Trois activistes pour le climat : la jeune Youna Marette, le délégué métallo FGTB Alain Briquet et l’artiste visuel et plasticien Joanie Lemercier. Á leurs pieds, Hambach : la plus grande mine de charbon à ciel ouvert d’Europe. Une catastrophe écologique et sociale sans nom. Mais aussi une lutte féroce. Qui a fini par payer. En partie, du moins. La fin du monde donc, ou plutôt la fin d’un monde ?
C’est à cette question qu’envisagent de répondre les réalisateurs Yannick Bovy, Frédéric Tihon et Gérald
Jamsin-Leclercq dans la dernière émission « Regards », produite par le CEPAG et proposée sur les trois chaînes télé de la RTBF par la FGTB wallonne.
Aberrations écologiques
La mine de Hambach se situe à seulement quelques dizaines de kilomètres de la ville de Cologne, en Allemagne. Le paysage est impressionnant, voire terrifiant. Un trou qui s’étend sur plusieurs kilomètres (voir photo). De gigantesques machines qui forent à plus de 400 mètres de profondeur pour aller
chercher le charbon. Auparavant, à la place de ce trou, il y a avait une forêt, vieille de 12000 ans, des champs, des villages, de la vie. Depuis l’ouverture de la mine en 1978, presque tout a été rasé, détruit, anéanti. Aujourd’hui, il ne reste plus que 10% de la surface de la foret.
Ce sont ces images qui ont allumé la flamme militante chez Joanie Lemercier. « Il y a 5 ans, je suis devenu activiste climat. Auparavant j’étais un peu dans ma bulle. Je pensais que le monde allait plutôt dans une bonne direction », avoue-t-il. En 2019 Joanie découvre une vidéo qui montre des jeunes activistes en action contre le projet minier. Les images du site le choquent.
Alain Briquet, délégué FGTB métallo, est pris d’un sentiment d’indignation similaire par rapport à l’Île aux Corsaires, à Liège. Ce qui aujourd’hui est une réserve naturelle était un ancien terril de la Vieille Montagne, l’usine dans laquelle il travaille. « L’usine fabriquait du zinc. Et pour le faire, elle grillait du minerai. Les déchets étaient stockés ici, sur le terril. Après c’est devenu un terrain vague, où les enfants allaient jouer », explique Alain. « C’est un terril bourré de métaux lourds, en plein milieu de la ville. » s’inquiète-t-il. « Ce qu’on laisse aux générations futures ce n’est pas une réserve naturelle, c’est un site pollué. »
Double impact : social et environnemental
Retour à Hambach. Quand le groupe énergétique allemand RWE a été autorisé à exploiter le charbon dans la zone, il y avait à cet endroit-là une forêt et des zones habitées. Chaque année, un accord entre le gouvernement du Land de Rhénanie-du Nord-Westphalie et l’entreprise autorise la carrière à s’étendre
de 100 hectares. « On va sortir les gens de leurs communautés, raser les villages, détruire les maisons, les églises, les écoles, les cimetières », explique Joanie. « À la place, on a maintenant des machines qui creusent jour et nuit, 365 jours par an. Qui vont détruire toute la vie pour aller chercher ce charbon. »
Par la suite, le charbon est brulé pour produire de l’électricité. Mais ce processus pollue l’air. En Europe, l’on compte chaque année 800.000 décès liés à la pollution atmosphérique. « La Région de la Ruhr, en Allemagne, est d’ailleurs l’une des régions les plus polluées d’Europe. Spécifiquement autour de ces mines de charbon. »
Le capitalisme à l’état pur
Pour Alain, le constat est clair :
« C’est le capitalisme à l’état pur. On rogne, on rogne, on rogne. Peu importe ce qu’il y a devant, il faut faire de l’argent. »
Constat similaire dans son usine. Mais là ce sont les travailleurs et travailleuses qui en sont les victimes.
« On est passé d’un site où on était plus de 600 travailleurs à un site où on n’est plus que 80. C’est la production qui prime. On produit toujours plus avec de moins en moins de personnel. Parce que le but social, il n’y en a pas vraiment », déplore-til. Pour le délégué, il faut une rupture avec le capitalisme. « On ne peut continuer dans ce système, il est trop prédateur ».
