Qatar 2022 : carton rouge sang

Qatar 2022 : carton rouge sang

Coup d’envoi pour la Coupe du monde de football au Qatar. Une Coupe du monde entachée par la mort de plusieurs milliers de travailleurs migrants lors de la construction des stades, des routes, des hôtels… Par l’exploitation de travailleuses et travailleurs sans qui cet événement ne serait pas possible. Quelles sont les revendications du mouvement syndical ? Comment éviter que cela se reproduise à l’avenir ? Nous en parlons avec Gianni De Vlaminck et Brahim Hilami, secrétaires fédéraux du secteur de la construction pour la Centrale Générale. Ils sont allés sur le terrain.

La situation des travailleurs migrants

Un chiffre d’abord. Connu. Selon une enquête du quotidien britannique Guardian, le manque de sécurité dans les chantiers, lors de la construction des infrastructures, a causé la mort de pas moins de 6.750 ouvriers au cours de la dernière décennie. Un chiffre contesté par les autorités du Qatar et la FIFA, mais qui, selon d’autres voix, sous-estime la réalité.

“Tous les travailleurs que nous avons rencontrés sur place étaient des migrants“, se souvient Gianni. En effet, pas moins de deux millions de travailleuses et travailleurs migrants travaillent au Qatar. Soit plus de 90% de la main d’œuvre du pays. Originaires d’Asie et d’Afrique, ils ont quitté leur pays d’origine pour gagner leur vie. Ils travaillent sur les chantiers, mais aussi comme femmes de ménage, chauffeurs de taxi ou serveurs dans des restos et hôtels…

Gianni et Brahim ont été notamment touchés par les conditions de travail des travailleuses domestiques. Brahim évoque notamment l’histoire d’une travailleuse qui a été renvoyée par son employeuse du jour au lendemain, et qui risquait l’expulsion du pays.

Les violations de leurs droits

Les conditions de travail s’apparentent à de l’exploitation et du travail forcé. Brahim: “Pour obtenir un travail, les prétendants doivent payer des ‘frais de recrutement’ à des agences dans leur pays d’origine“. La majorité mettent des mois, des années, à rembourser cette somme.  Une fois le travail obtenu, certains se sont fait prendre au piège de “la Kafala”, système aujourd’hui partiellement supprimé (cf ci-après) : leurs employeurs confisquent leurs passeports. Résultat : ils ne peuvent ni changer de travail, ni quitter le pays.

Mais c’est le non-paiement des salaires qui constitue la principale plainte des travailleurs migrants auprès du ministère qatari du Travail.

La responsabilité de la FIFA

Les conditions de travail lors de la Coupe de monde ne relèvent pas uniquement de la responsabilité du Qatar, mais aussi de celle de la FIFA (Fédération internationale de football). En fermant les yeux, cette dernière se rend complice des violations des droits des travailleurs. Dans un rapport publié en mai, Amnesty International a démontré que la FIFA n’a pas pris les mesures nécessaires pour atténuer les risques encourus par les travailleurs lors de l’attribution de la Coupe du monde au Qatar en 2010.

Par après, suite à la pression internationale d’organisations de défense des droits humains et de syndicats, la FIFA s’est dite « intéressée » par la mise en place d’un fonds d’indemnisation des victimes d’accidents du travail sur les chantiers de la Coupe du monde au Qatar. « Le problème, c’est qu’ils comptent se baser sur les salaires et indemnités qataris pour évaluer ces indemnisations. Ce sera pas des montants importants. Nous attendons de voir. Jusqu’à présent, il n’y a rien de concret » explique Brahim.

Début novembre, la FIFA a envoyé une lettre aux pays participants à la Coupe du monde. Une lettre leur demandant de « se concentrer sur le football », et non sur des questions politiques. Un propos qui tient mal la route… D’aucuns estiment en effet que cette coupe du monde est la plus politisée de l’Histoire.

Quelques avancées en matière de droit du travail, mais pas assez

Tout est-il négatif ? Rappelons que toute une série de réformes du travail ont été annoncées depuis 2017. Parmi celles-ci, la loi réglementant les conditions de travail des travailleurs domestiques, la mise sur pied de tribunaux spécialisés dans le droit du travail pour améliorer l’accès à la justice et la création du fonds destiné au versement d’indemnités.

