Article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant : « Chaque enfant a droit à une éducation. » C’est ce droit fondamental que 45.000 personnes sont venues défendre dans les rues de Bruxelles ce lundi 27 janvier. Parmi elles, des enseignants et enseignantes, mais aussi beaucoup d’élèves, inquiets pour leur avenir commun. La situation dans les écoles de Wallonie et de Bruxelles est alarmante. Et le projet du gouvernement de droite MR/Les Engagés n’augure rien de bon pour les années à venir ! Une grève de 48 heures a été décrétée. Syndicats Magazine est allé à la rencontre des enseignants, manifestants, grévistes.
10:30, Gare du Midi. La foule atteste de l’immensité du problème. L’inquiétude est palpable. « Rabote pas l’enseignement, c’est l’avenir de nos enfants », peut-on lire sur une pancarte. « J’aime mon métier, arrête de m’en dégoûter », sur une autre. Plus loin, des syndicalistes ont même fabriqué un cercueil dans lequel « repose l’école publique, assassinée par le gouvernement ». A 11 heures, le cortège se met en route. Les représentants syndicaux arborent une banderole « L’enseignement, un droit pour toutes et tous ! ». La foule les suit dans les boulevards de la capitale qui deviennent rouges, verts, bleus.
Paroles de profs
Les inquiétudes des enseignants tournent surtout autour des élèves : pas assez de temps à leur consacrer, peur qu’ils soient exclus du système scolaire, infrastructures qui posent problème… Les revendications qui concernent leurs propres conditions de travail passent en deuxième lieu. L’altruisme est remarquable.
Marie Blairon est enseignante à l’Institut des Arts et Métiers de Bruxelles – enseignement qualifiant – et affiliée FGTB. Parmi les mesures concernant le qualifiant : réduction des moyens et du nombre d’heures et la fin d’accès à une 7ème. Mesures qui vont également mener à des pertes d’emplois. Le 27 et 28 janvier, Marie était en grève. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a suivi le mouvement, elle répond : « Parce qu’on va couper budgétairement auprès de publics qui sont déjà extrêmement fragilisés. » Pour Marie, s’attaquer à l’enseignement qualifiant, c’est s’attaquer à l’avenir de ses élèves. « On dit que ces personnes ne se dirigent jamais vers les hautes études ou les universités. C’est faux ! Moi j’ai plein d’anciens élèves issus du qualifiant et qui par un chemin un peu plus sinueux que d’autres jeunes parviennent à trouver la motivation et à décrocher un diplôme en haute école ou à l’université. »
Geneviène Lap est enseignante dans l’enseignement spécialisé et déléguée CGSP. Elle s’inquiète de la lourdeur administrative qui empêche le corps enseignant de faire son travail correctement. « Dans notre école les classes sont bondées. Malheureusement on a de plus en plus d’enfants aux besoins spécifiques dont on ne sait pas s’occuper tellement on nous demande d’autres choses que d’enseigner. »
« Une école n’est pas faite pour former des robots. Nous on mise sur l’avenir, sur les citoyens de demain. Et quand on travaille avec des humains, il faut des moyens qui correspondent »
— Geneviène Lap, enseignante dans l’enseignement spécialisé et déléguée CGSP
Pour Pino Consentino, prof dans l’enseignement libre et délégué SETCa, les infrastructures posent aussi problème. « Dans ma région, les conditions peuvent varier de ‘pas mal’ à ‘exécrables’. Il y a par exemple une école qui n’a même pas d’issue de secours en cas d’incendie. Les élèves pourraient être condamnés… » Et ajoute indigné : « C’est incroyable au 21ème siècle de vivre dans des conditions pareilles dans l’enseignement! »
Une attaque aux services publics
Parmi les mesures annoncées l’été dernier dans l’accord de majorité MR-Engagés pour l’enseignement figure également la fin des nominations pour les enseignants au profit de CDI. Pour Luc Toussaint, Président communautaire de la CGSP enseignement, « La question du statut est fondamentale. S’il n’y a plus de caractère régulateur du statut, on sera dans un système complètement marchand. Il ne faudra pas longtemps pour que ceux qui ont les moyens aient un enseignement de qualité et ce qui n’en ont pas, un enseignement au rabais, avec des profs moins qualifiés. »
Pour Marie aussi, la nomination reste une condition importante pour assurer la qualité de l’enseignement. « Actuellement les gens ont du mal à embrasser une carrière de prof. C’est vrai que ce n’est pas toujours facile, mais c’est une fonction qui est reconnue : on a une bonne pension, on a un statut, et donc on est quand même protégés. » Pour les syndicalistes, le but c’est de lutter contre la pénurie en rendant le métier plus attrayant. En dégradant les conditions de travail, c’est l’effet contraire qui va se produire.
Un dialogue de sourds
« La Déclaration de Politique communautaire (DPC) est d’une brutalité sans nom. » selon Adrien Rosman, coordinateur communautaire SETCa SEL. « On y retrouve quatre attaques frontales : contre le personnel, les services publics, la concertation sociale, contre les plus défavorisés. » Mise à part les mesures énoncées ci-dessus, nous y retrouvons aussi des atteintes à la gratuité scolaire, d’autres mesures d’exclusions d’élèves, moins de moyens pour l’enseignement supérieur… Pour Luc Toussaint : « C’est d’abord des mesures idéologiques. On veut faire appliquer des méthodes managériales comme dans les entreprises. » regrette-t-il.
Les représentants syndicaux pointent du doigt le manque de concertation et de dialogue avec la ministre MR de l’Education et de l’Enseignement de promotion sociale, Valérie Glatigny. « La dernière réunion était très comique. » nous explique le représentant de la CGSP. « On nous a à peine demandé notre avis. Elle nous a dicté ses propositions pendant 40 minutes. Nous voulons l’établissement d’un vrai dialogue qui doit se baser sur autre chose que juste ce qui a sur la DPC, qui n’est pas acceptable pour nous. »
Adrien Rosman conclut : « La ministre sacrifie les générations d’aujourd’hui sans garantie pour les générations de demain d’avoir un enseignement de qualité. Notre revendication, c’est plus de moyens. L’enseignement est un investissement pour l’avenir. »