Mois de mars, mois des droits des femmes ! Durant tout le mois, nous vous proposerons des articles, billets, interviews en rapport avec cette thématique. Le billet suivant est signé par Aurélie Leroy, Chargée d’étude au Cetri, coordinatrice de plusieurs ouvrages dans la collection Alternatives Sud sur les violences de genre, l’instrumentalisation du genre et les migrations.
Comme chaque avant le 8 mars, pour la journée internationale des droits des femmes, un appel à la grève internationale est lancé. Par et pour les femmes. Cette action symbolique, mais très politique, a pour visée de révéler que “lorsque les femmes s’arrêtent” – qu’elles soient au travail ou à la maison – “le monde s’arrête”. Traditionnellement associée au travail productif et rémunéré, la grève s’étend aussi, à cette occasion, à la consommation et à l’éducation, au travail domestique et au soin aux autres (le “care”). Une façon de mettre en lumière que tout le travail de “réalisation de la vie” ,dans lesquelles les femmes jouent un rôle essentiel, ne peut être ignoré plus longtemps. Il doit être valorisé à la hauteur de son utilité sociale.
Conjugaison des crises
À quelques jours de cette journée très spéciale, portons un regard appuyé sur une figure particulière, celle des travailleuses migrantes domestiques, frappées de plein fouet par la conjugaison des crises. Aujourd’hui, on estime globalement qu’une personne migrante sur deux dans le monde est une femme et que près de trois-quarts des travailleurs migrants domestiques sont des femmes.
Le lien entre travail domestique et migration internationale de main-d’œuvre féminine a été dûment établi, par l’Organisation internationale du travail (OIT) notamment. Dans les relations de travail, tout comme dans les parcours migratoires, les rôles reproductifs assignés traditionnellement aux femmes ont déterminé leur insertion dans la division sociale du travail, ainsi que les particularités et les variations de leurs schémas migratoires.
Le “travail de soin” externalisé sur le marché global
Avec les « crises de la reproduction sociale » dans les pays d’Europe du Nord – résultant du vieillissement de la population, de l’insertion des femmes des classes moyenne et supérieure sur le marché de l’emploi et du fléchissement des politiques sociales -, une partie du travail de soin a été externalisée sur le marché global. Les femmes des pays à plus faibles revenus sont venues combler une pénurie de main-d’œuvre en matière de travail domestique et de soin. S’est ainsi forgée l’idée d’une « division internationale du travail reproductif ». Cette chaîne de soin aux multiples maillons, établie à l’échelle internationale, est révélatrice à la fois de rapports Nord-Sud qui demeurent persistants (même si les migrations sont surtout internes ou s’opèrent entre les Suds), mais aussi de rapports de classe, de genre et de « race » qui se croisent et structurent les relations de travail et les flux migratoires.
“Esclavage moderne”
Il n’existe pas une situation de « domination sociale » commune à toutes les travailleuses domestiques. Les situations de travail (emploi à demeure – live-in – ou travailleuse ayant son logement – live-out –, par exemple) et les conditions d’emploi (droit du travail et relations professionnelles) sont multiples. Toutefois, dans ce secteur de l’économie, le temps de travail est le plus long, les salaires sont les plus bas et une bonne partie des personnes travaillent dans des conditions que l’OIT désigne comme de “l’esclavage moderne”.
Et en Belgique?
En Belgique, les travailleuses domestiques sans-papiers qui travaillent dans l’informel sont estimées à plusieurs milliers, sans pouvoir donner plus de précision. Certaines d’entre elles ont entamé depuis 2018 un combat en se constituant en Ligue, refusant de vivre plus longtemps dans l’isolement, l’insécurité et la précarité alors qu’elles remplissent des fonctions essentielles au maintien et à la dynamique de nos sociétés. Elles entendent faire valoir leurs droits et réclament de l’État belge, conformément à ses engagements internationaux (convention d’Istanbul, Convention 189 de l’OIT notamment), de bénéficier de mécanismes de protection lorsqu’elles déposent plainte contre un patron violent ou abuseur, et d’obtenir un accès au travail légal et aux formations dans les secteurs en pénurie.
L’obtention de droits minimaux serait indéniablement une avancée au regard des conditions d’exploitation existantes, mais cet objectif n’est toutefois pas assez ambitieux. Ce dont il est aussi question ici, c’est de redonner sens et revaloriser toutes les formes de travail et d’activités qui rendent la vie possible, et dès lors de reconnaître les valeurs essentielles sur le plan social et économique des métiers de la reproduction sociale assumés très majoritairement par des femmes.
Sur ce thème : Alternatives Sud (2023), Migrations en tout « genre », Vol.30/1, Cetri-Syllepse, Louvain-la-Neuve-Paris.