Myriam Delmée, des bancs de l’université à la présidence d’une centrale

Myriam Delmée, des bancs de l’université à la présidence d’une centrale

Une femme de pouvoir, c’est toujours impressionnant. Et réconfortant. La présidente du SETCa, au premier abord, l’est encore plus. Confiante, intelligente, piquante parfois, mais aussi souriante, drôle. Le tout, derrière ses lunettes excentriques. « Le seul élément excentrique sur moi », avoue-t-elle en riant. Nous l’avons rencontré dans son bureau, situé au 5ème étage de la grande Tour du Sablon, à Bruxelles. Elle est la troisième syndicaliste interviewée dans le cadre de notre rubrique « Femmes et syndicalistes ». Mais qui est donc Myriam Delmée ?

Un syndicaliste convaincant

Myriam a grandi à Dour, « en plein cœur du Borinage », au sein d’une famille de gauche, mais n’ayant aucun rapport avec le syndicat. C’est aux bancs de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) qu’elle a pour la première fois été en contact avec un représentant syndical. Elle étudiait alors le droit. Christian Bouchat (ex-Secrétaire régional de la FGTB Horval de Bruxelles) accompagnait certains séminaires dans le cadre du master en droit social. « Je prenais un plaisir à écouter Christian, car il était très pointu juridiquement. S’il estimait que quelque chose était injuste il allait par toutes les manières possibles et inimaginables juridiquement essayer de trouver la faille pour défendre son dossier ».

Myriam regrette qu’il y ait peu de place réservée à l’ouverture d’esprit à l’université, aux concepts qui ne sont pas mercantiles. En effet, les étudiants en droit social sont généralement redirigés vers des cabinets d’avocats à la fin de leurs études. Myriam a, elle, postulé dans toutes les centrales de la FGTB. Quand elle a commencé à travailler pour une régionale, un professeur lui a dit : « Mais enfin, tu peux quand même trouver un vrai job ! ». Ce à quoi elle a répondu : « Je fais du droit social tous les jours. Pour moi c’est épanouissant. » nous explique-t-elle, de l’air mordant qui la caractérise. Le soir, quand elle quittait le boulot, Myriam avait l’impression d’avoir aidé les gens et donc, d’avoir rempli son rôle.

De juriste à présidente du SETCa

« Je suis restée 4 ans dans une régionale. J’y ai travaillé en tant que juriste. J’ai pris le temps de faire un enfant, mon fils, que j’ai élevé seule. Mais j’avais une équipe de choc derrière. » Quand elle est arrivée au fédéral, Myriam pensait qu’elle allait avoir des horaires plus stables type 8h-16h. « Ca s’appelle de la naïveté » dit-elle en rigolant. « J’ai suivi les commissions sociales ; les rédactions de tracts, d’articles, c’était aussi pour ma pomme. »

Au bout des 4 ans, le secrétariat fédéral du SETCa a été élargi de 8 à 10 personnes. Grâce à la politique de gender mainstreaming de la centrale, les deux personnes qui allaient accéder aux postes devaient être des femmes, de manière à arriver au tiers. « Je suis le produit d’un quota. » plaisante-t-elle. « Pour faire comprendre qu’une universitaire, sans aucune expérience de terrain peut devenir secrétaire fédérale dans le commerce : ambiance et cotillons. Ma vision du travail était théorique. Mais j’avais des supers délégués qui m’ont tout expliqué. Sans mes délégués, je ne suis rien. » avoue-t-elle. Aujourd’hui, sur 9 régionales en Wallonie, il y a 6 secrétaires régionales femmes, 3 en Flandre. 9 secrétaires régionaux sur 20 sont donc des femmes…. Et Myriam en est fière.

En 2006, 2 ans après sa nomination en tant que Secrétaire Fédérale, le Président du SETCa partait en pension. « J’étais la plus ‘ancienne’. Il fallait une femme francophone pour devenir vice-présidente et j’ai été propulsée, à 34 ans. » En 2019, juste avant la crise du coronavirus, Myriam devient présidente de la centrale des employés. Quand on lui demande de se décrire, elle choisit de passer un coup de fil à une amie/collègue, futur secrétaire régionale du SETCa Charleroi. Joker, comme dans « Qui veut gagner des millions ? ». « Honnête, compétente, droite et combattante ». Voici les 4 mots que Catherine choisit pour elle. « J’aurai préféré un autre mot que ‘droite’ », lui répond Myriam en plaisantant. Elles rigolent.

Les femmes dans le monde du travail

Le SETCa est une centrale compétente pour beaucoup de métiers à prédominance féminine : commerce, industrie (chimique par exemple), non-marchand, services… « Dans le monde du travail, on reste les éternelles oubliées. D’abord du gouvernement. On continue à confiner les femmes dans des rôles secondaires. On pénalise les choix d’éducation des enfants, de congés parentaux… » regrette Myriam.