Dans les faits, la réalité est toute autre : « L’application et la mise en œuvre des réformes est lacunaire. On n’y a pas mis les moyens nécessaires », regrette Brahim. Des milliers de travailleurs sont encore confrontés à des violations de leurs droits. Parmi celles-ci : le retard ou le non-paiement des salaires ; la privation de jours de repos ; les conditions de travail dangereuses ; les difficultés de changer d’emploi ; l’accès limité à la justice.

Atteintes aux libertés syndicales

« Dès l’annonce en 2010 de l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, le mouvement syndical international, y compris l’Internationale des Travailleurs du Bâtiment et du Bois (IBB), a mené campagne pour améliorer les conditions de travail des travailleurs et travailleuses concernées par l’événement. » nous explique Gianni.

Suite à ce travail, certaines améliorations ont été obtenues. Citons l’abolition partielle de la Kafala (le système qui soumet le travailleur migrant au bon vouloir de son employeur), mais dont l’interdiction est souvent détournée. Ainsi que la multiplication des inspections sur les chantiers de construction ; l’instauration d’un salaire minimum. Malheureusement, les travailleurs migrants ne disposent toujours pas du droit de former des syndicats. Quelques mécanismes de représentation des travailleurs ont vu le jour ces dernières années, mais aucune action collective n’est possible. Les représentants ne peuvent porter que des plaintes individuelles à l’employeur.

Le Confédération Syndicale Internationale (CSI), dont la FGTB est membre, prône auprès de la FIFA et des autorités qataries la création et la reconnaissance d’un centre pour les travailleurs migrants. « Ce dernier permettra de former et d’aider les travailleurs à comprendre et à défendre leurs droits, à représenter leurs intérêts, à recevoir des conseils et des formations », ajoute Brahim.

Aberration écologique

Au départ, la Coupe du monde devait avoir lieu entre mi-juin et mi-juillet. A une période où les températures peuvent attendre les 50°C. L’événement sportif a finalement été déplacé en novembre. Mais la climatisation dans les stades sera tout de même utilisée lors des pics de chaleur.   Parmi les huit stades qui seront utilisées, seul un existait auparavant. Les autres qui ont été construits ne seront certainement pas réutilisées après la Coupe du monde. Les stades sont situés dans un rayon de 60 km de Doha, mais de nombreux supporters logeront dans les Etats voisins. Résultat : ils voyageront en avion pour assister aux matchs.   Enfin, la FIFA prétend que la Coupe du monde au Qatar serait la première à atteindre la neutralité carbone. Selon un rapport de l’ONG belge Carbon Market Watch, spécialisée dans l’examen des marchés carbone, cet engagement n’est pas « crédible » et relève du « greenwashing ».


Et maintenant ? Et après ?

Le respect des droits humains et la reconnaissance des syndicats dans les pays candidats doivent être des conditions sine qua non à la participation et à la tenue même de l’événement. »

brahim hilami, secrétaire fédéral construction pour la cg fgtb

« L’attribution de la Coupe du monde au Qatar était erronée et fondée sur la corruption » regrette Gianni. « Mais le boycott à ce stade ne sert à rien, dans la mesure où il est trop tard. Tous les stades sont déjà construits. Il est maintenant primordial que les réformes engagées au Qatar soient réellement mises en œuvre et consolidées. » Ce qui reste un défi, surtout dans la perspective de l’après Coupe du monde. Une fois que les feux des projecteurs et l’attention médiatique se seront déplacés vers le prochain événement sportif.

Et justement. Qu’en est-il des événements sportifs de grande envergure qui auront lieu dans le futur ? Dans d’autres pays où on ne respecte pas les droits humains, environnementaux et/ou des travailleurs ? Selon Brahim, « Les fédérations et organisations à la manœuvre de ce genre d’événements, les sponsors et les participants ont également leur rôle à jouer. Le respect des droits humains et la reconnaissance des syndicats dans les pays candidats doivent être des conditions sine qua non à la participation et à la tenue même de l’événement. »

Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Lire aussi x

Syndicats Magazine

GRATUIT
VOIR