“L’extrême droite prône l’individualisme, nous prônons la solidarité”

“L’extrême droite prône l’individualisme, nous prônons la solidarité”

Comme évoqué ici , Julien Dohet, Secrétaire Politique du SETCa de Liège, est l’auteur d’un livre consacré à l’antifascisme. Historien, administrateur de l’Institut d’histoire ouvrière économique et sociale (IHOES), il est également un syndicaliste impliqué et passionné. Il évoque avec nous son parcours et son analyse de l’histoire des luttes sociales et de l’extrême droite. 

Cet article a été rédigé dans le cadre du dossier “Lutte contre l’extrême droite”.

Julien, tu es un peu notre “expert” sur le sujet de l’antifascisme. Comment t’es-tu amené à t’y intéresser ?  

Julien Dohet : “Cela fait plus de 20 ans que je travaille sur l’idéologie d’extrême droite. J’ai beaucoup lu, analysé leur communication, leurs méthodes. On comprend mieux son adversaire en le connaissant. Durant mes études, j’avais déjà réalisé un travail sur ce sujet. Lorsque j’ai été diplômé, j’ai commencé à m’investir aux côtés des jeunes FGTB. C’est à ce moment que je suis rentré de plein pied dans le syndicalisme et que j’ai commencé à militer. On est à la fin des années 90. C’est une période où l’extrême droite commence à percer et gagne d’ailleurs les élections municipales dans certaines villes en France. Leur idéologie commence à se répandre. Les jeunes FGTB menaient déjà des campagnes contre l’extrême droite à l’époque. C’est là et grâce à ce travail de fond que je comprends mieux le piège que peuvent constituer les discours pseudo-sociaux de l’extrême droite.

C’est aussi à cette époque que se crée l’association Territoire de la Mémoire à la suite du dimanche noir. Début des années 2000, je les rejoins pour y tenir une chronique. A la veille des élections de 2018-2019, il y a aussi un mouvement militant antifasciste qui commence à prendre de l’ampleur, à se restructurer au travers de coalitions de plus grande importance. On sentait un souffle nouveau qui montait. J’ai donc aussi commencé à me questionner sur l’antifascisme et sur son histoire. Je voulais montrer que ce mouvement et cette volonté de défendre les valeurs démocratiques ne venaient pas de nulle part. J’ai constaté qu’il n’y avait pas d’études sur l’antifascisme de manière globale en Belgique. Il y avait quelque chose à combler. J’ai donc commencé un travail là-dessus, en y apportant un regard historique.”

Au cours de ton parcours, quelles évolutions as-tu pu constater dans la communication de l’extrême droite ?

J.D. : “Ces dernières années, l’émergence des réseaux sociaux a profondément changé la donne. C’est toute la communication politique, la communication interpersonnelle qui a changé avec les réseaux et donc aussi la leur. Et dans ce domaine, les extrémistes sont comme des poissons dans l’eau. Ils communiquent énormément via les réseaux sociaux, commentent à coups de déclarations chocs, de fake news, ils attisent les débats chauds, font circuler la peur et la haine autour de leurs thèmes populistes. Quoi de plus facile? Les réseaux sociaux sont gratuits, accessibles à tout le monde, rapides à utiliser… Cela permet de toucher beaucoup plus de gens plus facilement. C’est déjà un constat que j’avais pu faire à mes débuts, qui coïncidaient aussi avec les débuts d’internet. A l’époque déjà, les partis d’extrême droite étaient sur la balle et avaient développé rapidement des sites web performants et très bien conçus.

Être présent sur les réseaux est une chose. Cela permet d’avoir une audience, d’être vu. Néanmoins, ce n’est pas cela qui construit un parti politique. Pour exister, ils ont besoin de contacts réels avec les gens, ils doivent pouvoir se réunir, organiser des meetings. On peut déjà lutter contre la communication virtuelle de l’extrême droite. Mais la lutte se fait aussi sur le terrain, c’est essentiel. Et c’est là que les antifascistes jouent un vrai rôle.”

Les extrémistes communiquent énormément via les réseaux sociaux, commentent à coups de déclarations chocs, de fake news, ils attisent les débats chauds, font circuler la peur et la haine autour de leurs thèmes populistes. Quoi de plus facile?

Julien Dohet

Est-ce que la présence de l’extrême droite s’est banalisée dans notre société ?

