« Le rêve de Fanny », un film sur les résistances

« Le rêve de Fanny », un film sur les résistances

Résistances. Au pluriel. Politique, ouvrière, culturelle. C’est à elles qu’est dédié le nouveau documentaire de Jean-Christophe Yu, réalisateur liégeois et militant. « Le rêve de Fanny » raconte l’histoire de ses grands-parents maternels, Paul et Jeanne, et celle de Fanny, sa mère. Et à travers eux, celle de la Belgique, de l’humanité. Des luttes ouvrières aux premiers acquis sociaux, des camps de concentration à la libération, de la culture pour les plus privilégiés à la popularisation de celle-ci, de l’inégalité femmes/hommes à un peu plus d’égalité. Rencontre.

Comment ce projet est-il né ?

Je suis – j’ai toujours été – engagé d’une manière ou d’une autre. Que ce soit dans les milieux de jeunesse, étudiant, culturel, socio-politique, syndical. J’ai aussi des grands-parents et des parents qui viennent du milieu militant.

Mais ce docu, c’est aussi un peu un hasard. Je venais de terminer un film qui évoquait le parcours de mon grand-père chinois, qui était lui aussi un militant. J’étais dans mon appartement qui, même quand il est rangé, est toujours un petit peu brouillon.

Il y avait des photos, des livres. Et notamment le carnet de poésie de ma mère. À l’intérieur, des dessins naïfs, des citations, pleins de fraîcheur. Et un dessin, que j’aime beaucoup, où ma mère a représenté tous les peuples du monde qui se donnent la main dans une ronde fraternelle (voir photo principale, NDLR).

On est au lendemain de la guerre. C’était l’ambiance qu’il pouvait y avoir dans l’esprit de beaucoup de gens : l’humanité a triomphé, la guerre est terminée, l’avenir est à nous. À côté du carnet, il y avait une photo de mon père et ma mère en voyage de noces en Italie ; ma mère avait les yeux levés au ciel. Pourquoi ? Je me suis mis à réfléchir… Au fur et à mesure, en voyant les deux images l’une à côté de l’autre, je me suis dit « Fanny rêve ». Elle rêve de quoi ? Elle rêve d’un autre monde. J’ai eu envie de raconter l’histoire.



C’est un genre très particulier. Un mix entre de la fiction, des images d’archives, des images tournées aujourd’hui… C’est un choix ?

Pour évoquer la résistance il y a très peu d’images d’archives. Beaucoup de films qui existent et qui montrent la résistance sont des reconstitutions d’après-guerre par les résistants eux-mêmes. C’est du vrai et du faux en même temps. Et je m’en suis beaucoup servi. Mais ça faisait un peu court pour évoquer cette période de la résistance. Je voulais aussi la montrer autrement que d’une manière livresque. Alors je me suis dit qu’il y a des moments où je vais reconstituer. On a donc filmé aussi quelques scènes aujourd’hui.


Pourquoi continuer à raconter ces histoires ?

L’histoire des anciens doit servir aux combats d’aujourd’hui, aux combats de demain. C’est une source d’inspiration, parmi d’autres. Je raconte une histoire que je connais bien. Je m’en sers pour donner un exemple pour les générations qui viennent.


« L’histoire des anciens doit servir aux combats d’aujourd’hui, aux combats de demain. C’est une source d’inspiration, parmi d’autres. »

— Jean-Christophe Yu, réalisateur liégeois et militant

Les luttes d’hier – ouvrière, antifasciste, féministe… – sont aussi les luttes d’aujourd’hui. Pouvons-nous en conclure que la lutte est perpétuelle ?

Oui, mais cela ne veut pas dire que l’on fait du sur place. On marche, on avance. On peut reculer aussi. Mais la pire des choses, c’est de ne rien faire. Se laisser emporter par le courant dominant, le courant libéral, fascistoïde… Le combat est éternel. C’est aussi une prise de conscience. Soyons conscients, mobilisés, ne nous résignons jamais. Ne baissons jamais les bras.

