2022 est à nos portes, et voici presque deux ans que notre pays vit au rythme de la pandémie. Où en sommes-nous, aujourd’hui ? Le baromètre socio-économique 2021 de la FGTB fait le point.
En ne regardant pas trop aux (gros) détails qui ont modifié notre façon de vivre, l’on peut dire que notre société semble être entrée aujourd’hui dans une « nouvelle normalité ». Pourtant, la crise reste aiguë, même si les séquelles encore visibles se font discrètes. Certains secteurs restent largement tributaires des décisions prises le vendredi, au gré de l’évolution du virus et de ses variants. De nombreux ménages ont subi perte(s) d’emploi, baisses de revenus, période de chômage temporaire prolongée… Les secteurs des soins continuent, dans l’ombre, de porter à bout de bras une situation sanitaire complexe.
Des amortisseurs qui ont permis de rester à flot…
Néanmoins, grâce à des amortisseurs performants, notre société, même gravement blessée, est restée debout. Notre économie reprend du poil de la bête, et cela beaucoup plus vite que prévu. La sécurité sociale, ici, a très clairement joué un rôle essentiel.
La qualité des soins de santé
Ce que la crise a prouvé, c’est que notre système public de soins de santé a permis de sauver des vies, d’assurer un rôle de prévention indéniable, et ce, pour toutes et tous, riches ou pauvres. Un système de santé, qui plus est, de très haute qualité. Selon les données de l’Euro Health Consumer Index 2018 — qui établit un parallèle entre qualité des soins de santé et dépenses publiques qui y sont liées — la Belgique se retrouve dans le haut du classement. Toutefois, force est de constater que, sur le terrain, les économies et le manque d’investissements dans ce secteur mettent en péril la qualité de ces soins.
L’efficacité de notre sécu’
Parallèlement, les pouvoirs publics – souvent sous l’impulsion des interlocuteurs sociaux – ont permis d’atténuer les pertes de revenus des familles. Selon la Commission européenne, en Belgique, sans l’intervention des pouvoirs publics, le revenu moyen disponible des ménages aurait baissé de 4 %. Avel l’intervention, l’effet se limite à 2 %. Ce chiffre est une moyenne sur l’ensemble de la population : la crise a en effet frappé des groupes spécifiques plus durement que d’autres.
Au plus fort de la crise, plus d’un million de personnes ont été soutenues par le système du chômage temporaire. Certaines pour quelques jours par mois, d’autres pour des durées bien plus longues.
Un soutien – déséquilibré – aux entreprises
En parallèle, les pouvoirs publics ont sorti un véritable arsenal de soutien aux entreprises. Ce soutien était nécessaire pour de très nombreux secteurs, mais reste néanmoins critiquable. On ne peut s’empêcher de constater le déséquilibre important entre les aides aux entreprises et celles aux ménages. En cause, des aides aux entreprise non-ciblées, trop généralistes.
- 8,4 milliards d’euros ont été alloués aux ménages, sur lesquels 5,7 milliards € d’indemnités de chômage temporaire peuvent également être considérés comme une subvention aux entreprises, puisque le gouvernement prend en charge partiellement la masse salariale.
- 19,8 milliards d’euros sont allés directement aux entreprises, sans compter les garanties bancaires fournies par les différents gouvernements.
Avec, en plus de de ce goufre d’écart au niveau des montants, un traitement fiscal différencié:
« Les chômeurs temporaires ont pu compter sur un revenu de remplacement qui, grâce à la FGTB, a pu atteindre 70 % du salaire brut plafonné (+ un supplément de 5,63 €/jour). Cette mesure a bénéficié au plus fort de la crise à 1.145.571 travailleurs et travailleuses. (…). Malheureusement, nous n’avons pas pu obtenir l’égalité de traitement fiscal entre le chômage temporaire et le droit passerelle. Sur le droit passerelle, seule une taxe de 16,5 % est prélevée et aucune cotisation sociale ne doit être payée. Tandis que les indemnités de chômage temporaire donnent lieu au paiement de l’impôt personnel « normal » et des cotisations sociales.
Baromètre socio-économique 2021, FGTB
Mesures sanitaires et télétravail: l’importance du dialogue social
Si l’on se remet dans le contexte des débuts de la crise, on se souvient de la mise en œuvre parfois laborieuse des très nombreuses mesures de protection de la santé et de la sécurité au travail. La concertation sociale a été cruciale à cet égard. Citons notamment la création du guide générique, qui encadre une reprise la plus saine possible du travail.