Selon elle, dans l’état actuel des choses, sur des dossiers aussi emblématiques que l’individualisation des droits en sécurité sociale, des pensions accessibles et qui reconnaissent la réalité socio-écologique, on va plutôt dans le sens contraire de l’amélioration. Pareil pour les temps-partiels. « Une déléguée de Carrefour, en pleine restructuration, m’avait dit ‘J’aimerais quitter mon mari, mais je ne sais pas me le payer, je ne sais pas m’en sortir avec un temps-partiel et donc je reste avec lui’. » Pour Myriam, c’est inacceptable. L’égalité f/h c’est aussi être libre de ses choix de vie. Conclusion, mais pas fatalité : on est très loin de l’égalité dans les faits. Point positif : le taux de syndicalisation dans les secteurs féminins est fort élevé. « Ce sont des filles qui savent se battre. » dit-elle fièrement.


« L’égalité f/h c’est aussi être libre de ses choix de vie.

Ne pas être conditionné par son niveau social. »

— Myriam Delmée, présidente du SETCa

Puisque nous parlons du rôle des femmes dans le monde du travail, nous en profitons pour lui demander ce que ça fait d’être parmi les femmes représentantes syndicales les plus haut placées à la FGTB. « C’est compliqué, parce que comme dans le monde du travail en général, en tant que femme, il faut davantage faire sa place ». Selon Myriam, il n’y aura jamais de grandes déclarations machistes au sein de l’organisation, mais les femmes ont à faire à des petits gestes machistes du quotidien. « Un homme qui raconte une bêtise on le croit tout de suite. Une femme, surtout si elle est jeune, doit expliquer qu’elle a raison. C’est des gestes inconscients et qui peuvent paraitre inoffensifs, mais qu’il faut corriger ». Et Myriam ne manque pas de le faire à chaque occasion.

Mais heureusement, les choses évoluent. « Aujourd’hui, on a des représentants syndicaux qui disent qu’ils ne peuvent pas être à telle heure à telle réunion parce qu’ils doivent amener leurs enfants à l’école. Ca me fait sourire. Parce que les horaires ont toujours été parmi les difficultés les plus grandes rencontrés par les femmes pour accéder à des postes importants ».

Lidl, une victoire marquante

Lorsque nous demandons à la Président du SETCa de nous parler d’une victoire syndicale qui l’a marqué, elle nous parle de la lutte des délégués de Lidl, en 2018. Le sourire aux lèvres, une certaine émotion dans la voix. Les travailleurs et travailleuses avaient alors décidé de faire grève parce que les conditions de travail étaient irrespirables. « On était en réunion avec la direction. Un magasin a décidé de fermer. Tous les délégués étaient là, ils ont commencé à recevoir des coups de fil les uns après les autres. L’un fermait, l’autre fermait… Puis on s’est retrouvé avec 320 magasins fermés. C’est là que tu sens les poils qui commencent à s’hérisser. » En effet, pour Myriam ce n’était pas un mouvement qui a été organisé, mais un mouvement qui s’est organisé par lui-même. Tout la nuance est là.

S’en sont suivis 8 jours de grève. « Mes jeunes déléguées chez Lidl dormaient dans leurs voitures devant le dépôt, malgré le froid. Quelle détermination », dit-elle fièrement. Grâce à ce combat, à peu près tout s’est amélioré chez Lidl : des bras en plus, des contrats de travail améliorés, une flexibilité diminuée, moins d’étudiants, un encadrement plus grand de ces derniers, une revalorisation salariale…. Par contre, presque 5 années plus tard, la convention n’est toujours pas terminée. « On veut un accord sur tout ». Et Myriam est « jusqu’au-boutiste », comme elle se décrit. Le SETCa ne lâchera pas l’affaire.

L’avenir des syndicats

« On a des méthodes de travail qui n’évoluent pas assez vite. On va vivre des moments difficiles. » nous confie-elle. « En effet, les choix gouvernementaux en termes de subsidiations et autres choses vont nous obliger à nous réinventer constamment. » L’autre défi à relever concerne les affiliés. « Peu de monde est sensibilisé à l’importance d’un contre-pouvoir, d’une organisation syndicale, une mutuelle… Nous devons, même si cela nécessite beaucoup de temps, viser aussi des publics qui n’ont pas le réflexe de se tourner vers une organisation syndicale, comme les jeunes. C’est des portes qu’il faut ouvrir. » Selon Myriam, il est primordial de réexpliquer constamment pourquoi une organisation syndicale est fondamentale et ne sert pas qu’à payer des primes… « Ce sont des organisations qui posent et défendent des choix de société. »

Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine

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