Femme noire, féministe, syndicaliste, communiste, intellectuelle. Dans les années 60-70 aux Etats-Unis, Angela Davis incarnait tout ce qui dérangeait les conservateurs. Aujourd’hui, elle est le visage féminin de la libération du peuple noir. Avec sa fameuse coupe afro désormais grisâtre, du haut de ses 78 ans, elle continue à défendre les droits des plus opprimés. De passage en Belgique, nous avons eu la chance de l’interroger sur le rôle des syndicats dans son pays. Retour sur la vie et les combats de cette révolutionnaire infatigable.
« Libérez Angela Davis et tous les prisonniers politiques »
« Meurtre », « Non coupable ». « Kidnapping », « Non coupable ». « Conspiration », « Non coupable ». Pourtant, cette femme au sourire sincère et à la voix douce a été jadis parmi les 10 personnes les plus recherchées par le FBI aux Etats-Unis. En 1970, Angela Davis fut arrêtée à New York suite à une tentative d’évasion, lors du procès des frères de Soledad, prisonniers, noirs et révolutionnaires, qui a mal tourné. Quatre personnes sont mortes. Selon les autorités, les armes utilisées lui appartenaient.
Dès l’annonce de son avis de recherche, Angela entre en clandestinité. Deux mois plus tard, elle est arrêtée et emprisonnée. En prison, malgré l’isolement auquel les autorités l’ont condamnée, elle bénéficie de la solidarité des autres détenues, à 95% afro-descendantes ou portoricaines. Et même de certains membres du personnel. Ensemble, elles s’organisent pour défendre leurs droits. Le mouvement de solidarité s’étend également à l’extérieur de la prison, dans tous les Etats-Unis et même à travers le monde. De multiples manifestations en faveur de sa libération sont organisées. « Free Angela Davis » est le cri du cœur. « C’est de là que je tire la force de mener ma campagne contre ce qui est devenu une véritable industrie aux Etats-Unis : le système pénitentiaire. »
Angela est extradée en Californie, où la peine de mort est encore en vigueur. Mais en 1972, deux années après son arrestation, Angela est acquittée. Par un jury entièrement blanc.
Un militantisme qui dérange
Durant les années qui précèdent son arrestation, Angela Davis est professeure de philosophie à l’université de Californie. Elle ne cache pas son appartenance au parti communiste, ni son attachement aux Black Panthers, organisation politique noire-américaine qui prône la libération du peuple noir à travers la lutte armée. La répression policière est importante, le système judiciaire injuste. On arrête les personnes qui distribuent des tracts dans la rue pour « obstruction à la circulation piétonne ». (C’est « l’entrave méchante à la circulation » de l’époque… toujours utilisée pour criminaliser l’action syndicale en Belgique aujourd’hui.) Angela milite pour la libération de prisonniers politiques. Elle participe à de nombreuses manifestations contre la guerre au Viêt-nam. Dans la rue, dans sa classe, à travers l’organisation de cercles étudiants afro…
Elle est brillante. Elle s’exprime bien, est convaincante et inspirante. Son militantisme et son charisme dérangent. En 1969, Angela est expulsée de l’université parce qu’elle est… « communiste ». Et à cette époque-là, être communiste est un crime. Défendre les droits des opprimés est un risque. Elle devient l’une des principales cibles des conservateurs. Comme l’ont été Malcolm X et Martin Luther King, pour n’en citer que quelques-uns, assassinés pour leurs idées. Lorsqu’elle est arrêtée, Richard Nixon, Président des Etats-Unis, a félicité le FBI d’avoir arrêté « la terroriste Angela Davis ».
Le racisme institutionnel
Mais revenons aux origines. Angela a grandi dans le Sud des Etats-Unis, entaché par l’histoire de l’esclavage. La ségrégation, elle l’a vécue dès son plus jeune âge. Les toilettes réservées « aux gens de couleur », les cinémas aux tapis en velours réservés aux enfants blancs. Les incendies et attentats lorsqu’une famille noire s’installe dans un quartier blanc… Le sentiment d’injustice et de colère la submerge très vite. A peine âgée de 12 ans, Angela boycotte les bus où les places sont divisées en fonction de la couleur de peau des utilisateurs. « Rien ne me mettait plus en colère que l’inaction, le silence », avoue-t-elle dans son autobiographie. Plus de 60 ans plus tard, lorsqu’un vaste mouvement de protestation a éclaté suite au meurtre par étranglement de George Floyd par un policier, elle était à nouveau dans la rue.
