Anna-Maria, aux côtés des travailleurs handicapés

Anna-Maria, aux côtés des travailleurs handicapés

Les femmes, actrices principales des luttes sociales d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Le magazine Syndicats souhaite leur rendre hommage et leur dédie une nouvelle rubrique. Tous les mois nous présenterons une militante de la FGTB : son histoire, ses luttes, ses craintes, ses aspirations. La première syndicaliste mise à l’honneur : Anna-Maria Garguilo, 57 ans, déléguée de la Centrale Générale dans le secteur des ETA (Entreprise de Travail Adapté).

De Naples à Marcinelle

Comme l’indique son nom, Anna-Maria Garguilo est d’origine italienne. Dixième enfant d’une famille modeste, elle est née en 1965 à Naples. Son père était cordonnier et sa mère femme au foyer. « Quand j’avais à peine un an, mon père a quitté le pays. Il a suivi les milliers d’Italiens qui ont migré en Belgique pour travailler dans les mines. » se rappelle-t-elle. Quelques mois plus tard, il est revenu convaincu et convaincant : ce pays pouvait leur offrir une meilleure vie. Anna-Maria et sa famille entament alors le voyage.

Ils s’installent dans une maison à trois pièces à Marcinelle, Charleroi. Très tôt, les frères d’Anna-Maria commencent à travailler pour aider financièrement la famille. « Mon père est décédé à l’âge de 52 ans, quand j’en avais à peine 17. Une maladie aux poumons provoquée par le travail dans les profondeurs des mines. » regrette-t-elle. Un an plus tard, Anna-Maria finit l’école. Elle veut faire des études de couture, mais la situation familiale ne lui le permet pas. Elle trouve alors un travail à l’Atelier Jean-Regniers, une Entreprise de Travail Adapté située dans les alentours de Charleroi.

Handicap et travail adapté

Car Anna-Maria porte un handicap de naissance. Son épaule gauche a été disloquée lors de l’accouchement. Résultat : la mobilité de son bras et sa main est limitée. Mais « mon handicap ne m’a jamais handicapée », nous confie-t-elle avec sa voix enrouée. « J’ai appris à tout faire avec. »

Dès ses débuts à l’Atelier Jean-Regniers, dans les années 80, elle constate que beaucoup de postes de travail ne sont pas adaptés aux différents handicaps des travailleurs, à leurs besoins. En ressort un sentiment d’injustice. C’est ce sentiment qui amène Anna-Maria à se présenter aux élections sociales. « J’ai voulu défendre les plus démunis, qui avaient parfois des difficultés à se défendre eux-mêmes ». Des années plus tard, elle devient déléguée principale, parmi 7 délégués FGTB. 167 des 300 ouvriers sont actuellement affiliés à la FGTB. Un chiffre dont elle est particulièrement fière.

Des victoires importantes

Depuis sa première élection, Anna-Maria a remporté plusieurs victoires sur son lieu de travail. Pour n’en citer quelques-unes : une diminution du temps de travail, des pauses de 5 minutes toutes les heures lors des grandes chaleurs, du matériel de protection pour les travailleurs travaillant avec des produits chimiques, des visites médicales tous les ans, 6 jours de congés complémentaires. Anna-Maria est une déléguée passionnée. « Super investie »,  « fonceuse », « dure à cuire », ce sont les adjectifs qui ressortent quand on demande à ses camarades de la décrire. « J’ai beaucoup de reconnaissance de la part des travailleurs. Ils me font confiance. »

Le secteur ETA

Quand on pense au secteur ETA, on imagine des patrons sensibilisés à la situation de leurs travailleurs, des conditions de travail décentes. Force est de constater que ce n’est pas toujours le cas. Anna-Maria nous raconte une histoire qui illustre bien ce propos. Il y a 6 ans, Emmanuel, chef de service dans le secteur des palettes, a été opéré du dos. La direction a souhaité le transférer en production, ce qui lui était impossible à cause de son problème de santé. Elle lui a alors envoyé un préavis pour refus de travail. « Pour soutenir Emmanuel, j’ai organisé un arrêt de travail dans la section javel. Il a duré 2 jours. La direction a plié : Emmanuel est resté à son poste ».

