Lisette Lombé et Martijn “Bekvegter” Nelen | L’art de la parole

Lisette Lombé et Martijn “Bekvegter” Nelen | L’art de la parole

Lisette Lombé, slameuse. Martijn “Bekvegter” Nelen, slameur. L’une, francophone, l’autre, néerlandophone. Leur arme: la parole. Leurs thèmes : les luttes ouvrières, la criminalisation des mouvements sociaux, le féminisme… Leurs outils : des textes forts, poignants, touchants, révoltants. Que les militants de la FGTB ont eu le plaisir de découvrir lors du Congrès, le 3 juin dernier. Interview croisée, en quelques thèmes et mots clés.

Le slam?

Lisette Lombé : Pour moi, le slam est un art de la parole mais surtout un art de l’écoute. C’est un dispositif qui permet de partager de la poésie de manière démocratique, grâce à une répartition égalitaire du temps de parole.  

Martijn Nelen: Le slam est une forme moderne d’art des mots, influencée par le théâtre, le rap, la poésie classique, la comédie, etc. En tant qu’art de la scène, le slam est une discipline relativement nouvelle, mais il s’inscrit en même temps dans la tradition ancienne de la narration orale. Je fais du slam depuis presque 10 ans maintenant ; c’est un exutoire et une forme d’expression importants pour moi. J’ai participé à de nombreuses compétitions, je suis devenu vice-champion de Belgique, j’ai donné des représentations de Gand à Cape Town, j’ai slamé devant des ouvriers, et devant le Roi. Et je suis toujours inspiré. 

Militer à travers l’art 

Lisette : L’art engagé permet de dénoncer les injustices dans un langage métaphorique. Il déplace le dialogue de la tête au cœur, touche, émeut, en plus de faire réfléchir. En tant que poétesse, je peux me déplacer d’une rive sombre à une rive lumineuse. Par exemple, dans mes poèmes, je peux aborder les thématiques de l’excision, du viol, du harcèlement de rue mais aussi le plaisir, l’orgasme, la dimension élévatrice de la sexualité. Je me sens artiviste en mêlant les deux démarches. Créer de nouvelles narrations est mon endroit de militance.  

Martijn : Je n’ai jamais considéré l’art séparément de l’engagement et du militantisme. Faire de l’ « art pour l’art », ce n’est pas mon truc. Avant d’écrire des textes de slam, j’étais actif en tant que graffeur, et à travers ce médium aussi, j’ai toujours essayé de transmettre un message ou du moins une idée. L’art peut être très direct. Les graffitis et le slam sont des moyens d’expression qui confrontent, qui « explosent au visage », en quelque sorte. Grâce à l’art, on exprime des pensées et des sentiments personnels, mais qui peuvent résonner chez les autres. Les artistes peuvent donc servir de porte-voix. Il s’agit d’une position sociale très particulière; je pense qu’il serait dommage de ne pas en profiter. 

La lutte féministe 

Lisette : J’appréhende le monde à travers une grille de lecture féministe, oui. Aujourd’hui, ce sont les questions de la représentativité et de la déconstruction des stéréotypes sexistes qui mobilisent mon action. Je me sens à ma juste place en créant des espaces d’expression safe et en accompagnant des femmes sur scène,  dans un espace public longtemps cadenassé par les hommes.  


“Aujourd’hui, ce sont les questions de la représentativité et de la déconstruction des stéréotypes sexistes qui mobilisent mon action.” 

— Lisette Lombé

Luttes ouvrières et syndicales 

Martijn : Les thèmes syndicaux, c’est un fil rouge dans ma famille. Mais outre ce lien personnel, il y a le fait que je suis moi-même ouvrier depuis longtemps. Je ne suis pas un « artiste professionnel » qui s’aventure dans le monde du travail, je suis un travailleur qui fait de l’art. Ce n’est pas du tout la même chose. Et je pense que le monde du travail est sous-représenté dans le slam ; c’est peut-être parce que de nombreux artistes ont un statut professionnel différent. La classe ouvrière et les questions syndicales ne sont pas “tendance”, cela joue aussi un rôle. Je suis moi-même tout sauf à la mode…  Alors pour toutes ces raisons, je considère qu’il est de mon devoir de représenter – un peu – le monde du travail. 


Je ne suis pas un « artiste professionnel » qui s’aventure dans le monde du travail, je suis un travailleur qui fait de l’art.

