Le syndicat, “l’ennemi intérieur” de l’extrême droite

Le syndicat, “l’ennemi intérieur” de l’extrême droite

Un billet d’Olivier Starquit, syndicaliste et auteur de plusieurs ouvrages sur la lutte contre l’extrême droite.

Certaines questions peuvent paraître incongrues tant les réponses semblent être évidentes. Celle visant à savoir pourquoi le syndicat devrait lutter contre l’extrême droite en fait partie.

Les syndicats, ciblés depuis toujours

Tout d’abord, parce que, à travers l’histoire, l’extrême droite a toujours ciblé les syndicats, “l’ennemi intérieur” par excellence. Cela s’est manifesté par leur interdiction, ou leur dissolution. De nos jours, cela se traduit par des locaux vandalisés, balafrés par des signes d’extrême droite, en Belgique ou ailleurs. Ce n’est pas un hasard si les partis d’extrême droite essaient régulièrement – via diverses propositions de loi – de restreindre autant que possible la capacité d’action des syndicats.

Par ailleurs, indépendamment du vernis social qu’ils essaient de mettre sur leurs discours, les comportements électoraux des partis et groupements d’extrême droite ne sont pas en faveur de la classe laborieuse. Citons le vote sur le salaire minimum au niveau européen, vote sur le passage de l’âge de la pension à 67 ans… Ainsi, les valeurs défendues par ces groupements d’extrême droite sont aux antipodes de celles reprises dans la déclaration de principe de la FGTB.

Ainsi, les groupements d’extrême droite, à travers les décennies, conservent pour base le rejet des Lumières et de leur idéal égalitaire et développent une vision fondée sur une hiérarchie inégalitaire, “naturelle” et “immuable”, avec à la clé un racisme culturel et une homophobie marquée.

Au-delà des partis, les idées 

Car à force de lancer des ballons d’essai et en élargissant systématiquement la fenêtre d’Overton[1], les idées propagées par l’extrême droite ont percolé dans la société , sous des formes et des accents différents. Les frontières entre les partis extrémistes et les partis traditionnels se sont amenuisées.

Mais au-delà des partis d’extrême droite, il nous semble essentiel de lutter contre leurs idées ! Et d’être clairs sur la nature de celles-ci… Et donc sur l’extrême droitisation des partis qui les reprennent. Car à force de lancer des ballons d’essai et en élargissant systématiquement la fenêtre d’Overton[1], les idées propagées par l’extrême droite ont percolé dans la société, sous des formes et des accents différents. Les frontières entre les partis extrémistes et les partis traditionnels se sont amenuisées, les marqueurs sont  devenus plus mitigés, les désaccords sont plus modérés.

Le déferlement sur les réseaux sociaux de groupuscules xénophobes exerce un poids certain sur le débat public et incite les partis traditionnels à surfer sur cette vague. Ciblant le  migrant, le réfugié, l’islamiste, le musulman, au risque de jeter le trouble sur ce qui les sépare de l’extrême droite. Et c’est ainsi que les programmes sécuritaires et xénophobes ne sont plus le privilège exclusif de l’extrême droite. Et cette  reprise normalisatrice des propos de l’extrême droite, au lieu de l’affaiblir, l’a au contraire renforcée et légitimée en banalisant son discours. Les propos, devenus  ainsi habilement édulcorés et rhétoriquement aseptisés, passent en contrebande. Ce qui ne facilite pas la tâche de quiconque souhaitant s’opposer à ces idées rances.

Lutter oui, mais comment ?

Tout aussi intéressante est la question visant à savoir comment lutter contre l’extrême droite et ses idées. Tout d’abord, la meilleure manière de contrecarrer cette tendance à la normalisation consiste à insister sur le respect du cordon sanitaire politique ; et là où le cordon sanitaire médiatique n’existe plus, insister sur sa réintroduction permet de souligner que ces partis ne sont pas démocratiques et ne sont pas normaux (ce que l’on appelle l’effet performatif[2]).

Lutter contre l’extrême droite et ses idées implique de systématiquement éclairer le vampire (car il ne supporte pas la lumière) : il faut systématiquement dévoiler les différences entre les propos prétendument sociaux et les comportements électoraux réels, il faut systématiquement traquer à la culotte les propos tenus par les élus au sein du parlement, et les éclairer.

Lutter contre l’extrême droite et ses idées implique aussi de capter la colère que la situation politique et les injustices créent, avant que celle-ci ne se mue en ressentiment. Il est intéressant de rappeler ici qu’Emile Durkheim identifie précisément l’origine du mouvement socialiste dans le mécanisme conduisant de la colère à l’espoir, à l’aube de la révolution industrielle.

Ré-enchanter le monde du travail

La rancœur et le ressentiment ne sont pas innés : il est possible d’y remédier, non pas en courant derrière les idées extrêmes, car le citoyen, le travailleur, l’électeur préférera toujours l’original aux pâles copies. Mais en rejetant le statu quo, en ne s’identifiant pas aux propositions et partis existants et en présentant une perspective d’avenir affriolante. Une perspective remplie de propositions propices à ré-enchanter le monde du travail, de réponses aux besoins de protection (sociale) et de sécurité (sociale) ressentis dans un monde qui bouge. Un monde qui donne à chacun et à chacune le sentiment d’être vulnérable (la pandémie, le processus de précarisation des travailleurs…).

Pour le dire autrement, il s’agit d’occuper le terrain. Le nôtre, pas le leur, avec nos accents, nos propositions. Cette occupation du terrain doit viser aussi à peser sur l’opinion publique et à veiller à ce que ce soient nos thèmes qui donnent le ‘la‘ : redistribution des richesses, réduction collective du temps de travail, transition juste. Bref, plus d’égalité et moins de débat sur “l’identité menacée de l’homme blanc”. La feuille de route est claire mais le chemin est sinueux et escarpé.


[1] Joseph P. Overton affirme que la viabilité politique d’une idée dépend principalement du fait qu’elle se situe dans la fenêtre de discours.

Selon la description d’Overton, sa fenêtre comprend une gamme de politiques considérées comme politiquement acceptables au regard de l’opinion publique existante, et qu’une personnalité politique peut donc proposer sans être considérée comme trop extrême, pour gagner ou conserver une fonction publique.

Après la mort d’Overton, d’autres ont examiné le concept d’ajustement de cette fenêtre d’idées acceptables, par la promotion délibérée d’idées en dehors de cette fenêtre (ou d’idées situées à la « frange externe ») avec l’intention de rendre acceptables, par comparaison, des idées jusqu’alors considérées comme marginales.

[2] Comme la phrase : je vous déclare mari et femme (le dire, c’est le faire)

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