Philippe Martinez, Secrétaire général de la CGT (Confédération Générale du Travail) depuis 2015, est l’une des figures de proue du syndicalisme français. Les élections présidentielles approchant à grands pas, le camarade moustachu au charisme indéniable nous a dressé un bilan de la situation sociale du pays. De son apparition dans la vidéo de Zemmour, au combat de la CGT pour la diminution du temps de travail, découvrez son interview.
Philippe Martinez : Les élections présidentielles en France, comme dans beaucoup de pays, sont un moment important pour la démocratie. Mais il existe un décalage entre la médiatisation de certains candidats d’extrême droite – comme Éric Zemmour ou Marine Le Pen et leurs thèses – et la réalité du quotidien des travailleurs et travailleuses. Il y a des urgences qui ne peuvent pas attendre le mois d’avril pour être résolues. Les préoccupations en France ce sont les questions sociales : les salaires, la santé, les services publics. Et pas ce qu’on entend le plus dans les médias, comme l’immigration.
Les syndicats ont toujours été une des cibles principales de l’extrême droite. D’ailleurs vous apparaissez dans la vidéo d’annonce de la candidature d’Éric Zemmour à la présidence. Philippe Martinez, pourquoi est-il important que la lutte antifasciste soit également menée par les syndicats ?
L’extrême droite est à l’opposé de nos valeurs : l’opposition des travailleurs entre eux, le rejet des immigrés, le racisme… La meilleure réponse que l’on peut donner aux idées d’extrême-droite, c’est de les combattre. Partout où on peut le faire et quel que soit celui ou celle qui les porte. En soutenant par exemple la régularisation des travailleurs sans-papiers. En étant avec eux sur les piquets.
Zemmour c’est le dernier sorti de cette boîte de fascistes ; il dit tout haut ce que Marine Le Pen dit tout bas. Mais il ne faut pas que Zemmour rende plus gentille Marine Le Pen ou Éric Ciotti. C’est les mêmes ! Ils ont des discours identiques. En mettant ma figure sur son clip, Zemmour pointe du doigt non seulement la CGT, mais tout le syndicalisme. C’est une fierté pour nous d’apparaître sur sa vidéo. Être le meilleur ennemi de Zemmour, être donc désigné ennemi de gens que l’on combat, ça clarifie les choses.
En Belgique, on constate une judiciarisation et une criminalisation de l’action syndicale. Êtes-vous confrontés aux mêmes difficultés en France ?
En France, il existe depuis plusieurs mois une loi d’exception qui interdit de manifester sans autorisation préalable. Cette loi remet en cause les libertés individuelles et collectives. Nous avons aussi des militants placés en garde à vue, parfois avec condamnation immédiate… comme des délinquants. On a un secrétaire régional qui a été convoqué 17 fois au commissariat et qui est passé 3 fois au tribunal pour avoir organisé des manifestations contre la réforme des retraites. 17 fois… C’est plus de la répression, c’est de l’acharnement ! Comme en Belgique, il y a une vraie volonté de criminaliser l’action syndicale. La finalité, c’est d’avoir des syndicats relais du pouvoir, qui accompagnent les lois gouvernementales et pas qui critiquent les politiques d’austérité ou proposent des alternatives. Soit les syndicats rentrent dans le rang, soit on leur tape sur la figure.
Je crois qu’il faut remettre en cause les gouvernements respectifs, mais pas seulement. Il faut également une vraie campagne à l’échelle européenne. Que les syndicats soient plus offensifs sur leur rôle d’utilité publique. On est aux côtés des salariés pour les défendre.
Les conséquences de la crise sanitaire pour les travailleurs et travailleuses sont lourdes. Malgré cela, votre gouvernement a voté le deuxième volet de la réforme du chômage. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En bref : avant, les allocations de chômage étaient calculées sur une durée de travail de 6 mois, maintenant c’est sur 4 mois. Si vous n’acceptez pas le travail qu’on vous propose, vos droits diminuent. On veut faire travailler les gens en deçà de leurs qualifications.
Tous les syndicats étaient contre cette réforme, mais le gouvernement l’a quand même passée. C’est la preuve que le dialogue social a des limites. La réforme consiste à dire que si les gens sont au chômage, c’est de leur faute. « Ils ne cherchent pas assez du boulot, c’est des fainéants, ils sont payés à rien faire », etc. Cela vise à culpabiliser les demandeurs d’emploi. Or, en France, plus d’un chômeur sur deux ne touche rien. Toute une partie de la population au chômage ne peut pas être qualifiée de profiteurs, puisqu’elle n’est pas indemnisée. Le vrai problème, c’est le manque d’offres d’emploi. Même si toutes les offres à pourvoir étaient pourvues, il resterait 70% des chômeurs…
Nos deux pays sont confrontés à une perte du pouvoir d’achat due notamment à l’augmentation des prix de l’énergie et du gaz. Quelles sont vos revendications ?
Premièrement, on combat l’idée que le travail soit un coût. Le travail c’est un investissement. Et donc on doit payer les travailleurs en fonction de leurs qualifications. Pourquoi une infirmière Bac +3 n’a pas le même salaire d’embauche qu’un Bac +3 dans l’industrie ? C’est le même diplôme. Cette différence contribue à aggraver les inégalités entre femmes et hommes.
