Le pouvoir des mots (qui puent)

Le pouvoir des mots (qui puent)

« Charges », « grogne », « moderniser », « réforme », « client », « partenaire »… Tant de mots que l’on entend, lis, et peut-être même utilise au quotidien. A première vue, certains d’entre eux semblent dénués de connotation. Méfiez-vous ! Ils puent (tous)…

Les mots importent. Dans le vie politique et syndicale, le choix des mots n’est jamais anodin. Le langage ne fait pas que refléter la réalité, il oriente les comportements et la pensée. C’est ce qu’explique Olivier Starquit, syndicaliste et auteur, à travers sa chronique dans le journal syndical « Tribune », « Les mots qui puent », et dans son livre du même titre. « Les luttes sociales passent d’abord par les mots. Nos adversaires s’en sont rendu compte et ça fait depuis 3-4 décennies qu’ils utilisent le vocabulaire, la sémantique, les mots, pour imposer une vision de la société qui n’est pas la même que la nôtre. Ils le font en utilisant deux figures de style : l’euphémisme et l’hyperbole. ».

L’art de lisser le propos par l’euphémisme

Utiliser les euphémisme, c’est une manière d’atténuer l’idée selon laquelle le conflit serait essentiel dans la société. C’est une manière d’édulcorer, de lisser le propos. Un exemple : le mot « réforme ». Les personnes de moins de 40 ans ignorent que ce mot avait auparavant une connotation positive. D’ailleurs, le Robert définit le mot comme « un changement pour le mieux ». Aujourd’hui, ce mot a une connotation différente. En effet, au fil des années, il a été colonisé par les patrons, les dirigeants politiques, pour faire passer une mesure néolibérale pour un changement « nécessaire », « inéluctable », « indispensable », auquel personne ne peut s’opposer. D’ailleurs, il est intéressant de constater que ces réformes sont toujours complexes et exigées par des experts. Cela vise notamment à outrepasser l’avis des personnes concernées, celui des travailleurs et des travailleuses. Aujourd’hui quand on pense à réforme, on pense donc automatiquement à la réforme des pensions, la réforme des soins de santé,… ou d’autres conquêtes sociales dans le collimateur.

L’hyperbole pour discréditer

Le mot vient du grec et signifie « exagération ». Les adversaires de la lutte sociale exagèrent leurs propos afin de la discrétiser, la disqualifier. Un exemple : le mot « grogne », utilisé notamment par les médias, pour qualifier des grèves spontanées. Selon le Robert, le verbe « grogner » signifie « pousser un cri, en parlant d’un cochon, du sanglier et par extension, de l’ours ». En utilisant ce mot, on réduit la lutte des travailleurs à des grognements d’animaux. On discrédite ou disqualifie la parole des acteurs sociaux en la réduisant à du bruit. Ces adjectifs sont souvent utilisés dans des reportages accompagnés de micros-trottoirs qui vont donner la parole aux usagers mécontents des transports publics, peu aux faits des actions ou des revendications des travailleurs.

Des mots présents dans le langage syndical

Au quotidien, dans son travail syndical, Olivier Starquit entend des mots qui puent. « Le contraire serait étonnant puisqu’un travail de sape essaie de les imposer et il est évident que si l’on ne fait pas attention, nous risquons tous d’être contaminés. » Les exemples les plus flagrants sont les charges sociales (à la place de cotisations sociales des employeurs, voire salaire indirect) et les partenaires sociaux (à la place d’interlocuteurs sociaux).  « Si l’occasion se présente, j’interviens directement ou je vais retrouver le camarade ultérieurement pour entamer le débat. Le but n’est pas de se muer en police des mots ou de la pensée, mais d’inviter à la réflexion. » nous explique-t-il.

Le but n’est pas de se muer en police des mots ou de la pensée, mais d’inviter à la réflexion.

Olivier Starquit

Prendre conscience et agir

La langue est un puissant outil de communication. Vivre dans l’omission de ce fait peut faire des ravages. Imposer son vocabulaire, c’est imposer également ses valeurs. A travers ces mots, c’est aussi des comportements et des attitudes que l’on fait naître. Grâce aux deux figures de style expliquées ci-dessus, on dépossède la lutte sociale de son vocabulaire. Syndicalistes et militants sont amenés à s’exprimer, voire à négocier, en utilisant ces mots. Accepter cela, c’est rendre les armes. Il faut, au contraire, être vigilants, prendre conscience, s’offusquer. « La lucidité est la première forme de résistance ». Mais aussi répondre en déconstruisant ces ruses du langage. « Reconquérir notre hégémonie culturelle », qui a provisoirement basculé à droite, à travers les mots qui puent. Car « La bataille des mots est indissociable à la bataille des idées ».

Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine | Plus de publications

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