Forest. Ce mardi 20 août, première assemblée du personnel chez Audi Bruxelles, depuis l’annonce de la direction de son intention de mettre fin à l’activité sur le site. Sur le fil: 3000 emplois directs, dont 1500 déjà menacés dès la fin du mois d’octobre. S’y ajoutent de très nombreux postes indirects chez les sous-traitants. En ce matin d’été, ils sont venus nombreux, présents, attentifs. « Audi est à nous », peut-on lire sur les banderoles. Un peu plus loin, l’entreprise, portes closes, affiche toujours un panneau vantant les mérites de son outil. On peut y lire, en anglais, un message qui se veut accueillant : « Bienvenue dans l’usine du futur ». Un futur qui pourrait s’arrêter, selon les annonces d’Audi, fin 2025.
Paroles de travailleurs
« Ça va, toi? » « On fait aller, tiens. On attend. » Ils étaient 2000, à attendre, en ce mardi matin sur le parking de l’entreprise. Le 9 juillet dernier, veille des vacances, annonce brutale de la direction: « ils veulent fermer l’usine ». Depuis, c’est l’incertitude, teintée d’angoisse. Des bruits circulent, on parle de « projets » pour l’usine, sans en connaître la teneur ou l’ampleur, ni même la réalité. Dans les rangs, on se questionne, on cherche l’espoir dans les paroles de l’autre. « Tu y crois, toi? Qu’est-ce que tu en penses? » On ne sait pas.
Unis et solidaires.
« Pour obtenir le meilleur résultat possible pour toutes et tous, il faut rester unis et solidaires. Une solidarité qui ne se limite pas aux murs de l’usine mais qui englobe tous les travailleurs sous-traitants. »
Dans la foule, de nombreux travailleurs de chez Audi Bruxelles, et de nombreux sous-traitants, eux aussi victimes indirectes d’un projet dévastateur, qui coûterait des milliers d’emplois à la région. Devant eux, les représentants syndicaux rouges et verts, en front commun, s’apprêtent à faire le point.
Déception
Grégory Dascotte est secrétaire permanent MWB, et ancien ouvrier et délégué sur ce même site d’Audi Bruxelles. Il est interpellé à chaque pas par des travailleurs anxieux. « Les gens le vivent très mal. Dans une usine comme celle-ci, quant on y rentre, on a tendance à penser qu’on va y passer la majorité de sa carrière, voire la totalité. Même si c’est de moins en moins souvent le cas, même si on a vécu une grosse restructuration en 2006. De nombreux travailleurs ici sont très proches de leur fin de carrière, ils ont passé plus de 30 ans ici… Ces gens sont déçus, choqués. » Quid de l’avenir? Trop tôt pour le dire. « La direction laisse croire qu’il pourrait y avoir des projets, mais sans citer lesquels. Est-ce que c’est pour 300 personnes, pour 1000? On n’en sait rien. Notre objectif aujourd’hui, c’est de maintenir une activité dans la construction automobile. »
« Les raisons invoquées sont bidon »
Début juillet, la direction d’Audi a donc annoncé son intention de procéder à une restructuration de son usine bruxelloise, et l’arrêt de la production du modèle Q8 e-tron. Le constructeur automobile allemand invoque notamment l’emplacement difficile de la fabrique, qui est dite « enclavée » et difficilement accessible pour les sous-traitants.
Des raisons « bidons » selon Grégory Dascotte et les autres représentants syndicaux. « Sur un site comme celui-ci, on a tourné en 4 équipes, on a fait plein de modèles différents sur la même ligne de production, ça n’a jamais posé problème. Une année, on a construit 300 000 voitures. En des termes mondiaux, ce ne sont pas des gros volumes, mais si l’on regarde les besoins actuels en matière de véhicules électriques, c’est plus qu’assez! La seule vraie raison, c’est que l’Audi Q8 ne se vend pas. Et pourquoi? Parce qu’il y a un manque de stratégie claire au niveau européen et national, mais aussi un manque d’investissement dans la recherche et le développement, pour des batteries plus performantes notamment. Il y a aussi un manque de clarté quant à la mobilité du futur en général, qui a un impact sur la décision d’achat d’une voiture. »
« Audi est à nous, c’est une réalité économique »
Olivier Van Camp, Secrétaire permanent SETCa, complète. « La capacité de cette usine est énorme, les ressources aussi. « Audi est à nous », ce n’est pas qu’un slogan. C’est une réalité économique. Tous les travailleurs, sur la période d’assemblage de l’Audi e-tron, ont permis de réaliser un chiffre d’affaires de 14 milliards d’euros, un bénéfice de presque 103 millions d’euros. Sans compter les subsides 157 millions reçus par Audi, payés par nos impôts, au détriment de la sécurité sociale. »
« 33 ans aujourd’hui »