Le dialogue social a également été crucial dans la modification drastique du contexte de travail. Pour une majorité de salariés, le télétravail est devenu la règle. Le taux de télétravail en Belgique pendant la crise a d’ailleurs été le plus élevé de toute l’Union européenne. Une situation complexe, qui compte également son lot d’inégalités, et qui pèse lourd, à la fois sur la santé mentale que sur les relations de travail et la solidarité.
Des failles qui restent profondes
Tous égaux face au virus ?
Pas vraiment. Que l’on parle des impacts du virus sur la santé ou sur le porte-feuille, ils diffèrent en fonction des revenus ou de la position sociale des personnes. Les inégalités de revenus, en effet, ont une influence significative sur le risque de mortalité. Une donnée déjà vérifiée avant l’arrivée du covid… Selon les données de Solidaris, la mortalité liée au coronavirus chez les personnes âgées à faible revenu est trois fois plus importante que chez les personnes à revenu élevé.
« Indépendamment du coronavirus, les inégalités de santé sont profondes. La santé et l’espérance de vie dépendent du statut social (niveau d’éducation, statut d’activité, niveau de revenu). Plus ce statut est faible, plus les risques pour la santé sont élevés. Un facteur qui est souvent omis dans d’autres débats, comme celui des pensions. L’espérance de vie augmente, mais cela ne signifie pas que tout le monde vit plus longtemps et en meilleure santé. »
Baromètre socio-économique 2021, FGTB
Encore plus de pauvreté
Un chiffre, pour commencer. En 2020, les banques alimentaires ont distribué 24 % de repas en plus qu’en 2019. Le nombre de bénéficiaires du RIS (revenu d’intégration sociale) a également augmenté considérablement. Parmi ces nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale, deux tiers sont des femmes.
Pour de nombreux publics déjà vulnérables, le covid est venu en « rajouter une couche ». « L’enquête menée par la BNB en mai 2020 a révélé que les pertes de revenus moyennes dues à l’effet corona étaient plus élevées pour les ménages aux revenus les plus faibles. » En cause ? Les contrats flexibles et temporaires ont « sauté » les premiers en début de crise… Les emplois les moins bien payés sont aussi ceux qui ont le plus été frappés par le chômage, temporaire ou complet.
Autre exemple : les personnes à la recherche d’un emploi – particulièrement les moins qualifiées – ont eu plus de mal à en retrouver un pendant la crise du coronavirus. Enfin, citons les travailleurs des plate-formes. Ces travailleurs particulièrement fragiles ont joué un rôle important dans la continuité de certains services, dont les livraisons à domicile. Ils ont également été particulièrement exposés au virus, sans jamais recevoir de protection adéquate, nivoir leurs condition de travail améliorées.
Accès au numérique: une fracture ouverte
Plus que jamais, pendant cette crise, la fracture numérique a montré qu’elle n’était pas une légende. Entre les périodes de télétravail, d’école à domicile, la numérisation accélérée de nombreux services – notamment l’accès à la vaccination – , il est devenu quasiment essentiel de disposer d’un accès à internet et de compétences numériques. Pourtant, on le sait, il existe de grandes inégalités en la matière. « 10 % des élèves des écoles primaires dont le revenu familial est inférieur à 1 900 € par mois ne disposent pas d’une connexion Internet. Par exemple, plus de 60 % des 20 % des revenus les plus faibles n’ont pas ou peu de compétences numériques. En revanche, près de 80 % des personnes ayant des revenus plus élevés ont des compétences numériques élevées. »
L’Institut pour l’égalité entre les hommes et les femmes souligne une différence significative entre les sexes en matière de digitalisation : 27 % des femmes et 18 % des hommes ayant un faible niveau d’éducation n’ont pas utilisé Internet au cours des trois derniers mois. En cette période où, plus encore qu’habituellement, on mise sur la diffusion des informations par voie électronique, les femmes peu diplômées constituent clairement un groupe vulnérable.
Baromètre socio-économique 2021, FGTB
Les héros sont souvent des héroïnes
Et les femmes ? Comme souvent, elles paient le prix de l’inégalité. Davantage de femmes travaillent en effet dans les secteurs où l’impact du virus est le plus important.
