Il y a 66 ans, la catastrophe du Bois du Cazier

Il y a 66 ans, la catastrophe du Bois du Cazier

Le 8 août marquait l’anniversaire de la plus grosse catastrophe minière en Belgique. Celle du Bois du Cazier, à Charleroi, où 262 mineurs ont trouvé la mort. 66 ans plus tard, des membres de leur famille, des mineurs des quatre coins de la Belgique, des personnalités politiques et syndicales se sont rendus à Marcinelle pour leur rendre hommage. Syndicats Magazine était sur place et a interviewé le dernier survivant de la catastrophe et passeur de mémoire, le camarade Urbano Ciacci.

L’accord charbonnier entre la Belgique et l’Italie

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Belgique est en manque cruel de main d’œuvre pour extraire le charbon de ses mines. Une main d’œuvre indispensable pour relancer l’économie et reconstruire le pays. Les travailleurs belges ne souhaitant pas retourné dans les mines à cause des conditions de travail, la Belgique se tourne vers l’Italie, alors dans une situation sociale compliquée. En 1946, l’accord charbonnier est signé entre les deux pays. Il s’agit d’échanger des hommes et leur force de travail contre du charbon : 200 kilos de charbon par mineur et par jour. 50 000 travailleurs italiens migrent donc vers la Belgique. Ils seront répartis sur les 5 bassins miniers : au Borinage, à Liège, au Centre, à Charleroi et au Limburg.

A leur arrivée , c’est la désillusion. Les conditions d’accueil sont loin d’être celles promises. Les logements manquent d’espace et sont insalubres. La Belgique est confrontée à une importante crise du logement et il lui est impossible de loger les 50 000 travailleurs italiens et leur famille. Ils seront donc installés dans des camps construits par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale pour les prisonniers russes. Les conditions de travail, de sécurité et d’hygiène sont déplorables. Les mineurs descendent à plus de 1000 mètres de profondeur sans équipement adéquat. Les accidents ne sont pas rares et les maladies sévissent.

« Tutti cadaveri »

Le 8 août 1956 devait être une journée comme toutes les autres. Au matin, 275 mineurs sont descendus dans les profondeurs de la mine pour effectuer leur travail. Seul douze d’entre eux ont pu revoir la lumière du jour. Les faits : à 8h10, un mineur, au fond, encage un chariot de charbon qui n’expulse pas, comme il le devrait, un wagonnet vide de l’autre côté. Suite à un malentendu avec « la surface », la cage démarre et arrache au passage des câbles électriques, une conduite d’huile et une autre d’air comprimé. Un incendie se déclenche. Il gagne rapidement la mine. Sept ouvriers réussissent à remonter à la surface. Dans l’après-midi, les services de secours parviennent à en sauver six autres.

S’en suivent 15 jours d’angoisse et d’attente interminable. Les familles des mineurs accrochées aux grilles du charbonnage attendent des nouvelles de leurs pères, frères, époux, amis,… Le 23 août, les sauveteurs ont enfin réussi à atteindre les 1 035 mètres de profondeur. Le verdict tombe. C’est effrayant : « Tutti cadaveri ». Tous les ouvriers sont morts par intoxication à l’oxyde de carbone.

Suite au drame du Bois du Cazier, l’Italie a suspendu l’accord charbonnier avec la Belgique. Cette dernière s’est alors tournée vers d’autres pays. Des travailleurs grecs, espagnols, marocains et turcs ont rejoint les Italiens dans les profondeurs des mines belges.

« Autrement, je serais mort »

Urbano Ciacci est arrivé au plat pays en 1954, à l’âge de 19 ans. « En Italie, je n’avais rien à manger. Nous avions perdu la guerre et il y avait beaucoup de pauvreté. Quand les accords charbon ont été signés, j’ai décidé de venir travailler en Belgique ». En tout, Urbano a travaillé 27 ans dans les mines de charbon, au Bois du Cazier. « C’était un travail difficile. » Malgré cela, Urbano est très reconnaissant envers la Belgique et son système de protection sociale. « Je suis fier d’être Italien. Mais l’Italie n’aurait pas pu m’offrir tout ce que la Belgique m’a donné. »

Le jour de la catastrophe, Urbano était en Italie. Il s’y était rendu pour épouser sa fiancée. « Autrement, je serais mort avec les 262 », nous confie-t-il. Quand il a appris la nouvelle, il est aussitôt rentré en Belgique. Il a aidé à sortir les victimes de la mine et à les laver. « C’était très dur » se souvient-il, car les corps étaient métamorphosés. Parmi les victimes de la catastrophe, il y avait 136 Italiens et 95 belges. En tout, 12 nationalités différentes. Mais dans le trou, ils avaient tous la même couleur : noire. « Nous étions tous amis », se souvient Urbano, ému.