Selon Angela, le racisme est systémique, structurel, institutionnalisé : il est dans le système judiciaire, dans la répression policière, dans les prisons… « Bien qu’inévitablement renforcé par des comportements teintés de préjugés au quotidien, il sert avant tout les intérêts des dirigeants. » Si nous partons du principe que le progrès consiste à intégrer ou assimiler les minorités, sans affronter le racisme structurel, alors ce supposé « progrès » n’en est pas un. La lutte contre le racisme passe par notre capacité de questionner sans cesse les institutions. Et par l’union : « Nos différences pourraient être la colle qui nous tient ensemble. »
L’intersectionnalité
Le concept d’intersectionnalité revient souvent dans ses discours. « Il désigne des efforts pour penser et combattre ensemble des problématiques telles que la race, le genre, les classes et la sexualité… » La guerre en Ukraine est un cas concret d’exercice de ce principe. « Répondre à ce défi inédit depuis la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas seulement soutenir les Ukrainiens, mais savoir comment le racisme s’insère dans ce conflit, et comment les Africains en Ukraine le subissent également, par exemple. » Angela pointe la nécessité d’un réel mouvement pour la paix, comme il a pu en exister auparavant, qui puisse s’emparer de toutes ces questions.
Le syndicalisme radical
Depuis toujours, Angela Davis est séduite par l’idée du monde ouvrier comme sauveur des opprimés. Pendant son adolescence, elle lit le manifeste communiste, et est captivée par la vision d’une nouvelle société sans exploiteurs ni exploités, sans classes. Selon Angela, pour parvenir à ses buts ultimes, la lutte de libération des noirs aurait à s’intensifier dans le mouvement révolutionnaire qui, lui, englobait tous les travailleurs.
Angela Davis est syndicaliste. « J’ai récemment été nommé membre honorifique du ‘International Longshore and Warehouse Union’, un syndicat qui défend les intérêts des ouvriers portuaires. », dit-elle fièrement. Il s’agit d’un syndicat qui a été en première ligne dans les luttes contre le racisme et le colonialisme, en refusant par exemple de décharger des bateaux venant d’Israël ou d’Afrique du Sud. « Il est important de pointer le rôle que les syndicats radicaux peuvent jouer dans les luttes antiracistes et anticapitalistes. » dit-elle en mettant l’emphase sur le mot « radicaux ».
Car le racisme est intrinsèque au capitalisme et à l’exploitation des minorités. L’un ne peut être éradiqué sans l’autre. « Malheureusement, le taux de syndicalisme est en baisse aux Etats-Unis, alors que l’on voit la montée du capitalisme mondial », déplore-t-elle. Mais parallèlement, elle soulève des initiatives positives et porteuses d’espoir comme celle des travailleurs qui ont créé le premier syndicat contre l’employeur le plus puissant des Etats-Unis, Amazon.
« Il est important de pointer le rôle que les syndicats radicaux peuvent jouer dans les luttes antiracistes et anticapitalistes. »
— Angela Davis
Le climat, l’extrême droite et les sans-papiers
Lors de ses interventions, Angela Davis s’exprime sur de nombreux autres sujets. Concernant le climat, elle salue la mobilisation des jeunes, « toujours en première ligne des changements de société ». Elle critique par ailleurs les dépenses occasionnées par les ultras-riches pour coloniser l’espace, au lieu de se préoccuper de l’avenir des êtres humains et des autres formes de vie sur celle-ci. Inquiète également de la montée de l’extrême droite dans plusieurs pays et notamment en France, elle ajoute : « à ce moment de la crise climatique, la capacité d’attractivité des partis d’extrême droite est un très mauvais signe ».
Pour elle, la lutte des personnes sans-papiers figure parmi les plus importantes aujourd’hui. « La quête des organisations qui défendent leurs droits remet en question les frontières des États, qui ont été dessinées en relation avec le colonialisme ». Et en s’adressant au public, à nous, elle conclut. « Afin d’atteindre un futur meilleur, imaginez un monde qui ne soit pas dessiné par le capitalisme et les frontières ».