Dans l’émission radio Opinions FGTB sur la Première, Yannick Bovy interviewait l’économiste Denis Horman, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre publié aux Editions « Couleurs livres » : « Leur profit, nos vies – Pour une réduction collective et radicale du temps de travail ».
La journée des 8h a 100 ans. 8h de travail, 8h de loisirs, 8h de sommeil. C’était une victoire majeure de la lutte syndicale qui a littéralement changé la vie des travailleurs et travailleuses. Aujourd’hui, la réduction du temps de travail est surtout individuelle et involontaire. C’est le marché qui émiette les contrats de travail (temps partiels, contrats atypiques, flexi-jobs…). La réduction collective du temps de travail, elle, stagne.
C’est pourtant elle qui correspond à un projet de société solidaire où l’on répartit le travail en fonction des besoins de la société, et non en fonction du de ceux du marché. J.M Keynes, dans son livre « Lettre à nos petits enfants » en 1930, préconisait la semaine des 15 heures en 2030, afin d’éviter le chômage technologique dans une société de progrès et d’abondance créée par le capitalisme. La semaine de 15h, nous en sommes loin… et le chômage technologique gagne du terrain.
Nous parlons régulièrement de la réduction du temps de travail comme une des pistes permettant de répondre à l’urgence sociale et écologique que nous connaissons. Est-ce que cela aussi qui vous a inspiré votre livre ?
Le titre de mon livre : « Leur profit, nos vies », ou en d’autres termes nos vies valent plus que leur profit, explique bien la démarche qui m’a motivée. Nos vies, notre santé, notre bonheur, la satisfaction des besoins essentiels sont des droits mentionnés dans la déclaration universelle des droits humains votée à l’assemblée des Nations Unies en 1948. Ce qui fait obstacle, aujourd’hui comme hier, à la concrétisation de ces droits fondamentaux pour de larges couches de la population, c’est le fonctionnement du monde de production capitaliste. C’est pour cela que j’ai tenu, dans la première partie du livre, à replacer la revendication de la réduction du temps de travail au cœur de l’exploitation capitaliste.
Votre appel à réduire collectivement le temps de travail n’est pas simplement un appel à aménager le capitalisme, c’est un appel à en finir avec lui. Est-ce que réduire le temps de travail peut appeler selon vous à une transformation radicale du système telle que vous la souhaitez ?
La revendication de réduction générale du temps de travail est une revendication anticapitaliste. Dans l’histoire sociale de nombreux pays, on peut dire que la lutte pour l’emploi, les salaires et les conditions de travail a été le corollaire de la lutte pour la réduction du temps de travail. Ce qui est étonnant, c’est que depuis une trentaine d’années, comme le souligne un permanent syndical dans le livre, le combat a perdu de sa vigueur. On en est toujours à la loi des 38 heures par semaine votée en 2001. Or, chaque jour, dans différents secteurs, on reçoit les témoignages de travailleuses et de travailleurs pris dans l’engrenage d’une flexibilité à outrance, contraints de travailler plus vite, dans des conditions de travail dégradées, le stress au ventre, mal payés, avec du personnel réduit au moment où des milliers de jeunes sont en recherche d’emploi.
Concrètement, est-ce que c’est faisable facilement et rapidement ? Comment fait-on ?
C’est faisable, c’est légitime mais on est devant l’offensive patronale continue et elle est relayée par le pouvoir politique. Alors, que faire ? N’est-ce pas le temps pour le mouvement syndical de lancer une vaste opération vérité comme la FGTB wallonne l’avait esquissée en 2009 en lançant sa campagne « La capitalisme nuit gravement à la santé », cette campagne a été prolongée en 2017 par une campagne sur la semaine de 4 jours en 32 heures. En sachant qu’il appartient à un syndicalisme de combat et démocratique de changer le rapport de force entre capital et travail et ce n’est pas à travers la concertation sociale,mais à travers la contestation sociale que ces revendications légitimes pourront être arrachées.
C’est une revendication inscrite dans les résolutions de plusieurs centrales syndicales, mais il faut bien constater que ces résolutions ne se sont pas concrétisées en mobilisations…