En ce qui concerne les conditions de travail, « il y a encore beaucoup de boulot ». A titre d’exemple, le salaire minimum s’élève à 12,1 euros bruts de l’heure. Certains travailleurs seulement ont atteint les 14 euros, mais grâce à l’indexation automatique. La majorité n’a pas reçu d’augmentation salariale depuis plus de 20 ans. « Ca fait 35 ans que je travaille ici, et je suis toujours à 12 euros de l’heure. Un des anciens directeurs gagnait lui plus de 10 000 euros par mois…», s’indigne Anna-Maria.

Le rapport de force

Anna-Maria compte les grèves et l’obtention d’un local syndical parmi ses victoires. En effet, avant son arrivée il n’y avait jamais eu d’arrêts de travail. « La première grève a eu lieu il y a 20 ans. On a réussi à créer un rapport de force. Et à améliorer, grâce à cela, de manière significative les conditions de travail dans les ateliers. Aujourd’hui, ils ont peur des syndicats » nous explique-t-elle.

« Un jour j’étais en congé maladie et un des travailleurs m’appelle pour me dire qu’il n’y a pas de chauffage dans son atelier et que les travailleurs travaillent depuis deux jours avec leurs manteaux. » Étonnant, dans les bureaux il y a du chauffage… Furieuse, Anna-Maria appelle son employeur pour lui demander de résoudre le problème au plus vite. Sa réponse est ahurissante : « Ils n’ont qu’à travailler plus pour se réchauffer ». « Tu as une heure, sinon l’usine est à l’arrêt », le prévient Anna-Maria. La grève a duré 48 heures. Le problème a été résolu.

La place des femmes

Divorcée, Anna-Maria a élevé ses trois enfants seule. « Aujourd’hui ils sont tous trois des militants FGTB », nous explique-t-elle fièrement. Elle espère qu’un jour ils deviendront délégués. Mais « cela n’a pas toujours été facile. Quand ils étaient petits, je me réveillais à 5h du matin pour emmener les enfants à l’école, j’allais travailler, je les récupérais, leur préparais le souper, les mettais au lit. Et rebelote le lendemain ». Du coup, elle comprend bien les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes célibataires de son entreprise. Et se bat pour elles.

« Il y a encore trop d’inégalités entre les femmes et les hommes. Salariales, mais pas que. Dans les tâches ménagères aussi par exemple ». Quand on lui pose la question sur la nécessité d’avoir des femmes syndicalistes elle répond sans hésitation : « Des femmes déléguées et des femmes dans le syndicat il y en a, mais pas assez. Il faut plus de femmes déléguées. Pour plus d’égalité, pour défendre nos droits. Car personne ne défendra mieux les droits des femmes qu’elles-mêmes ».

L’avenir

Anna-Maria a encore des combats à mener. Des combats importants. « Ils souhaitent transformer l’entreprise en une entreprise ordinaire. Ils embauchent de plus en plus de personnes avec des handicaps légers. » Mais Anna-Maria n’est pas d’accord et défend sa position bec et ongles. « Il faut plus de places pour les personnes avec des handicaps lourds. » Elle s’inquiète également par rapport à la hausse des prix de l’énergie et redoute des licenciements de travailleurs. « On se battra si cela arrive ».

Quand on lui pose la question sur sa pension, Anna-Maria est émue. Elle a aujourd’hui 57 ans. Elle pourrait partir en prépension l’année prochaine déjà. Mais elle ne veut pas. La voix tremblante, elle se justifie : « J’ai du mal à décrocher. J’ai envie de rester encore un peu, afin de mieux préparer la relève. ». Est-ce cela, où est-ce que cette militante acharnée a du mal à quitter le terrain, les travailleurs, la lutte ? Une chose est sure : le terrain aura du mal à s’en détacher aussi…

Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine | Plus de publications

2 réactions sur “Anna-Maria, aux côtés des travailleurs handicapés

  1. Bonjour je souhaite avoir les coordonnées d’ Anna-Maria Garguilo et lui raconter mon histoire dans mon ETA afin d’avoir des conseils de sa part .
    D’avance je vous en remercie

  2. Bravo à Anna-Maria pour sa ténacité au long de ces années. Heureux de la voir militer et de savoir tant de militants déterminés dans les ETA. Cela est réconfortant pour moi, ancien combattant, qui me suis frotté au secteur avec Paul. Le travail syndical des militants en ETA, à Charleroi particulièrement, est un véritable atout au sein del a FGTB !

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