Brésil : un syndicaliste (re)prend les rênes du pays

Brésil : un syndicaliste (re)prend les rênes du pays

Le 31 octobre dernier, Luiz Inácio Lula da Silva (Parti des Travailleurs, PT), ancien ouvrier métallurgiste, ex-leader syndical, a gagné les élections au Brésil, plus grand pays d’Amérique latine. Après 6 années de gouvernements conservateurs successifs, une lueur d’espoir voit le jour pour le peuple et les travailleurs et travailleuses. Syndicats Magazine en parle avec Antonio de Lisboa, responsable des relations internationales pour la plus grande Centrale ouvrière brésilienne, la CUT.

Lula était Président du Brésil de 2003 à 2010. En 2016, un Coup d’Etat institutionnel a destitué sa successeur, la Présidente de gauche Dilma (PT). Elle a été remplacée par le putschiste Michel Temer. Deux ans plus tard, le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro remporte les élections et reste au pouvoir jusque fin 2022. Quel est le bilan de ces gouvernements conservateurs successifs pour le monde du travail ?

Parmi les premières mesures mises en place à partir de 2016 – qui fut renforcée par Bolsonaro – figure l’interdiction d’augmenter les subsides pour la sécurité sociale : santé, enseignement, services publics… En 2017, une réforme du travail ayant comme intention très claire d’affaiblir les syndicats et les droits des travailleurs a été mise en oeuvre. Une attaque à la négociation collective et au financement des syndicats. Cette réforme a renforcé le travail informel, qui occupe aujourd’hui 40 millions de travailleurs. En même temps, la persécution politique continue. Lula est alors emprisonné. En effet, c’était la seule personne apte à renverser Bolsonaro. Tous les chefs d’accusation ont été annulés lors de son procès.

Il est également important de faire le bilan de la gestion de la crise covid, qui a été désastreuse. Bolsonaro a fait preuve de négationnisme. Dans de nombreuses déclarations, il présentait le Covid comme une simple grippe. Résultat : le Brésil est le pays avec le plus de décès par rapport au nombre d’habitants. 700.000 morts. Selon certaines études, 400.000 personnes auraient pu être sauvées. Ce qui a diminué les dégâts : le système de santé « unique », qui fait partie de la Constitution et qui permet à toute la population de bénéficier d’une couverture santé, peu importe le statut de travail.

Le 31 octobre 2022, la candidat de gauche, Luiz Inácio Lula da Silva remporte de justesse le second tour des élections présidentielles au Brésil. Qu’est-ce qui explique toujours la popularité de Bolsonaro ?

La base électorale de Bolsonaro est constituée de grands propriétaires fonciers, des secteurs conservateurs de l’agriculture, de représentants de groupes religieux conservateurs, de militaires et paramilitaires. Ensemble, ils représentent 1/3 de la population. C’est notamment eux qui ont financé l’attaque envers les institutions qui a eu lieu la semaine passée (voir plus loin, ndlr).

Bolsonaro a investi plus de 85 millions de dollars dans la campagne électorale. Notamment en distribuant de l’argent à certains secteurs : aux conducteurs de poids lourds, aux chauffeurs de taxi, aux agriculteurs, etc., afin qu’ils votent pour lui. Il a beaucoup utilisé les réseaux sociaux et propagé des fakes news. Les pasteurs des églises évangéliques, généralement néo-pentecôtistes, ont eux aussi joué leur rôle en convaincant les croyants de voter pour lui.

L’intimidation a largement été utilisée comme outil de pression envers les électeurs, les travailleurs notamment. Nous avons reçu plus de 500 dénonciations. Leurs employeurs menaçaient de les congédier si Lula gagnait les élections. La police, également. Elle aurait convaincu plus de 3 millions de personnes de s’abstenir de voter pour Lula grâce à des opérations qu’elle menait sur les autoroutes.

Le paysage syndical brésilien

Au Brésil, le taux de syndicalisation s’élève à entre 11 et 12% de la population active. Ce chiffre atteignait les 16% il y a à peine 10 ans. Qu’est-ce qui explique cette chute ? Les attaques successives envers les syndicats, ses leaders et les droits syndicaux après le Coup d’Etat de 2016.

