Myrtle Witbooi, voix des femmes exploitées, nous a quittés

Myrtle Witbooi, voix des femmes exploitées, nous a quittés

Soixante ans durant, Myrtle Witbooi a lutté pour améliorer les conditions de travail des travailleuses domestiques en Afrique du Sud, et dans le monde entier. A 75 ans, elle a perdu la vie des suites d’un cancer. Dans cet article, nous rendons hommage à cette camarade inspirante, qui continuera à vivre à travers les combats futurs pour les travailleuses domestiques.

Koen Vanbrabandt, du service international de la Centrale générale, a eu l’occasion de rencontrer cette femme de poigne, mais au cœur énorme, à plusieurs reprises. Sa dernière visite à Bruxelles remonte à mai 2022 (photos dans la galerie en bas de page).

Soixante années de militantisme! Que faut-il retenir de la carrière de Myrtle Witbooi?

Myrtle était la présidente et le moteur du syndicat sud-africain SADSAWU, dont la CG est partenaire depuis 2017. Sa carrière impose le respect. Elle a commencé en tant qu’aide-ménagère très jeune, vers 17 ans sous l’apartheid en Afrique du Sud. Elle a rapidement voulu organiser ce secteur qui n’était pas reconnu. Vers 1971, elle fait des déclarations publiques pour appeler à plus de respect envers ce travail.

Comment s’y est-elle prise pour organiser le secteur ?

Elle a très vite eu conscience qu’il était nécessaire de rassembler les travailleuses domestiques au sein d’un syndicat pour améliorer leur situation. Ce syndicat voit le jour en 1986. C’est le SADSAWU, dont elle devient la présidente. Elle décide ensuite d’étendre sa lutte pour les droits des travailleuses domestiques au niveau international. On estime qu’elles sont quelque 100 millions dans le monde ! Elle deviendra présidente de l’IDWF, la Fédération internationale des travailleurs domestiques. Grâce à son investissement et sa lutte acharnée, on peut dire qu’elle a placé les travailleuses domestiques sur la carte du monde.

Myrtle Witbooi a débuté sa carrière sous le régime d’apartheid, qu’est-ce que ça signifiait pour une travailleuse domestique ?

Ça signifiait que les travailleuses n’avaient pas de droits. Elles étaient pour ainsi dire esclaves de la famille pour laquelle elles travaillaient, et n’avaient aucune protection. Elles étaient victimes de trois systèmes d’oppression : le système racial – une famille blanche et une travailleuse de couleur -, l’oppression homme/femme et l’exploitation de la travailleuse par l’employeur. Myrtle s’est battue contre cela. Avec le SADSAWU, elle a tissé des liens avec les autres syndicats, avec lesquels elle a mené des grèves très importantes dans le pays. Ce, afin de lutter contre cet apartheid.

De par ses combats et sa persévérance, elle a considérablement amélioré la situation des travailleuses domestiques. Quelles sont ses grandes victoires ?

Elle a mené campagne auprès de l’OIT, l’Organisation Internationale du Travail, afin d’obtenir “des standards de protection sociale pour les travailleuses domestiques”. Elle obtient une victoire immense en 2011 via la création de la convention 189 de l’OIT qui déclare que le travail domestique est un travail formel, soumis à des règles. C’est la fin du système d’esclavage, place aux droits du travail.

Comment cette victoire des travailleuses domestiques a-t-elle été accueillie ?

Avec une très grande ferveur. Myrtle a souvent tenu le discours suivant : “j’étais une femme de la base, une aide-ménagère. A l’OIT, quand nous sommes arrivées dans l’hémicycle pour nous exprimer, on se moquait de nous car on ne correspondait pas aux standards de la politique. Notre persévérance a payé!” Lorsque la loi a été promulguée, les ministres présents ont halluciné en voyant ces femmes chanter et danser dans la salle. C’était vraiment l’heure de gloire de Myrtle. Mais restait ensuite à faire transposer cette convention au niveau national. Elle n’obtiendra la protection sociale pour les travailleuses domestiques sud-africaines que bien plus tard : en 2019. Et le salaire minimum n’est appliqué dans le secteur que depuis mars 2022.

Autre victoire à laquelle Myrtle a grandement contribué, c’est la convention 190 de l’OIT sur la violence et le harcèlement ?

C’est un combat qui lui tenait également à cœur sachant que l’Afrique du Sud est un des pays où il y a le plus de violence envers les femmes. Cette convention bénéficie désormais à des milliers de travailleurs et travailleuses de par le monde. Même si le contexte est différent en Afrique du Sud et en Belgique, il existe un réel lien entre les deux pays. Chez nous aussi, la violence et le harcèlement dans le monde du travail sont une réalité. Les aide-ménagères des titres-services sont exposées à cette violence : manque de respect, salaire insuffisant…

Quel souvenir te laissera Myrtle Witbooi ?

On buvait ses paroles. Elle parlait avec ses tripes. Elle n’a jamais abandonné le terrain. Et ce, jusqu’à son dernier souffle. Elle était leader des femmes, des gens exploités, de la lutte contre l’apartheid et pour les droits humains. Que de casquettes ! Malgré sa popularité, elle est restée très humble et accessible. Elle prenait encore du temps pour donner son avis et ses conseils de maman. Elle s’intéressait à la famille des gens, une valeur fondamentale à ses yeux.

Quel avenir pour le projet que le syndicat entretient avec le SADSAWU ?

Même si Myrtle n’est plus là, nous allons continuer notre travail en Afrique du Sud. Elle laisse un grand vide derrière elle, mais d’autres vont reprendre le flambeau et poursuivre son combat. La lutte est loin d’être terminée pour les travailleuses domestiques. Les sections CG Flandre orientale et Charleroi collaborent à ce projet. D’ailleurs, des délégués de Charleroi tricotent des bonnets, écharpes, bandanas, les vendent et en reversent les bénéfices au SADSAWU qui a lui aussi un groupe de tricot. Les liens sont tissés, nous voulons les pérenniser. Car l’enjeu est de taille.

Myrtle en quelques images

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