Métiers en pénurie | Les entreprises exigent beaucoup et offrent peu

Métiers en pénurie | Les entreprises exigent beaucoup et offrent peu

Face aux difficultés d’embauche dans certains métiers, la droite et le patronat ne cessent de stigmatiser les demandeuses et demandeurs d’emploi : pas assez volontaires, pas assez motivés, pas bien formés… Leur solution : davantage de contrôles et de sanctions. Pourtant, à y regarder de plus près, ce ne sont pas les sans emploi qui manquent de motivation… Mais bien les entreprises ! La Cellule de lutte contre les discriminations (CLCD) de la FGTB wallonne et du CEPAG vient en effet de dévoiler les résultats de son étude, portant sur 2.639 offres d’emploi concernant 14 fonctions critiques ou en pénurie. Et ces résultats sont… déroutants !

On en parle avec Angela Sciacchitano, coordinatrice de la CLCD.

Pourquoi cette étude ?

Angela Sciacchitano : Dans les médias, on entend de plus en plus parler de « métiers en pénurie ». Ces métiers pour lesquelles on ne trouverait personne. Du coup, la droite et le patronat veulent accentuer les sanctions contre les demandeuses et demandeurs d’emploi. Regardez en Flandre : on en est même arrivé à l’instauration du travail obligatoire (dit « service communautaire »). En 15 ans, 550.000 sanctions et exclusions ont été prononcées dans le cadre des contrôles de disponibilité (dont 300.000 en Wallonie) et la limitation dans le temps des allocations d’insertion a entraîné 55.000 exclusions (dont près de 35.000 en Wallonie et une majorité de femmes).

Pourtant, le nombre d’emplois non pourvus reste constant. C’est donc clair que la politique du bâton ne fonctionne pas ! On a donc voulu vérifier si le problème ne venait pas d’ailleurs…

Comment avez-vous procédé ?

On a réitéré l’exercice qu’on avait déjà réalisé en 2017 : passer au crible des offres d’emploi pour des fonctions critiques ou en pénurie. Cette fois-ci, on a analysé pas moins de 2.639 annonces publiées sur le site du Forem durant le mois d’octobre. Elles portaient portant sur 14 fonctions critiques ou métiers en pénurie. Il faut remercier et saluer le travail de l’équipe de 18 volontaires – essentiellement des accompagnatrices et accompagnateurs sociaux1 issus des cellules de reconversion – qui s’est attelée à décortiquer chacune de ces offres sur base d’un questionnaire identique. On a donc relevé les exigences des employeurs : expérience, formation, permis de conduire, obligation de postuler par mail… Ainsi que les conditions de travail proposées : durée et type de contrat, salaire, horaires…

Quels enseignements en avez-vous tiré ?

Le constat est assez simple : il y a un profond déséquilibre entre les exigences des employeurs, parfois démesurées et injustifiées, et les conditions de travail proposées. Si vous recherchez désespérément quelqu’un, logiquement, vous devriez être prêt à proposer des conditions attrayantes. Et ce n’est clairement pas le cas. 80% des offres d’emploi en boulangerie exigent par exemple de l’expérience, ce qui exclut d’office les jeunes ainsi que les personnes en reconversion. Avec, à la clef, un contrat précaire dans 78% des cas ! Même chose pour les emplois de maçonnerie : 6 annonces sur 10 demandent de l’expérience, en échange de contrats précaires dans 77% des cas.

Parfois, certaines exigences sont totalement déconnectées de la réalité : 70% des annonces d’aides-ménagères demandent de posséder un véhicule personnel. Un comble quand on connaît les barèmes en vigueur dans ce secteur !

Et les salaires?

Dans un emploi, le moins qu’on puisse dire, c’est que le salaire est un élément de motivation important, non ? Eh bien, c’est le grand absent des annonces : très souvent, il n’y aucune référence au salaire ou au barème. C’est le cas pour 90% des offres pour le poste de comptable… Un comble pour ce type de poste. Enfin, énormément d’employeurs exigent de postuler uniquement par mail, même pour des fonctions qui ne demandent aucune compétence en rédaction, informatique ou bureautique. C’est par exemple le cas pour 82% des offres pour des postes de conducteurs de cars.

Du côté des conditions de travail, par contre, on n’est pas dans le registre de l’excellence : contrats précaires, intérim, horaires variables, temps partiel… Ce sont les entreprises qui manquent de motivation, pas les chômeurs et chômeuses!

A un moment donné, il faut sortir de l’hypocrisie. On ne peut pas, en même temps, exiger une personne surqualifiée, motorisée, expérimentée et opérationnelle tout de suite ; ne proposer en contrepartie que des contrats précaires, des régimes flexibles et des salaires au rabais ; et venir ensuite se plaindre de manquer de personnel.

Quelles pistes de solutions envisagez-vous ?

Il faut tout d’abord sortir de la stigmatisation et de l’exclusion des sans emploi. C’est au contraire sur les incitants et le renforcement des conditions d’attractivité qu’il faut travailler.

On pourrait aussi, par exemple, se baser sur les raisons qui poussent des employeurs à refuser des personnes répondant pourtant aux conditions et compétences requises dans l’annonce FOREM. Ils devraient exposer les motivations de leur refus, celles-ci seraient collectées et analysées en vue de remédier au mieux au phénomène.

Il faudrait aussi réorienter les aides à la formation et à l’emploi pour mettre fin aux effets d’aubaine, garantir qu’elles soient mieux réparties entre hommes et femmes (actuellement 2/3 concernent des hommes) et qu’elles ne soient pas captées par le secteur de l’intérim.

Mais, fondamentalement, la principale piste de « sortie de crise » se trouve clairement dans l’amélioration des conditions de travail et de rémunération…

1 Les accompagnateurs sociaux des cellules de reconversion mettent tout en œuvre afin d’aider les personnes licenciées collectivement à réintégrer le circuit du travail, que ce soit au travers de formations, d’un nouvel emploi ou encore du lancement d’un projet personnel.

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