En Europe, l’extrême droite se féminise

En Europe, l’extrême droite se féminise

En avril 2022, Marine Le Pen, candidate du parti d’extrême droite français Rassemblement National (RN), frôle la présidence de notre grand pays voisin, la France. Quelques mois plus tard, pile 100 ans après la victoire de Mussolini, Giorgia Meloni, cheffe du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, prête serment en tant que première ministre italienne. C’est un fait : l’extrême droite en Europe se féminise. Mais comment ? Et pourquoi ces femmes occupent aujourd’hui des postes clés au sein de ces partis pourtant misogynes ? Le CVFE (Collectif contre les violences familiales et l’exclusion) a récemment publié une analyse intéressante signée Juliette Léonard, également militante Jeunes FGTB, à ce sujet.

Définition de l’extrême droite

Avant d’analyser les causes qui expliquent la féminisation de l’extrême droite, il est primordial de revoir la définition même de ce genre de mouvances politiques. Pour le politologue et directeur du CRISP,  Jean Faniel, il y a trois idées que l’on retrouve dans beaucoup de définitions : être un parti de droite sur le plan socio-économique ; être un parti nationaliste qui défend l’« intérêt national » et qui souvent relève de la xénophobie ; et être un parti qui valorise la loi et l’ordre, le côté sécuritaire. Le CVFE ajoute une caractéristique : l’extrême droite est conservatrice ; elle fantasme sur les rôles traditionnels considérés comme naturels et explique les inégalités comme découlant d’une soi-disant nature humaine.

Depuis les années 2010, l’extrême droite change de visage et s’affiche plus « douce », plus discrète. Une oreille moins avertie n’entendra plus aussi clairement le bruit des bottes. L’image s’éloigne des skinheads néonazi qui scandent des slogans de haine. Aujourd’hui, au premier rang, des profils plus intellectuels, en costume cravate. Ou bien des femmes. Des mères de familles, des « businesswomen », blanches, chics, confiantes.

La place des femmes

Selon le CVFE, la famille traditionnelle, celle que l’on retrouve dans la devise « travail, famille, patrie », est une composante essentielle de l’extrême droite. Elle serait la base de toute société. Un modèle à suivre. Au sein de celle-ci, les femmes et les hommes occupent des rôles différenciés. La femme s’occupe du foyer, des enfants. On attend d’elle notamment de transmettre l’héritage culturel. L’homme représente la virilité. Cette organisation sociale se fait « au nom de la nature ». Ce qui explique pourquoi certaines catégories de femmes – comme les femmes trans et lesbiennes, ou issues de l’immigration – ou certaines idées égalitaires, comme le féminisme, sont rejetées par ces mouvements.

Cette vision se traduit par des actions ou opinions politiques conservatrices. A titre d’exemple, l’extrême droite pointe du doigt le taux de natalité faible en Europe. Ce dernier serait le résultat des politiques liées au droit à l’avortement, ou encore du divorce. Lorsqu’elle est au pouvoir, l’extrême droite défend des politiques natalistes, qui prônent l’augmentation de la natalité et le retour des femmes au foyer. En Hongrie, Viktor Orban met en place des aides à la naissance. Chez nous, en 2019, le Vlaams Belang vote contre la dépénalisation de l’avortement et propose plus tard de le re-criminaliser.

L’extrême droite, défenseuse des droits des femmes ?

Malgré la nature misogyne des partis d’extrême droite, certains se présentent comme défenseurs des droits des femmes. Comment ? Tout d’abord, en appuyant la théorie que les violences faites aux femmes seraient perpétrées par des hommes issus de l’immigration, musulmans particulièrement. Et ceci n’est pas nouveau. Nous le constations déjà dans les années 80′ avec le FN (Front national), en France. Afin de les dénoncer, ils se concentrent sur les violences commises dans l’espace public, comme le harcèlement de rue. Et prétendent que la gauche et les féministes sont hypocrites et n’osent pas dénoncer les faits.

Les femmes musulmanes sont, elles aussi, pointées de doigt. Elles sont soumises au patriarcat, contrairement aux femmes blanches qui sont « libres ». Cet argument permet à certaines mouvances d’extrême droite d’aller encore plus loin et se revendiquer carrément  féministes.

Des femmes aux postes à responsabilités

Plusieurs femmes occupent désormais des postes clés dans des partis d’extrême droite européens. Nous pouvons citer ici Giorgia Meloni, Marine Le Pen et Alice Weidel, cheffe du parti et groupe politique d’extrême droite AFD, en Allemagne. Malgré ces figures féminines, les hommes dans leurs partis restent largement majoritaires. Les femmes ne représentent respectivement que 14% des parlementaires de l’extrême droite allemande, 30% de l’italienne et 37% de la française.