Le paysage syndical brésilien est basé sur la structure syndicale de l’Italie de Mussolini. Il y a des syndicats par secteur professionnel, mais aussi par région, circonscription. Ceci explique la fragmentation du mouvement syndical. L’on compte aujourd’hui pas moins de 15.000 syndicats au Brésil. La CUT, la plus grande Centrale de travailleurs, en regroupe 7600. Ce qui couvre 1/3 des affiliations du pays. L’objectif de la CUT? Changer ce modèle syndical archaïque et réunir davantage les travailleurs.

Le 8 janvier, les partisans de Bolsonaro ont tenté un coup d’état en envahissant et en saccageant les lieux de pouvoir dans la capitale, à Brasilia. Un action qui rappelle l’assaut du Capitole par les partisans de Trump aux Etats-Unis. La CUT a condamné cette attaque.

Il s’agit à nouveau d’une tentative de renverser la démocratie et l’état de droit. Ainsi qu’une opposition violente à la volonté des citoyens et citoyennes qui se sont exprimés lors d’élections libres. Mais c’était attendu. Depuis 2021, Bolsonaro disait qu’il quitterait le pouvoir soit mort, soit parce qu’il serait emprisonné. Il excluait aussitôt la deuxième option. Depuis la désignation de Lula, plusieurs attaques ont été perpétrées dans la capitale. La police de Brasilia savait qu’une nouvelle attaque allait avoir lieu le 8 janvier. C’était partout sur les réseaux sociaux. Malgré cela, elle n’a rien fait pour l’empêcher. La situation était tendue mais a vite été sous contrôle. 1.400 personnes ont été arrêtées. Des procès vont avoir lieu, des membres de la police vont également être jugés.

Lula est un ancien ouvrier et responsable syndical métallurgiste. Quelles sont les attentes du monde du travail vis-à-vis du gouvernement Lula ?

Nos attentes vont au-delà des questions liées aux droits des travailleurs et travailleuses. Tout d’abord, il faut garantir la sécurité des défenseurs des droits humains (indigènes, femmes, populations afro des périphéries et petites villes…), qui ont été victimes d’intimidations, d’attaques et de criminalisations durant ces quatre dernières années. Il faut restaurer le dialogue social entre le gouvernement et la société civile. Une attention toute particulière doit être également accordée aux questions environnementales et climatiques. Bolsonaro a en effet favorisé la déforestation, notamment de la forêt amazonienne, provoqué l’accaparement des terres de populations agricoles et indigènes, le déplacement de ces dernières et soutenu la prolifération de projets miniers. Enfin, en ce qui concerne les droits des travailleurs, nous revendiquons le renforcement des syndicats, de la négociation collective et la diminution du travail informel.

Lula a formé une vaste coalition politique pour battre Bolsonaro, y compris avec des partis et personnalités politiques de centre-droite, comment espérer dès lors un agenda politique progressiste ?

Le système politique brésilien est très complexe : il y a plus de 30 partis politiques qui siègent au Congrès. Pour gagner les élections il était nécessaire de créer des coalitions. Lula a créé une coalition comprenant des partis tant de gauche que de centre-droite. Il y avait cependant un point qui les unissaient tous : la garantie de la démocratie. Ce sera un mandat compliqué. Il y aura beaucoup de mobilisations, notamment de la part des travailleurs. Mais il n’y a aucun doute que ce sera mieux qu’avec Bolsonaro. La démocratie sera garantie, le droit à la mobilisation, le dialogue social…


« Il n’y a aucun doute que ce sera mieux qu’avec Bolsonaro. La démocratie sera garantie, le droit à la mobilisation, le dialogue social… »

— Antonio de Lisboa, responsable relations internationales, CUT Brésil

La CUT a adhéré au programme de coopération syndicale international PANAF, appuyé par la FGTB, en 2013. Comment voit-elle aujourd’hui ses relations avec la FGTB ?

En effet, la CUT, à travers le programme PANAF, était impliquée dans des projets de coopération en Afrique. C’était l’opportunité d’échanger nos expériences et savoirs. De participer à la lutte universelle des travailleurs. La réforme du travail imposée par Temer a malheureusement coupé les financements pour les projets de coopération internationale. Pendant le mandat de Bolsonaro nous avons été mis sur le côté de la scène international. Nous aimerions changer cela.

La FGTB est une référence pour nous. Nos deux syndicats comportent plusieurs similarités, notamment au niveau de leur fonctionnement. Nous espérons continuer à collaborer et renforcer davantage nos relations.


Copyright photo principale : Maí Yandara / Mídia NINJA, www.flickr.com/photos/midianinja/

Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine

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