Patrick Van Belle est délégué principal SETCa chez Audi Bruxelles. Le 20 août, pour lui, c’est une date spéciale. « Aujourd’hui, ça fait 33 ans que je travaille ici », nous dit-il. La situation actuelle, il dit la vivre « très mal ». Il déplore le silence et la méthode de la direction. « Pour nous, c’est la deuxième fois après 2006, où on a vécu une situation un peu identique. La direction garde le silence, nous donne très peu de perspectives pour l’avenir… Ce qui nous a été présenté le 9 juillet, c’est en fait une fermeture en deux temps. Ils ont utilisé une période creuse pour annoncer ça. C’était un mardi en soirée, l’usine était quasiment vide… Et dans la nuit, ils ont prévenu par message que l’usine serait fermée le lendemain… Avec des cadenas, et tout. Impossible de rentrer dans l’usine dès le mercredi 10 juillet. »
« Ce que l’on veut, c’est garder un maximum d’emplois sur le site. Qui est l’un des sites les plus performants du groupe! »
— Patrick Van Belle, délégué SETCa
Patrick explique que la direction, ce jeudi lors d’un conseil d’entreprise extraordinaire, tentera probablement de rouvrir les portes et de faire reprendre le travail au personnel d’Audi. « Mais ce sera très difficile. Soyons clairs: les gens ne savent pas s’ils pourront rester après le mois d’octobre ou pas, puisqu’on parle de 1500 licenciements à cette échéance! Comment motiver ces gens s’il n’y a pas un futur qui est annoncé? »
« Les gens ont fait d’énormes efforts »
Stavros Hatzigeorgiou est délégué métallo chez Audi Bruxelles. Ici, tout le monde le connaît, le salue. Que l’on soit vert ou rouge, la camaraderie l’emporte. Il faut dire qu’Audi Bruxelles, c’est son jardin, sa maison. Il y travaille depuis 39 ans. « Je suis rentré ici le 4 septembre 1984 », nous dit-il fièrement. Selon lui, ce qui fait le plus mal depuis l’annonce de la direction, c’est que malgré les nombreux sacrifices endurés par les travailleurs et travailleuses ces dernières années, le respect ne suit pas. « Les gens ont fait d’énormes efforts, ont accepté la flexibilité… On a travaillé des samedis… Et maintenant, rien que pour que les actionnaires puissent faire plus de profits, on nous annonce qu’on veut fermer l’usine? Je trouve d’ailleurs que les gens sont encore assez calmes par rapport à l’ampleur de ce qui leur arrive. »
« Ce qui compte c’est l’emploi »
Si la nouvelle est arrivée de manière abrupte en ce début juillet, un vent mauvais soufflait déjà ces derniers mois. « Ils avaient déjà licencié 371 intérimaires », poursuit Stavros. « On pensait alors à une ‘petite’ restructuration, mais en réalité ils préparaient déjà ce qui se passe aujourd’hui. On parle toujours des 3000 emplois directs qui seraient perdus chez Audi, mais il ne faut pas oublier tous les sous-traitants qui travaillent pour le groupe, et ça c’est plein, plein d’autres personnes. Vous savez, il y a près d’ici un snack où je vais manger de temps en temps à midi. Le gars m’a dit ‘Si l’usine ferme je vais devoir licencier une partie de mon personnel’. Ça va toucher beaucoup plus de gens qu’on ne pense. »
« Vous savez, il y a près d’ici un snack où je vais manger de temps en temps à midi. Le gars m’a dit ‘Si l’usine ferme je vais devoir licencier une partie de mon personnel’. Ça va toucher beaucoup plus de gens qu’on ne pense. »
— Stavros Hatzigeorgiou, délégué métallo
Qu’attendent Stavros et ses collègues aujourd’hui? « On garde espoir. On veut le maintien de l’outil, le maintien de l’activité. Ils peuvent bien nous promettre des primes de départ, mais quelle que soit la somme qu’ils nous donneront, l’argent, ça part. Ce qui compte c’est l’emploi. Car on va se retrouver avec des gens trop jeunes pour la prépension, trop vieux pour retrouver du travail, puis des jeunes qui démarrent dans la vie, qui ont des prêts, des enfants, des projets. Nous ce qu’on veut, c’est un projet pour l’usine. » « Parce que l’usine est à vous? » « Oui, parce que l’usine est à nous ».
Se passer d’un tel outil: « une aberration »
Aujourd’hui, chacun espère le meilleur, en fonction de son âge ou de sa situation: le maintien de l’emploi, un projet clair, un départ dans les meilleures conditions voire une « prépension » anticipée… Les représentants syndicaux le martèlent: « Pour obtenir le meilleur résultat possible pour toutes et tous, il faut rester unis et solidaires. Une solidarité qui ne se limite pas aux murs de l’usine mais qui englobe tous les travailleurs sous-traitants. Que voulons-nous? La première chose, c’est un avenir industriel dans l’assemblage automobile. Car c’est une aberration de se passer d’un site aussi performant et à la pointe. Nous sommes convaincus qu’un modèle ou des volumes peuvent encore être attribués à Bruxelles. »
Dans la rue le 16 septembre
Dès ce jeudi, le volet technique des négociations s’engagera entre syndicats et employeur, durant la phase d’information et consultation. Le terrain, aussi, s’active. « Ce sera une lutte de longue haleine qui devra prendre plusieurs formes. Il faut consolider notre lutte, l’élargir. Toucher la population, les politiques, l’ensemble des secteurs industriels. » Une large manifestation aura d’ailleurs lieu le lundi 16 septembre, pour Audi, et pour l’avenir de l’industrie en Belgique.
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