Le mois dernier, la FGTB sortait son baromètre socio-économique annuel, qui donne les tendances du pays en matière de santé économique, mais aussi sociale. Le constat est à nouveau le même : l’économie belge ne va pas trop mal. Le monde du travail, par contre, souffre. Alors que débutent prochainement les négociations liées à l’accord interprofessionnel (AIP), la FGTB entend bien réclamer plus que des miettes. Thierry Bodson nous explique.
Le baromètre 2024 de la FGTB montre une tendance qui n’est pas neuve. Contrairement à ce que le monde patronal prétend, l’économie ne s’effondre pas dans notre pays. Loin de là. « Combien de fois va-t-on devoir le répéter ? », se demande Thierry Bodson. « On a un bulletin de santé économique pour la Belgique qui n’est pas mauvais. L’inflation s’est stabilisée et il n’y a pas eu de spirale salaire-prix, contrairement à ce que certains avaient annoncé. »
Qui récolte les fruits ?
D’autres indicateurs attestent de la bonne forme de l’économie belge. « La croissance économique est supérieure à celle des pays voisins et de la zone euro, à l’exception des Pays-Bas qui sont juste au-dessus de nous. D’autres indices positifs : le taux de chômage qui diminue, le taux d’emploi qui augmente, particulièrement chez les femmes et les travailleurs plus âgés… »
Tout est rose en Belgique ? Non, si on compare avec les pays voisins. « Tout n’est pas parfait », relativise Thierry Bodson. L’un des gros bémols, c’est que tout le monde ne récolte pas les fruits de cette économie plutôt favorable. « Cette situation économique n’est profitable qu’aux entreprises. On voit que leur marge bénéficiaire reste de l’ordre des 40%, ce qui est beaucoup plus élevé que dans les pays voisins. Les salaires par contre, sur le long ou moyen terme, ne suivent pas l’évolution de la productivité. Donc l’argent va où ? Dans les bénéfices, et dans la rétribution du capital, qui continue d’augmenter. »
« D’année en année, on retombe presque toujours sur le même chiffre : les salaires représentent 11% des coûts de production. On en parle énormément, mais on ne parle pas des 89 autres % : soit l’énergie, les investissements, qui sont essentiels, mais aussi la rétribution du capital, les dividendes versés et les marges ! »
— Thierry Bodson, Président de la FGTB
Ne pas aller négocier l’AIP modestement
Cette année, comme tous les deux ans, représentants des travailleurs et des employeurs négocient à nouveau l’accord interprofessionnel (AIP), qui fixe les possibilités en matière de rémunération dans le secteur privé. L’AIP, rappelons-le, est strictement encadré par une marge maximale d’augmentation salariale, définie par la loi de1996, et rendue plus rigide encore en 2017. Le chiffre exact de cette marge salariale – calculé sur la base de l’évolution des salaires en Belgique en comparaison avecses 3 voisins – sera annoncé par le Conseil central de l’économie début février. Et sera, probablement, proche de zéro. La FGTB continue de contester la manière dont ce « handicap salarial » est calculé aujourd’hui, notamment parce que les milliards de subsides salariaux accordés aux entreprises ne sont pas pris en compte.
Et Thierry Bodson de résumer le propos par une conclusion simple : il est possible d’augmenter les salaires bien au-delà de cette marge imposée. « On voit dans notre baromètre que l’économie ne va pas si mal, mieux que dans les pays voisins. Mais en parallèle on a, avec la loi de 1996, un blocage des salaires qui ne dit pas son nom. Donc on ne va pas aller négocier l’AIP de façon modeste. Nous n’avons pas de raison d’accepter ce ‘logiciel’ qui nous impose des miettes d’augmentation salariale ! On ne va donc pas accepter de travailler sur les chiffres produits par le CCE. Quand on sentira la tendance, il faudra faire tourner notre logiciel à nous, pour donner notre chiffre,celui qui nous semble juste. »
Santé et pouvoir d’achat en danger
Car le monde du travail, lui, en attend plus. Le mal-être est persistant parmi les travailleurs et travailleuses. Le nombre de malades de longue durée et de burnouts en atteste. Et la situation pourrait bien se dégrader davantage, nous dit le président de la FGTB, si l’on en croit les mesures annoncées par le duo De Wever-Bouchez. « Les décisions politiques continuent de vouloir imposer plus de flexibilité, une réduction du pouvoir d’achat pour certains, notamment les gens qui travaillent la nuit et le week-end, etc. On ne peut pas accepter des annonces comme celles-là alors que les travailleurs vont de plus en plus mal. Les chiffres que nous avons nous permettent de contester cette politique. On sera donc très vigilants lors de l’analyse d’une déclaration gouvernementale, dès qu’elle arrivera, mais également lors des négociations préparatoires. Surtout sur la flexibilité et le pouvoir d’achat. La droite veut toucher à l’indexation automatique, au calcul de la pension anticipée… Une fois de plus ce sont ceux qui travaillent ou qui ont travaillé qui vont perdre des centaines d’euros chaque mois ! »
Inégalités qui s’accumulent
Le baromètre socioéconomique 2024 de la FGTB met également l’accent sur des inégalités au sein même de la formation des salaires. « Il y a les hauts et les bas salaires, bien sûr, mais ça va plus loin. D’autres inégalités persistent, on a voulu insister là-dessus. Prenons par exemple les avantages extralégaux : la voiture de société, les primes, etc. profitent toujours à celles et ceux qui ont déjà les salaires les plus hauts. En bref, plus le salaire est élevé, plus on a d’avantages extralégaux. Les stock options, par exemple, passent entre les filets de la loi de 96… Les patrons veulent limiter l’augmentation des salaires, mais ne veulent pas qu’on touche à ces rémunérations alternatives ! Et en parallèle, on a toujours en Belgique un salaire minimum qui est à la traîne par rapport aux pays voisins, malgré les améliorations négociées lors de l’avant-dernier AIP. »
En bref et pour conclure, « il y a de la marge pour faire mieux », mais il s’agit avant tout d’une question de volonté politique. Aujourd’hui, la droite ne semble pas aller dans le sens d’une amélioration des conditions salariales et du pouvoir d’achat des travailleurs, contrairement à ce qu’elle a prétendu durant toute sa campagne électorale.
On sera donc très vigilants lors de l’analysed’une déclaration gouvernementale, dès qu’ellearrivera, mais également lors des négociationspréparatoires. Surtout sur la flexibilité etle pouvoir d’achat. La droite veut toucherà l’indexation automatique, au calcul de lapension anticipée… Une fois de plus ce sontceux qui travaillent ou qui ont travaillé qui vontperdre des centaines d’euros chaque mois ! »