Le secteur du transport connaît un succès jamais vu. « Notre secteur connaît un essor jamais vu jusqu’ici et ce malgré le Brexit et la crise corona. ». Ce n’est pas moi qui le dis, mais bien l’UPTR, l’une des fédérations patronales du transport. Et le grand patron de la Febetra, Philippe Degraef, le confirme : « Pour la première fois depuis longtemps, les transporteurs belges réalisent des chiffres nettement positifs (= +7% en 2021 par rapport à 2020), selon les statistiques LKWMaut ». Et le bureau BDO souligne que la situation financière du secteur peut être qualifiée d’excellente.
Ne serait-il pas temps pour les employeurs de sortir de leurs tranchées idéologiques ? D’abandonner leur opposition à la mise en œuvre du Paquet Mobilité? Et de se battre avec les syndicats pour améliorer l’attrait du métier de chauffeur de camion ?
Pourquoi les fédérations patronales remettent-elles en question le Paquet Mobilité ?
Depuis le 2 février, les routiers qui passent une frontière doivent l’introduire « physiquement » dans leur tachygraphe. C’est l’une des mesures prises en exécution du Paquet Mobilité. Son but? Mieux contrôler les opérations de cabotage et donc lutter contre le dumping social.
Les fédérations patronales belges Febetra, TLV et UPTR se sont empressées de crier au scandale. Il y aurait des « files interminables » aux frontières entre les Etats membres.
En réalité, il y a bien eu quelques difficultés à la frontière franco-belge en raison de contrôles de la gendarmerie française, et encore, dans une seule direction. Les employeurs en profitent pour discréditer les contrôles du cabotage. Et pour plaider pour un report de ces mesures, jusqu’à la généralisation des nouveaux tachygraphes avec GPRS intégré.
Il n’y a rien de nouveau sous le soleil
L’encre du Paquet Mobilité était à peine sèche que les employeurs ont exercé une pression sur les ministres régionaux du transport. Une pression telle que ces derniers ont fini par déposer plainte contre le volet cabotage du Paquet Mobilité auprès de la Cour de justice européenne. Ils se ralliaient ainsi à une plainte déposée par Malte. Un état connu pour héberger des constructions qui facilitent le dumping social. Il est d’ailleurs curieux de constater que les divers ministres de la Mobilité n’aient pas jugé nécessaire de consulter les organisations des travailleurs sur ce sujet, suivant ainsi aveuglément les employeurs.
A partir du 22 février, les camions devront retourner régulièrement à leur centre opérationnel. Une obligation que les milieux patronaux contestent également. En pratique, les camions de l’Europe de l’Est qui opèrent en Europe de l’Ouest devront rentrer régulièrement chez eux entre les missions. Pour les chauffeurs concernés, ce sera un plus. Ils pourront en effet retrouver régulièrement leur famille et mener une vie sociale normale. Cette mesure réduira aussi le dumping social et rectifiera quelque peu les différences entre Ouest et Est en ce qui concerne les coûts salariaux.
Mais là encore des voix critiques s’élèvent du côté patronal. TNL, la fédération patronale hollandaise, a plaidé l’an dernier pour un report de cette mesure. Plusieurs Etats membres de l’Europe de l’Est la contestent auprès de la Cour de justice européenne. Enfin, la commissaire européenne Valean a également essayé de la faire disparaître. En vain !
Les syndicats défendent le Paquet Mobilité !
Les syndicats sont-ils les seuls défenseurs d’un compromis qui doit nous aider à assainir le secteur du transport et à bannir les pratiques de dumping social ? Pourtant, ni l’ETF, la Fédération européenne des travailleurs du transport, ni l’UBT-FGTB n’étaient heureuses à 100% du Paquet Mobilité. Elles auraient voulu bien plus. Mais ce compromis était un important pas en avant.
Un pas en avant. C’est ce que les employeurs devraient faire également. Cesser de protéger les organisateurs du dumping social et coopérer avec les organisations syndicales et le monde politique pour bannir la concurrence déloyale.
En menant des combats d’arrière-garde contre des volets du Paquet Mobilité, les fédérations patronales rendent un mauvais service aux chauffeurs et aussi à leurs employeurs.
S’attaquer à la pénurie de chauffeurs !
Partout dans le monde, on est confronté à une pénurie de chauffeurs routiers. En Belgique, on fait état d’un manque de 8.500 chauffeurs. Aux Pays-Bas, de 10.000 chauffeurs, en Allemagne de 80.000 et en France de 40.000. En Grande-Bretagne, l’approvisionnement a été temporairement menacé à cause du Brexit ; il y aurait 100.000 postes de routiers vacants. Il est frappant de constater qu’un million de Britanniques disposent d’un permis de conduire mais ne trouvent apparemment pas le chemin du secteur. En Belgique, 100.000 personnes disposent d’un permis de conduire C, sélection médicale comprise, mais elles n’ont pas de certificat de capacité professionnelle. Autrement dit, si elles suivaient la ‘formation code 95’ pendant 5 jours, ils pourraient commencer immédiatement à travailler comme chauffeur de camion. Pourquoi ne le font-elles pas ? Pourquoi est-il si difficile de trouver du personnel ?
Salaires trop bas
La réponse est évidente. Les salaires sont tout simplement trop bas. Avec les salaires horaires en vigueur, un chauffeur doit prester 50 heures par semaine pour disposer d’un revenu décent. Et on n’a pas encore abordé le point des conditions de travail. Manque de parkings, manque de confort, manque d’installations sanitaires et souvent manque de sécurité … Ajoutez-y une hyper flexibilité, la charge de travail et les files, et vous aurez tous les ingrédients d’un secteur « peu attractif ».
Pourtant, les entreprises de transport belges performent mieux que jamais. Les fédérations patronales sans exception le confirment. Il y a donc certainement une marge financière dans le secteur. Il faut augmenter les salaires, mais en raison de la loi salariale de 1996, encore renforcée par le gouvernement Michel/De Wever, cela était impossible.
Même le président de l’UPTR, Bruno Velghe, devra avouer que les employeurs doivent offrir toutes sortes d’avantages extra-légaux pour trouver et garder des chauffeurs. Avantages qui vont de (petites) voitures de société à l’émission de warrants. Malheureusement pour le chauffeur et contrairement au salaire brut, il n’y a pas de cotisations sociales dues sur ces avantages. Et les candidats chauffeurs le savent également…
Revaloriser le métier
Nous avons besoin d’une revalorisation du métier de chauffeur de camion. De meilleurs salaires, moins d’heures de travail, moins de flexibilité et une charge de travail moins importante. De meilleurs parkings équipés de facilités de repos décentes pour les chauffeurs. Au lieu de s’en tenir obstinément à cette loi salariale renforcée, le monde politique ferait mieux de faciliter l’aménagement de parkings sûrs, confortables et en nombre suffisant. Et créer une marge pour une négociation salariale libre dans le secteur du transport.
Et les fédérations patronales ? Elles pourraient unir leurs efforts et coopérer avec les syndicats dans la lutte contre le dumping social, implémenter le Paquet Mobilité, arrêter la course infernale vers le bas, limiter la flexibilité et créer de bonnes conditions de travail et de salaire. Autant de facteurs qui sont de nature à améliorer l’attrait du métier de chauffeur de camion. Et qui ne peuvent que profiter au secteur !
Un billet de Frank Moreels, Président UBT