Pendant l’occupation, tout était noir. Les nazis étaient partout en train de triompher. Et tu as une bande d’hurluberlus, de la résistance française, qui dans la clandestinité crée un projet social et politique. Ils appellent ça « les jours heureux ». Il faut être dingue pour appeler ce projet comme ça. Ici, dans le résistance belge, il était aussi question des jours d’après : reconstruire la société, développer la solidarité, la sécurité sociale. Il y avait des projets, malgré le noir. Des gens qui se sont dit « on peut en sortir ».


« Ne pas se résigner », c’est un peu ça le message que vous voulez passer avec votre film ?

Oui. J’avais un camarade qui me disait « Il faut pas croire, à l’époque – pendant la résistance – tout le monde n’était pas contre les nazis. Il y avait 10% de collabos, 10% de résistants et 80% de gens qui ne savaient pas, qui ne voulaient pas savoir, qui étaient résignés…. Mais c’est les 10% qui ont gagné.

Jeanne dit dans le film qu’elle a vécu avec Paul « une vie passionnante, riche d’action généreuse ». Est-ce que c’est ça la résistance ? Une action purement altruiste ?

Ce sont des gens qui se sont dit « C’est insupportable, on ne veut pas accepter cela ». C’était des militants, ils savaient ce qu’était le combat. Ils avaient déjà milité contre le Rexisme. Ils avaient une conscience politique.

Mais Jeanne raconte aussi dans une lettre qu’elle écrit à Paul qu’elle était dans l’angoisse, qu’elle avait peur. Il faut pas non plus « héroïser » les gens de la résistance. C’était des héros, certes, mais ça restait des êtres humains qui avaient peur. Pour moi, ça multiplie encore le mérite. Le courage ce n’est pas de ne pas avoir peur, c’est d’avoir peur mais de continuer malgré tout.


Parmi les objectifs de Paul quand il était échevin de Liège c’était de populariser la culture. C’est aussi une des missions du CEPAG, mouvement d’éducation populaire proche de la FGTB. Qu’avez-vous à dire là-dessus ?

J’ai combien d’heures pour répondre à la question ? (rires) « L’art peut donner l’envie de vivre autrement. » C’est ce que m’a dit un militant, ancien conducteur de locomotives, Hugues Lambot, mort il y a une vingtaine d’années. C’est un des moteurs de ma vie. Je suis très fort dans la promotion de l’art au service du grand nombre. À l’unif j’ai fait histoire de l’art. À l’époque, nous avions une galerie d’art, associative. On a créé un petit comité avec des militants artistes, amoureux de la culture. Notre but était de propager les arts dans le milieu populaire.

Paul Renotte disait aussi :

« L’Homme humanisé par l’art et la culture garantit mieux l’épanouissement de la personnalité dans le collectif.
Il préserve la société d’une mortelle uniformité ».

Le film a gagné un prix au Festival Millenium et le Prix du Meilleur Film Documentaire, au Festival International du Film de Bretagne. Quels sont vos projets futurs ?

Après les deux films que je viens de faire, un sur mon grand-père chinois, un sur mes grands-parents maternels, je me demande si ca ne vaudrait pas la peine de faire un film qui tourne autour de moi. Qui pose la question « Et quid maintenant ? J’ai des ancêtres qui ont fait un tas de choses. Et moi, qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? » Et je me mets à imaginer une histoire sur ce que j’ai fait, je n’ai pas fait, sur mes maladresses, etc. Ce serait p-e bien qu’il y ait une trilogie. Alors ça trotte dans ma tête.

Prochaines diffusions/projections :

– Samedi 26 octobre à 20h30 sur La Trois dans le cadre de l’émission « Retour aux Sources » d’Élodie de Sélys
– Jeudi 14 novembre à 20h au Foyer Culturel de Jupille-Wandre. Plus d’infos ici.
– Samedi 8 février 2025 au Ciné 32 à Paris.
– Dimanche 9 mars au Centre culturel de Huy – Pac Huy-Waremme.

Le film est disponible. Si vous souhaitez organiser une projection, veuillez prendre contact avec Jean-Christophe Yu, à l’adresse suivante : jean-christophe.yu@skynet.be
Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine | Plus de publications

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