Joanie le rejoint : « Cette idéologie ne tient pas compte des limites planétaires, de la santé des gens, de la conservation de la biodiversité, de l’habitat. Cette idée de la consommation infinie met en danger nos conditions de vie sur terre. »
Les jeunes et leur détermination
Le respect de l’environnement, le social, un avenir viable, ce sont des préoccupations majeures également pour la jeune activiste Youna Marette. Cette dernière fait partie de cette génération de jeunes qui a remis la question de l’environnement à l’agenda politique il y a quelques années, avec les marches pour le climat. Depuis, elle continue son combat en participant notamment à des événements européens et internationaux sur les questions climatiques. Elle a d’ailleurs participé en 2019 à la COP à Madrid. « J’ai été fort déçue de cette COP. Les décideurs du monde entier qui s’y rejoignent font des promesses pendant 3-4 jours dans des belles salles climatisées. Ils promettent de faire mieux pour l’environnement. Mais après, il ne se passe pas grand-chose », regrette-t-elle.
Pour Youna, les marches des jeunes « c’était un peu les oiseaux qui annonçaient la tempête. Maintenant, il faut qu’elle arrive », dit-elle avec détermination.
« Les marches des jeunes c’était un peu les oiseaux qui annonçaient la tempête. Maintenant, il faut qu’elle arrive »
« Cela peut être fait d’une manière intelligente, non violente. En tout cas vers les hommes, les humains. Mais il va falloir qu’on soit prêts à bloquer des usines, des sites. Et on le fait de plus en plus. C’est la seule et bonne manière, mais toujours de manière complémentaire avec les autres formes d’actions. »
Joanie s’en est inspiré : « Ces jeunes ont une détermination politique qui, à mon sens, est plus convaincante que beaucoup d’actions de politiciens. Ça m’a fait reconsidérer l’action politique. L’action directe et la désobéissance civile étant pour moi une des formes les plus convaincantes aujourd’hui. »
Des victoires
Et ces actions de la part d’ONG ou de groupes tels qu’Extinction Rebellion en Belgique portent leurs fruits, malgré les tentatives d’intimidation de la part des différents gouvernements et des entreprises concernées. Hambach en est un bon exemple. Grâce à la lutte des jeunes activistes, le gouvernement allemand s’est engagé à préserver le bout de foret restant. Mais la plus grosse victoire reste l’avancement de la date de sortie du charbon, qui était prévue en 2038, à 2030. 8 années d’exploitation de charbon en moins. « Dans un pays comme l’Allemagne c’est absolument énorme. Ce sont des millions de tonnes de CO2 qui ne vont pas être émis », se réjouit Joanie.
Indissociables luttes
« L’écologie sans la lutte des classes, c’est du jardinage », explique Alain. C’est aussi le titre que Yannick Bovy a choisi pour ce reportage, reprenant la formule de Chico Mendes*. Mais pourquoi ? « Demander qu’une activité industrielle s’arrête, ça peut paraitre étonnant de la part d’un syndicaliste. Mais quand tu es syndicaliste, tu ne dois pas regarder juste ton nombril, ton entreprise et l’avenir sur un mois, un an, quelques années. »
« Tu ne peux pas envisager la lutte sociale en dehors de son environnement. Et son environnement, c’est la planète », ajoutet-il. « Il y a tout un travail de conscientisation à mener dans l’organisation syndicale, mais aussi auprès des travailleurs, des affiliés, des citoyens pour qui le climat semble moins important.
Donc ça veut dire s’organiser et inverser le rapport de force. » Pour le délégué syndical, il faut penser la transition écologique avec la participation du monde du travail, notamment pour créer de l’emploi durable. C’est mieux pour les travailleurs et les travailleuses, c’est mieux pour la planète. Comment ? À travers la lutte. Encore et toujours. Car c’est elle qui fait avancer les choses.
Pour visionner le reportage dans son intégralité, cliquez ici. Un film de 52 mn tiré de ce reportage sera bientôt disponible. |
*Chico Mendes (1944-1988). Syndicaliste brésilien en lutte contre la déforestation de l’Amazonie, il fut assassiné sur ordre d’un grand propriétaire terrien éleveur de bétail.