— Martijn Nelen

L’intersectionnalité : combattre ensemble des problématiques telles que la race, le genre et les classes 

Lisette : Parce que tout est lié. J’ai pris conscience de l’intrication des discriminations en écoutant des intervenantes dans des débats. Deux phrases me restent. « C’est le même état qui continue de piller le Congo et qui tire sur les grévistes qui manifestent en 60-61. »  « Dans un système capitaliste, la libération des corps devient la libéralisation des corps ».  

La lutte contre l’extrême droite 

Martijn : C’est aussi un trait de famille – mon arrière-grand-mère était active dans la résistance. Elle a survécu à Auschwitz. Le tout premier texte de slam que j’ai écrit était sur elle. Je porte donc le triangle rouge avec fierté. 

Cependant, le néo-fascisme est en hausse ; il se manifeste à la fois dans les résultats des élections et sur le terrain. Et il domine le débat social. Ainsi, plus que jamais, les voix dissidentes sont nécessaires. Des voix qui démasquent le discours de l’extrême droite. Tout le monde devrait s’élever contre le racisme, mais cela vaut encore plus pour celles et ceux qui se soucient de la classe ouvrière. Parce que les partis d’extrême droite aiment prétendre qu’ils sont contre les classes dominantes, mais en réalité, ils ne défendent jamais les gens ordinaires, pas même “les leurs”. 

« Et face à ce système qui criminalise les migrants, qui criminalise les hébergeurs de migrants, qui criminalise les donneurs d’alerte, les syndicalistes, on doit tenir ! Oui, tenir. Tenir justice. Tenir fierté. Tenir humanité. On sait que ce n’est pas pour nous, on sait que ce n’est pas pour demain. On sait que même nos enfants n’en verront pas la fin de cet interminable tunnel. Mais on lutte, camarades. On tient et on lutte, et on lutte, et on lutte ! »
(Extrait d’un texte de Lisette Lombé)

Les travailleuses et travailleurs sans-papiers… 

Lisette : Oui car l’économie capitaliste tient grâce à cette main d’œuvre de l’ombre, exploitée. Quand je regarde la couleur des mains qui réalisent les tâches les plus ingrates, tous secteurs confondus, je ressens toute l’hypocrisie des dirigeants de droite et d’extrême droite. Il faut pouvoir confronter les discours au réel.  

Les artistes en Belgique et leurs revendications 

Lisette : Le nouveau statut d’artiste semblait prometteur sur papier mais en y regardant de plus près, de nombreuses aberrations subsistent. Je pense, par exemple, au durcissement des conditions pour le conserver, très pénalisant pour certaines catégories. Tant que les artistes seront considérés comme des allocataires sociaux et non comme des travailleurs, il faudra se battre.  

Slamer pour la FGTB 

Lisette : C’était galvanisant de partager des textes porteurs de thématiques brûlantes face à un si grand nombre de militants. J’avais conscience que mes mots pouvaient faire écho aux vécus des personnes présentes. Je voulais être du côté de l’encouragement. 

Martijn : Je peux toujours travailler de manière très confortable avec la FGTB. Le syndicat apprécie mon travail et m’invite souvent, plus souvent que certains podiums d’art des mots ou de poésie ! Ma prestation au congrès fédéral a été la cerise sur le gâteau. Je me suis fixé très peu de buts précis dans le domaine des arts, mais là j’ai le sentiment d’avoir atteint un objectif personnel. S’adresser à un public de 1 500 personnes qui partagent les mêmes idées est en soi un moment très fort, mais cela a pris une dimension supplémentaire. Car j’ai pu en faire un hommage à mon père, aujourd’hui décédé, qui a longtemps travaillé pour la FGTB. J’ai rendu ma famille – et par extension toute la famille syndicale – fière, et cela n’a pas de prix. 

Pour en savoir plus, consultez les sites de Lisette Lombé et Martijn Nelen / Bekvegter.

Photo @Ali Selvi

Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine

2 réactions sur “Lisette Lombé et Martijn “Bekvegter” Nelen | L’art de la parole

  1. Bonjour mes amies et amis, mon commentaire je trouve pas correcte que nous les femmes doivent faire les mêmes années de service que les hommes, parce que une femme doit faire minimum un triple travail ( maison, enfants plus son travail d’extérieur). Je pense que j’ai raison ?

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