peut-être plus petite, la possibilité de répondre, de s’autoriser à dire aux haters — ou à tonton Jean-Pierre qui fait des réflexions — ‘ça, c’est terminé’. On n’a pas à accepter l’inacceptable. On n’a pas à accepter de se faire tripoter les fesses, ni le cerveau. »


« Je suis grande, je suis grosse, je ne me maquille pas, j’écris des chansons où j’utilise des mots d’argot ou vulgaires, et ça dérange tout le monde. À l’époque où Gainsbourg — période Gainsbarre — le faisait, ça ne dérangeait personne et pourtant il y a beaucoup à en dire. »

— Mathilde

Belle ironie : les contenus en ligne – monétisés – de Mathilde permettent de financer des projets féministes, d’engager des femmes artistes ou techniciennes… « C’est comme le compost. Les déchets vont dans le compost et ensuite ça devient de l’engrais. Les gens qui me détestent sur internet sont mon compost, et ils deviendront l’engrais de ma future chanson, de mon futur projet. C’est l’éco-féminisme numérique ! »

Selon l’artiste, ce cyberharcèlement est étroitement lié à une perte de contact avec le réel. « Quand je rentre dans le détail de tous ces gens qui me harcèlent en ligne, je me rends compte qu’il y a beaucoup de complotistes, beaucoup de masculinistes, qui croient à des discours qui ne sont jamais connectés au réel. »

Boudée par les radios

Si Mathilde a trouvé son public en ligne et sur les réseaux, si elle remplit des salles, elle n’a pourtant pas un accès facile aux plateaux télé ou aux stations de radio. Récemment, elle offrait une prestation exceptionnelle aux Molières, la cérémonie qui récompense le monde du théâtre. Elle y interprétait son titre « Le corps des femmes », en faisant la part belle à des danseuses de tout âge, de toute condition. Standing ovation du public pourtant connu comme exigeant.

Le moment – suspendu – restera pourtant une exception. « Je suis toujours boudée par les radios parce que j’utilise des mots comme pubis, et apparemment, ça, c’est pas possible. Je ne suis pas malléable, je suis comme ça, c’est à prendre ou à laisser. Mon album se termine par une chanson qui s’appelle ‘J’veux plus mentir’. Pour moi, me déguiser en Barbie chanteuse est un mensonge. Ce n’est pas qui je suis, ce n’est pas viable. Il y a une révolution à faire dans le milieu de l’audiovisuel sur l’authenticité. Ma communauté en ligne, d’ailleurs, est présente parce que je ne présente pas un visage mensonger. »

L’inclusion: une responsabilité collective

« Comment faire pour que tout le monde profite de la culture? »

Mais revenons à la prestation scénique. Là encore, diversité, inclusion. Autour de Mathilde, une équipe de musiciens et musiciennes, et une artiste qui signe et chansigne tous les titres. « La lutte contre le validisme se prouve par les actes. La culture sourde, par exemple, est très méconnue. Je suis autrice, je crée des chansons. Je me pose beaucoup de questions sur l’inclusion. C’est notre responsabilité en tant qu’artiste. Est-ce que les personnes grosses rentrent dans les sièges ? Y a-t-il des places pour les personnes à mobilité réduite ? Comment faire pour que tout le monde profite de la culture ? Aux Molières, on a mis 10 ou 12 femmes avec moi sur scène, des danseuses représentatives de la réalité. Une femme plus âgée, une femme en fauteuil, une femme enceinte… Il faut briser cette fantasmagorie de la femme dans les médias, et revenir dans le réel. »

Elle pointe aussi du doigt le monde militant, qui « oublie » parfois les différences. « C’est très validiste de penser que tout se règle par la manif ! Quid des personnes qui ne peuvent pas sortir, en fauteuil, neurodivergentes… »

L’entretien se termine, et l’on repart avec un peu de la force et du sourire de Mathilde. Et aussi des questions qui résonnent et auxquelles on se doit, toutes et tous, de répondre, collectivement.

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB | Plus de publications

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