J.D. : “On s’est habitués peu à peu à la présence de l’extrême droite dans la sphère politique et dans la société et on a, c’est vrai, connu une certaine phase de banalisation. Lors du dimanche noir en 1991, lorsque le Vlaams Blok avait fait une entrée fracassante sur la scène politique belge, récoltant de nombreux suffrages, l’étonnement et l’indignation étaient à leur paroxysme. Des initiatives et des collectifs s’étaient alors mis en place pour lutter contre la montée de l’extrême droite. Ailleurs en Europe aussi, lors de la victoire du parti d’extrême droite aux élections législatives d’Autriche en 1999, le scrutin avait été vécu comme un tremblement de terre. Pareil en France en 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen et son parti du Front National ont remporté le 1er tour des élections présidentielles.

Après cette phase d’indignation, les choses se sont peu à peu tassées et banalisées et ce, de manière insidieuse. Lors des résultats des élections qui ont suivi, l’étonnement était moins présent si l’extrême droite récoltait des voix supplémentaires. Les dangers de l’extrême droite, sujet brûlant à la fin des années 90, ne suscitait plus un tel engouement et semblait être passé sous les radars. La vigilance et l’attention étaient redescendues alors que l’extrême droite était toujours bel et bien là et même se renforçait. Mais depuis quelques temps, les consciences se réveillent à nouveau. La naissance de la coalition 8 mai en est un exemple criant.”

En quoi ce symbole du 8 mai est fondamental ?

J.D. : “Il y a aujourd’hui une mobilisation contre l’extrême droite qui se restructure et qui prend de l’ampleur. Il y a des syndicalistes qui travaillent sur ces question-là. Des collectifs antifascistes plus larges commencent à se mettre en place. Il y a une conscience qu’il y a une menace et qu’il faut agir. La parole se libère. En ligne de mire, il y a les élections de 2024 et le danger de voir à nouveau l’extrême droite prendre de l’ampleur. Le 8 mai 1945, l’Allemagne nazie a été vaincue et les atrocités du fascisme ont pris un gros coup d’arrêt. Le souvenir de cette victoire a été entretenu par un jour férié jusqu’en 1974, où le gouvernement a décidé de le supprimer à cause de la crise économique.

La Coalition du 8 mai, une initiative d’Ellen De Soete, demande aujourd’hui la réintroduction du 8 mai comme jour férié pour faire front contre l’extrême droite. C’est important car hautement symbolique. L’année dernière, plusieurs organisations et de nombreuses personnes se sont rassemblés au Fort de Breendonk pour se rallier à la demande de la coalition du 8 mai. Cette année, nous irons un cran plus loin et de nombreuses actions se tiendront à nouveau. La lutte contre l’extrême droite est l’une des préoccupations de la FGTB, qui avait d’ailleurs voté une motion en ce sens lors de son dernier congrès.”

Les rassemblements fascistes donnent souvent lieu à des réactions contre les antifascistes.

J.D . : “On est face à un problème éthique et politique. A chaque fois qu’il y a un rassemblement de l’extrême droite, ce n’est pas interdit parce qu’il s’agit de l’extrême droite mais parce que la tenue de ce meeting entraîne une contre-manifestation antifasciste, qualifiée comme pouvant causer un désordre à l’ordre public. On tourne le problème à l’envers. On utilise le mobile de l’antifascisme pour interdire un rassemblement fasciste. Ainsi, on met sur un même pied, fascisme et antifascisme. Ce n’est pas équilibré. C’est un danger pour la démocratie. Et c’est justement ce que les antifascistes essaient de défendre. Les forces de l’ordre semblent parfois voir plus de danger dans les antifascistes que dans les fascistes. Cela soulève quand même de nombreuses questions.

Les syndicalistes, eux aussi, commencent à se prendre des attaques  et à être perçus comme des fauteurs de troubles. On l’a vu récemment dans le conflit Delhaize. C’est d’une violence inouïe. Il y a là un basculement qui doit nous interpeller.”

Les syndicats sont souvent la cible de l’extrême droite. Pourquoi?

J.D. “Les syndicats sont un corps démocratique essentiel, un contre-pouvoir que l’extrême droite ne supporte pas. L’extrême droite prône l’individualisme dans une société homogène, là où nous prônons la solidarité et une société ouverte à la diversité. Les organisations syndicales sont la démonstration que la lutte paie et que tendre vers plus de progrès social est possible. Il y a un travail de fond à faire sur le terrain pour conscientiser sur les dangers de l’extrême droite. Et les délégués jouent un rôle à ce niveau. C’est expliquer les choses, contre argumenter contre les fausses idées populistes, lutter contre le racisme, le sexisme et contre toute forme de discrimination. Il faut continuer à se mobiliser, être présent sur tous les fronts. Continuer à être vigilants tous les jours.”

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