« Moi j’ai eu de la chance et ma vie a été sauvée. Je crois que c’est Sainte Barbe qui a voulu que je reste ici pour transmettre le témoignage de notre vie et notre sacrifice aux nouvelles générations ». En effet, Urbano a travaillé en tant que guide sur le site du Bois du Cazier pendant de nombreuses années. Du haut de ses 87 ans, il était également présent lors de la cérémonie marquant les 66 ans de la catastrophe. « J’espère pouvoir y être aussi l’année prochaine », dit-il en souriant.

Les leçons

La catastrophe de Marcinelle a chamboulé le monde du travail et plus particulièrement celui des charbonnages. « La sécurité est venue après la catastrophe », nous explique Urbano en nous montrant son masque d’oxygène attaché à sa ceinture. Le port du masque est rendu obligatoire après l’accident. « S’il y avait eu ça, beaucoup de gens auraient survécu ».

Carlo Briscolini, Secrétaire régional de la CG de la FGTB Charleroi et ancien de la Centrale des mineurs de Charleroi confirme. « Il est apparu dans la région une nouvelle vision du monde du travail, des conditions et des mesures de sécurité. Un ancien mineur et sauveteur, décédé aujourd’hui, disait : ‘Jusqu’en 56, ce qui était important c’était le charbon, pas les gens qui le produisaient.’ » Carlo rappelle que la vigilance reste  de mise. « Aujourd’hui, nous constatons toujours des accidents dans les mines et dans d’autres secteurs, tels que celui de la construction, partout dans le monde. D’ailleurs en ce moment 10 mineurs sont piégés depuis plusieurs jours sous terre au Mexique. L’argent prime encore trop souvent sur la sécurité des travailleurs qui produisent des richesses. »

La FGTB continue le combat

Au début du 20ème siècle, les mineurs et les métallurgistes de la FGTB ont décroché de grandes conquêtes sociales et politiques, comme la fin du travail des enfants et des femmes dans les mines et les premiers systèmes de pensions. Dans les années 60, la reconnaissance de la silicose et d’autres maladies professionnelles liées au travail dans les mines. « Au cours de ces dernières années, alors qu’il n’existe plus de secteur minier, nous avons eu une attention toute particulière en matière de revendications pour nos anciens, nos pensionnés, nos veuves. » Une des grandes victoires de la FGTB est la défiscalisation des indemnités de maladies professionnelles et d’accidents de travail. Jusqu’à une certaine époque elles étaient considérées comme des revenus et donc taxés comme tels.

« Malheureusement, la défaite qui nous reste au travers de la gorge est l’arrêté royal du 13 janvier 83 qui limite le cumule des indemnités d’accidents de travail et de maladies professionnelles lorsqu’on passe à la retraite. Alors que la maladie est toujours là. C’est scandaleux. » s’indigne Carlo. « À la FGTB on continue de se battre. On demande aux hommes et femmes politiques d’abandonner cet arrêté. On tient compte de l’histoire de nos anciens mineurs. »


« À la FGTB, on tient compte de l’histoire de nos anciens mineurs »

Carlo Briscolini, Secrétaire régional de la CG FGTB Charleroi

La mémoire

Carlo est fils et petit-fils de mineur. Il a grandi en partie à Marcinelle. « Quand j’étais petit et que j’habitais le quartier, on venait jouer sur le site. » En effet, après sa fermeture complète en 1967, le  charbonnage du Bois du Cazier était à l’abandon durant de nombreuses années. C’est la communauté italienne, les anciens mineurs et les syndicats qui se sont battus pour réhabiliter le site. Aujourd’hui, le Bois du Cazier est un lieu de mémoire. Il a d’ailleurs été reconnu comme tel par l’Unesco il y a 10 ans. On y retrouve une espace dédiée à la catastrophe et à ses victimes, mais on y explique aussi le développement de toute l’industrie wallonne. Tous les ans, le 8 août, la catastrophe est également commémorée sur le site.

« Il est important que nos enfants et nos petits enfants se souviennent du 8 août 1956. » explique Carlo, qui est également membre du Conseil d’Administration du Bois du Cazier. « Rien n’est acquis. C’est un perpétuel recommencement. Aujourd’hui encore, on a des accidents de travail, des maladies professionnelles même dans des entreprises dites plus sophistiquées. Les combats du passé c’est encore les combats d’aujourd’hui. »

Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine

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