Deuxièmement, on a un salaire minimum indicatif ; il n’est plus la référence légale. On propose qu’il passe à 2.000 euros. Actuellement, il est à 1.400 euros. Une fois les cotisations sociales réduites, ça fait un salaire minimum net autour de 1.200 euros. On est pas loin du seuil de pauvreté. Le gouvernement vient d’ailleurs de proposer un chèque énergie et ne pourront en bénéficier que les salaires en dessous de 2.000 euros. C’est la preuve qu’on va dans le bon sens.
Enfin, on travaille sur la question des salaires en dehors de l’inflation. Un salaire c’est ce que vous travaillez tous les mois et ce que vous cotisez pour que ça vous serve tout au long de votre vie : allocations familiales, chômage, santé, retraite,… On se bat contre le gouvernement Macron et la droite qui veulent augmenter les salaires mais en réduisant les cotisations sociales. Ils veulent nous mettre dans une poche ce qu’ils nous ont piqué dans l’autre. On va gagner plus, mais quand on ira à l’hôpital on payera plus, à la retraite on recevra moins…
La FGTB se mobilise depuis des années pour la réduction collective du temps de travail, et la semaine de 4 jours et 32 heures de travail est au cœur de ses priorités. Est-ce ce qu’elle sera également l’une des vôtres pour la campagne présidentielle et législative à venir ?
Depuis que le monde du travail s’est constitué, toutes les grosses évolutions sociales tournent autour de la réduction du temps de travail. Cela fait 6 ans que l’on porte la revendication des 32 heures, mais pas forcément des 4 jours. Pour certains métiers lourds il vaut mieux répartir les heures sur 5 jours.
L’idée est simple : on est l’un des pays les plus productifs dans le monde. Cette productivité doit être mieux partagée. Si les gens qui ont du travail travaillent moins, ce qui n’en ont pas pourront travailler. Le travail c’est essentiel, mais il n’y a pas que le boulot dans la vie. Si on veut plus d’éducation populaire, plus de participation citoyenne dans des associations, clubs sportifs, etc. ; faut laisser du temps aux travailleurs. La réduction du temps de travail c’est aussi une bataille contre les temps partiels imposés, dont sont principalement victimes les femmes. Pour nombreuses d’entre elles, les 32h c’est travailler plus et donc gagner plus. Enfin, travailler moins, c’est aussi bon pour la planète. Ça permet moins d’activité, moins de déplacements. Et donc, réduire le temps de travail, c’est écolo.
Depuis que le monde du travail s’est constitué, toutes les grosses évolutions sociales tournent autour de la réduction du temps de travail.
Philippe Martinez
Nos organisations syndicales sont historiquement engagées dans les luttes sociales. Elles sont aujourd’hui confrontées à un état d’urgence environnementale sans précédent. Comment doivent-elles agir pour être à la hauteur de l’enjeu ?
Il y a des mobilisations pour le climat et des mobilisations sociales. Alors on s’est dit : pourquoi ne pas les regrouper? Nous avons alors créé un collectif avec des organisations environnementales comme Greenpeace. On travaille et on échange ensemble. Car on ne peut pas opposer les urgences sociale et climatique. Ce sont les mêmes urgences. Il faut qu’on trouve des solutions ensemble pour préserver les emplois, augmenter les salaires, dans le respect et la protection de la planète. En ce moment, on se bat avec ce collectif pour la réouverture d’une usine qui fabrique du papier recyclé. C’est une expérience très intéressante. Tout le projet est construit avec les travailleurs qui restent dans l’usine. Il faut faire confiance aux travailleurs, parce qu’ils savent comment développer l’emploi.
Certains veulent nous faire croire que les questions environnementales sont des questions sociétales, mais ce n’est pas vrai. Ce sont des questions politiques et économiques. Le capitalisme vert, ça n’existe pas. Le capitalisme n’a pas de couleur. Il a un seul but : du profit au détriment des salariés et de la planète. Le syndicalisme a tout intérêt à mettre sur la table ses expériences du monde du travail.
En septembre vous étiez à Bruxelles pour manifester à nos côtés contre la loi sur la marge salariale qui bloque l’augmentation des salaires. Pourquoi la solidarité entre syndicats est-elle importante ?
La semaine d’après, il y avait une camarade de la FGTB qui était en tête de cortège à Paris à côté de moi. C’est tout d’abord une question de solidarité, mas c’est aussi pour notre syndicat que l’on vient manifester. Montrer qu’on a des revendications communes. C’est aussi lutter contre le dumping social, les oppositions entre travailleurs… Le premier argument des patrons quand ils ne veulent pas nous augmenter c’est «vous êtes trop payés, regardez à côté ». Si à côté se mobilise pour les mêmes choses, ça nous rend plus forts.
Pour clôturer l’interview : que signifie pour vous le mot « résister », et comment le conjuguez-vous au présent, et au quotidien ?
Résister, c’est indispensable parce que ça fait référence à une histoire et au présent. Mais je pense que ça ne suffit plus. Aujourd’hui, résister doit se conjuguer avec proposer. On ne veut pas que répondre aux attaques du capital, on veut changer le monde. Et pour changer le monde, on doit être plus ambitieux.