1936. « Les temps modernes » envahissent les grands écrans. Charlot y livre une prestation hilarante sur les dérives de l’ère industrielle. Aujourd’hui, presque 100 ans plus tard, les problèmes liés aux rythmes, au temps alloué au travail, et au bien-être persistent. Flexibilité, horaires atypiques, emplois précaires, accès à la pension restreint : les travailleurs et leur santé ne sont pas épargnés. Pourtant, des solutions existent. Et la FGTB continue à les défendre.
En matière de temps de travail, la Belgique à la traîne
En Belgique, l’on travaille en principe maximum 38 heures semaine. C’est en 2001 que ce passage à 38 heures a eu lieu. Depuis, plus rien n’a changé. « Malgré l’augmentation de la productivité, le temps de travail n’a plus été réduit, mises à part certaines exceptions dans quelques secteurs. » explique Giuseppina Desimone, experte au service d’études de la FGTB. Depuis les années 1970, le temps de travail moyen par salarié a diminué de plus de 25% dans les pays voisins et les économies comparables. En Belgique, il a diminué d’à peine… 18% !
Et qu’en est-il des jours de congés ? Le minimum légal est de 20 jours. Ici aussi, la Belgique est à la traîne : on est à 30 jours de congé en Espagne, 26 au Luxembourg, 25 en France… Et cerise sur le gâteau : les travailleurs à bas revenus ont encore moins accès que les autres à des jours de congé supplémentaires.
La course à la flexibilité
« En Belgique, la flexibilité est déjà très élevée », selon Giuseppina Desimone. Les formes de travail plus flexibles et à coût réduit pour les employeurs progressent rapidement. En seulement 10 ans, le nombre de jobs étudiants a augmenté de… 75%. Cette augmentation pose notamment la question de la précarité étudiante. Quelles répercussions sur leur parcours scolaire ? Mais aussi sur le financement de la sécurité sociale, puisque les cotisations versées pour les jobistes sont inférieures à celles versées pour les emplois ordinaires.

En parallèle, les flexijobs ont été introduits en 2015 dans l’Horeca. En 2018 et 2024, le système a été étendu à davantage de secteurs. Aujourd’hui, on parle de près de 131.000 flexi-travailleurs… Et la situation ne risque pas de s’améliorer.
En Belgique, les horaires atypiques sont aussi assez fréquents. Pour preuve : 550.000 salariés travaillent
habituellement dans un système de travail en équipe. Cela représente 13,2% de l’ensemble. De même, près d’un tiers des salariés travaillent le soir et/ou le samedi. Ces horaires inconfortables pour la vie quotidienne ont des répercussions tant sur la santé des travailleurs que sur leur vie familiale et privée.
Le temps partiel, davantage subi que choisi
En 2023, 26% des salariés en Belgique travaillaient à temps partiel, surtout des femmes ! Dans près de 50% des cas, il s’agit de temps partiels involontaires. Les raisons ? L’impossibilité de trouver un temps plein, des emplois qui ne sont proposés qu’en horaires partiels, ou encore la nécessité de s’occuper d’un enfant ou d’un proche dépendant. Une situation qui touche le plus souvent les femmes! L’on peut également ici faire un lien avec le manque de places d’accueil pour la petite enfance.
Lors de l’action du 13 janvier dernier, Francesca – déléguée SETCA dans le secteur de la grande distribution – témoignait :

« Nous, les femmes sommes nombreuses à travailler à temps partiel. Un temps partiel subi et non choisi ! Les horaires variables qui sont la norme dans le secteur nous empêchent de prendre un autre emploi pour atteindre un équivalent temps plein. J’ai dû, pour ma part, attendre 32 ans pour obtenir un temps plein ! »
— Francesca, Déléguée SETCa
Les formes de travail atypique augmentent le risque de pauvreté
En Belgique, un travailleur sur 25 se trouve dans une situation de précarité, soit près de 165.000 travailleurs et travailleuses. Les formes de travail atypique contribuent à cette situation déplorable, comme le travail intérimaire, le travail à temps partiel avec peu d’heures de travail, le travail dépendant des plateformes, le travail à durée déterminée de courte durée…
Certains travailleurs et travailleuses sont obligés de cumuler plusieurs emplois, d’enchaîner les heures de travail ou encore d’accepter des tâches au détriment de leur santé afin de joindre les deux bouts.
Giuseppina Desimone, experte au service d’études de la FGTB
Conciliation vie privée et vie professionnelle difficile
Selon une enquête de la FGTB menée en 2024 auprès de 14.000 membres, 25% des répondants qualifient leur conciliation vie privée et professionnelle de difficile. Un travailleur sur quatre. Et pour cause ? Un travail exigeant/fatiguant, les longues journées de travail, les horaires difficiles ou changeants, l’absence de collègues, la rémunération trop faible par rapport au revenu nécessaire à la famille, les longs déplacements vers le travail.
Déterioration du bien-être au travail = déterioration de la santé des travailleurs
La flexibilité accrue, le travail atypique, le temps de travail inchangé, l’accès plus limité à la prépension, mais aussi la conciliation difficile entre vie privée et vie professionnelle ont des conséquences sur la santé et le bien-être au travail. En 2023, près d’un demi-million de travailleurs étaient malades de longue durée (au-delà d’un an), soit près d’un quart de plus que cinq ans auparavant. Plus d’un sur quatre souffre de problèmes mentaux, tels que la dépression ou le burnout. « On a qu’une santé et il faut la préserver. » s’indigne Giuseppina. « Trop de personnes la perdent en travaillant. »

La réintégration des personnes malades de longue durée reste un enjeu sociétal. Jusqu’en 2022, les entreprises ne pouvaient proposer à leurs employés malades de longue durée qu’un parcours de réintégration et le licenciement n’avait lieu qu’en cas d’échec du parcours. Depuis 2022, la procédure de licenciement pour cause de force majeure médicale est également possible. En 2023, 22.800 travailleurs malades de longue durée ont été appelés à reprendre le travail. Parmi ceux-ci, selon les chiffres du SPF Emploi, à peine 18% des malades de longue durée avaient entamé une procédure de réintégration pour retrouver un travail adapté au sein de leur entreprise. Plus de 80% d’entre eux ont été licenciés pour cause de « force majeure médicale ».
Travailler (toujours) plus longtemps
Selon un rapport du CNT de 2023, un travailleur sur deux arrête de travailler avant l’âge de 65 ans, souvent à cause de problèmes de santé. Malgré cela, l’âge légal de la pension continue à augmenter : 66 ans depuis le 1er janvier 2025 … pour atteindre 67 ans à partir de 2030. En plus, les régimes pénibilités disparaissent progressivement. Alors qu’un bonus pension existe pour celles et ceux qui travaillent plus longtemps, De Wever et Bouchez souhaitent également introduire une pénalité financière pour celles et ceux qui prennent une pension anticipée et qui ne remplissent pas la condition de 35 ans de carrière effective…
