Ce jeudi 18 décembre, la FGTB présentait à la presse son traditionnel baromètre socio-économique, dans un climat politique particulièrement tendu. Cette édition 2025 avait par ailleurs une résonance particulière : il s’agissait de la dernière intervention « presse » de Thierry Bodson en tant que président de la FGTB, à la veille de son départ à la pension.
Devant plusieurs journalistes – dont Syndicats Magazine –, aucune place, toutefois, à la nostalgie. Avec la même rigueur et la même détermination qu’à l’accoutumée, Thierry Bodson a décodé les 80 pages d’un dossier en béton élaboré par les économistes de la FGTB. Un travail minutieux, chiffres à l’appui, pour déconstruire les discours et fausses promesses de l’Arizona.
Lunettes sur le nez, dossier en main, Thierry Bodson déroule méthodiquement les constats. « Ce baromètre permet de montrer à quel point les déséquilibres sont persistants et de plus en plus importants », souligne-t-il d’emblée.
« Systématiquement et uniquement » à charge des travailleurs
Celui qui vivait ses dernières heures comme président de la FGTB fait la liste des récentes décisions gouvernementales : plafonnement de l’indexation, augmentation des flexi-jobs, limitation du préavis, contrats à 1/10e temps, retour de la période d’essai, heures supplémentaires dites volontaires, modification des règles du travail de nuit…
« Il n’y a pas une seule décision sans impact négatif sur les travailleurs et travailleuses », dénonce-t-il. Sans compter les attaques contre les pensions, la limitation dans le temps du chômage ou encore la suppression de l’enveloppe bien-être. « On voit un ensemble de mesures qui sont systématiquement et uniquement à charge des travailleurs ».
Fiscalité? Idem
Sur le terrain fiscal, le constat est le même. « Là aussi ce sont les citoyens qui vont payer ». Rabotage du quotient conjugal, déductibilité réduite des pensions alimentaires, révision de la fiscalité sur le chômage — y compris le chômage temporaire — : « Tout le monde va le sentir passer, sauf les épaules plus larges ». À cela s’ajoutent l’augmentation des taxes communales et celle de la TVA sur une série de produits de consommation.
En parallèle, les plus riches restent largement épargnés. « Il n’y a rien sur le capital », insiste Thierry Bodson. Et lorsque le gouvernement évoque un « rééquilibrage » via une taxe sur les titres? « Ce ne sont pas les ultra-riches qui sont touchés, mais éventuellement une classe moyenne aisée ». La taxe sur les grosses fortunes, elle, reste absente. « Pour les travailleurs, par contre, la note est très lourde. »
« L’amateurisme est la marque de fabrique de ce gouvernement »
En matière salariale: pas d’amélioration en vue, alors que la loi de 1996 continue de bloquer toute négociation. L’indexation, rempart ô combien indispensable, ne suffit toutefois plus à préserver le pouvoir d’achat réel des travailleurs. « Et avec les mesures actuelles, ce sera pire », alerte Thierry Bodson. Il pointe en particulier les effets concrets des deux « sauts d’index » partiels qui s’appliqueront à une large partie de la population en 2026 et 2028. « 4.000 euros brut, beaucoup de gens y sont déjà. C’est un tout petit peu plus que le salaire médian! 2000€de pension, ça concerne également beaucoup de gens. Et du côté du gouvernement, ils ne sont même pas certains de comment ils vont faire pour appliquer cette mesure », poursuit-il. « Qu’est-ce qui sera comptabilisé pour arriver à ces 4000€? Les primes ? Le double pécule de vacances ? Aujourd’hui on n’en sait rien, ils n’en savent rien. L’amateurisme est la marque de fabrique de ce gouvernement ».
Du jamais vu? Thierry Bodson nuance. « Le gouvernement Dehaene, à la fin du vingtième siècle, avait mis en oeuvre des mesures que l’on pourrait estimer comparables à celles que nous vivons aujourd’hui. Le projet était alors d' »entrer dans l’euro ». Il y avait au moins un projet, et il a abouti. Ici, on fait tout aussi mal – si pas plus – à la population, mais on nous dit en parallèle que les déficits vont continuer à augmenter, et que demain ce sera pire. Donc l’un des grands objectifs annoncés du gouvernement, celui de réduire les déficits, ne sera pas atteint. C’est zéro pointé. »
Le fléau de la flexibilité
La flexibilité accrue constitue un autre des fils rouges du baromètre 2025.« Contrats à 1/10e temps à la place du tiers temps, extension des flexi-jobs, multiplication des contrats étudiants, modification des conditions du travail de nuit, essor du travail de plateformes, heures supplémentaires dites volontaires… À cela s’ajoute une réalité déjà bien installée : près de 10 % des travailleurs occupent aujourd’hui un contrat temporaire, tandis que le nombre de jours de congé et de jours fériés reste inférieur à celui des pays voisins. La réintroduction de la période d’essai vient encore renforcer cette flexibilité. »
Les conséquences humaines sont lourdes. La santé des travailleurs paie très cher. Les burn-out se multiplient pendant que les portes de sorties en fin de carrière se ferment. Thierry Bodson est là encore dubitatif quant aux objectifs affichés par le gouvernement. « J’ai du mal à comprendre comment, en jouant avec la santé des travailleurs et en les empêchant d’arrêter plus tôt, on va diminuer le nombre de malades de longue durée! »
De la précarité à la pauvreté
Le baromètre met également en évidence une dynamique préoccupante en matière de pauvreté et de déséquilibres sociaux. « Alors que le taux de pauvreté était resté relativement stable ces dernières années, notamment grâce à l’amélioration du salaire minimum et de la pension minimale, on va maintenant clairement dans la mauvaise direction », avertit Thierry Bodson. Les exclusions du chômage, en particulier, vont mécaniquement faire grimper ce taux. « Entre un tiers et 40 % des personnes exclues sont des cohabitants, et surtout des cohabitantes. « Ces ménages vont repasser sous le seuil de pauvreté », alerte le président de la FGTB.
Au-delà des revenus, les inégalités se manifestent aussi ailleurs. Thierry Bodson pointe une réalité contre-intuitive : les quartiers aux revenus les plus élevés bénéficient souvent d’un meilleur accès aux services publics que les quartiers populaires, renforçant encore les déséquilibres existants.
Et pourtant, l’économie va plutôt bien. « Mais la répartition de la richesse créée continue de pencher en faveur du capital plutôt que du travail ». La Belgique consacre par toujours des montants particulièrement élevés aux subsides salariaux, largement supérieurs à ceux observés dans les pays voisins où ils sont parfois quasi inexistants. La marge brute des entreprises demeure élevée, avec un différentiel d’environ dix points de pourcentage par rapport aux pays voisins. Enfin, les rémunérations alternatives continuent de se développer — 8,5 milliards d’euros, et jusqu’à 14 milliards si l’on inclut le deuxième pilier de pension — sans bénéficier à l’ensemble des travailleurs, creusant là encore les inégalités.
Derrière les tableaux, les pourcentages et les graphiques, ce sont des réalités humaines qui se dessinent : des fins de mois plus difficiles, des carrières plus précaires, des corps usés plus tôt, des protections sociales détricotées. Les chiffres ne sont jamais neutres. Ils racontent des choix politiques. Et ils appellent, plus que jamais, à un autre partage des richesses, à une société plus juste et plus solidaire.
Consulter le baromètre socio-économique 2025