La charge mentale pèse également lourdement. Des chiffres européens montrent la grande inégalité entre les hommes et les femmes en termes d’inconfort physique et mental causé, entre autres, par le télétravail, les femmes continuant en parallèle d’assumer la plus grande part des tâches ménagères et de soins à la famille.
Charge mentale, violence, inégalités
« Beaucoup de « héros » sont des « héroïnes ». Ce sont les femmes qui soignent et nettoient à domicile, à l’hôpital ou en maison de repos. Des femmes seules qui doivent renoncer à travailler pour s’occuper de leurs enfants bloqués à la maison. Des femmes, encore, qui ont subi l’augmentation de la violence conjugale. Le congé parental corona a été une des mesures prises très rapidement par le gouvernement, dès mai 2020, afin de fournir une solution aux familles qui se sont retrouvées confinées avec des enfants à la maison (puisque les écoles étaient fermées). Cette mesure, neutre à première vue, s’est révélée être une mesure qui a creusé les inégalités de genre, en particulier en termes de revenus. En effet, ce congé a été pris majoritairement par les mères. Cela signifie qu’elles se sont retirées — temporairement et partiellement ou complétement — du marché de l’emploi afin d’assurer des missions de soins avec des conséquences sur leurs revenus. Malgré l’allocation majorée, la prise de ce congé représente une perte de revenus. »
Les défis d’aujourd’hui
Comment notre société peut-elle sortir plus forte de la crise Corona ? Plusieurs pistes figurent dans le baromètre socio-économique 2021 de la FGTB.
De meilleurs salaires
La crise a montré une fois encore que de nombreux travailleurs gagnent beaucoup trop peu. Les Belges sont très productifs. Pourtant, leurs salaires ne sont pas proportionnels à cette productivité. Depuis 1996, la productivité a progressé de plus de 12 % plus vite que les salaires.
Les salaires sont donc à la traîne. La loi sur la formation des salaires (dite de ‘96) ne permet pas de changer la donne ; elle doit être réformée en profondeur, dans l’intérêt du monde du travail. Année après année, la marge de manœuvre pour négocier des salaires décents dans les secteurs devient de plus en plus réduite.
« L’accord social de juin 2021 qui prévoit l’augmentation du salaire minimum dans les années à venir est un premier pas et constitue une étape importante dans notre lutte pour un salaire minimum de 14 € brut par heure et 2 300 € brut par mois. »
Baromètre socio-économique 2021, FGTB
Une sécurité sociale forte et refinancée
Pour la FGTB, pas de mystère : il faut un renforcement du caractère fédéral et public de la sécurité sociale, ainsi qu’un financement solide de cette dernière. « Entre 2016 et 2018, le tax shift a réduit les les cotisations patronales de 32,4 % à 25 %. Selon le Bureau du Plan, cela a coûté 5,8 milliards d’euros, car le manque à gagner causé par le taxshift n’a pas été compensé. Il n’y a pas eu de financement alternatif. Par ailleurs, les contrats de travail flexibles et les rémunérations alternatives – voitures de fonction, chèques de toutes sortes, options sur actions, etc.- ont été encouragées fiscalement, ce qui a entraîné une diminution des recettes pour la sécurité sociale. »
Des investissements urgents
Enfin, cette crise présente une opportunité d’investir durablement dans l’avenir. « Nous sommes confrontés à de nombreux défis, notamment en matière de transition vers une société bas carbone. Pour les relever, des investissements importants sont nécessaires. Or l’investissement public est à la traîne dans notre pays tant par rapport au passé (5,5 % du PIB dans les années 1970) que par rapport à des pays de référence comme les pays scandinaves (4 % du PIB par an) et les Pays-Bas ou la France (plus de 3 % du PIB par an). »
La « nouvelle normalité » ne doit pas se contenter d’être un mauvais remix de l’ancienne. Fiscalité juste, bien-être au travail, formation, transition juste, lutte contre la pauvreté… Autant de chantiers qui sont sur la table, et qui doivent être pris à bras le corps, pour que le monde d’après soit plus juste, plus équitable, plus propre.
L’ensemble des chiffres, statistiques et graphiques de ce Baromètre socio-économique 2021 sont disponibles ici.