« Je suis une mère, je suis une femme, je suis chrétienne et on ne me le retirera pas! » déclarait Giorgia Meloni lors d’un meeting à Rome en 2019. Le Pen, elle, promettait en avril 2022 : « Je vais diriger en bonne mère de famille ». C’est clair : Le Pen, Meloni ou Weidel jouent sur la mise en scène du féminin. Elles se présentent comme des femmes actives, voire féministes. Plus douces, moins agressives, modernes. Le Pen met en avant son divorce. Weirdel, elle, est entrepreneuse, lesbienne, mère de deux enfants. Mais leurs discours restent radicaux et violents. Weidel parle d’immigration homophobe musulmane. Le Pen compare l’islamisme au nazisme. Les politiques des partis d’extrême droite sont loin de défendre les droits des femmes. Les discours restent misogynes, racistes, anti-LGBT+…

Meloni, par exemple, se présente comme la voix de toutes les femmes italiennes. Pourtant, son parti est celui qui compte le moins de femmes au sein du nouveau Parlement italien. Quand elle prend le pouvoir, elle change le nom du ministère de l’égalité des chances, pour l’appeler désormais « Ministère de la Famille, de la Natalité et de l’Egalité des chances ». Elle place alors une femme anti avortement, anti-PMA et anti-mariage pour tous comme ministre de la famille…

Une stratégie politique

La question qu’on se pose : pourquoi ces femmes occupent-elles des postes clés dans des partis conservateurs, voire misogynes ? Une première explication : la tendance générale où les femmes occupent de plus en plus de postes à responsabilités dans les partis politiques.

Deuxièmement, selon Eviane Leidig, post-doctorante à l’Université de Tilburg, il y a derrière ce choix une stratégie de dédiabolisation pour attitrer un nouveau public. « Ce sont surtout des hommes qui votent pour ces partis. Cependant, nous commençons à voir que lorsqu’ils sont dirigés par des femmes ils attirent davantage d’électrices. C’est un des facteurs de leur récente victoire ». L’image redorée, notamment grâce aux médias, des femmes de l’extrême droite, renvoie une image sympathique de ces dernières.

 L’extrême droite doit trouver des moyens innovants pour continuer à être pertinente et à attrayante pour le public. Positionner ces femmes à des postes de direction, c’est juste une stratégie intelligente.

Eviane Leidig, post-doctorante à l’Université de Tilburg

Troisièmement, ces places ont été conquises par les femmes d’extrême droite. Bien qu’elles étaient déjà présentes, que ce soit dans le parti nazi ou de Franco par exemple, elles sont aujourd’hui plus visibles. Elles ont parfois transgressé les rôles qu’on leur avait assigné et ont même eu des revendications anti sexistes, voire « féministes ».Tout en continuant à défendre leurs positions rétrogrades contre le métissage et pour « la complémentarité naturelle entre hommes et femmes ».

Pourquoi les femmes votent-elles pour ces partis ?

Selon le CVFE, y a plusieurs raisons qui expliquent ce vote souvent hétérogène, bien que majoritairement blanc. Premièrement, la bataille culturelle de l’extrême droite pour imposer ces discours, notamment à travers les médias. Notons ici que le cordon sanitaire médiatique de la Fédération Wallonie-Bruxelles joue un rôle important dans la non propagation des idéologies d’extrême droite. Ce qui se traduit dans les votes.

Deuxièmement, le contexte de normalisation et banalisation du discours conservateur, notamment à cause de figures comme celle de Georges-Louis Bouchez, ou l’application de politiques anti-sociales et anti-syndicales. Selon la Ligue des droits humains, en une vingtaine d’années, les gouvernements successifs ont mis en application plusieurs points qui à l’origine figuraient sur le programme du Vlaams Blok, prédécesseur du Vlaams Belang.

Mais il ne faut pas non plus négliger le rôle de l’entourage. En effet, la famille joue un rôle important. Toujours selon l’étude du CVFE, nombre de militantes d’extrême droite sont issues de familles conservatrices et ou catholiques/traditionalistes. Elles ont également un membre de leur famille ou un compagnon qui fait partie de l’extrême droite.

Enfin, les femmes votent également pour les partis d’extrême droite pour les mêmes raisons que certains hommes. Parce que leurs représentants ont des discours simples, parlent de « préoccupations  quotidiennes » et se présentent comme proches du peuple. Cf le débat Macron – Le Pen en 2022, où cette dernière apparaît presque comme défendant des politiques sociales… Les dirigeants d’extrême droite profitent aussi des crises – économiques, migratoires, sanitaires… – pour se prétendre solidaires, mais pas envers toutes et tous, évidemment.

La prudence est de mise

A une année des élections en Belgique, restons vigilants. N’oublions pas les raisons qui poussent ces partis à promouvoir des femmes au sein de leurs rangs. N’oublions pas la nature même misogyne, raciste, anti droits des femmes de l’extrême droite. Déconstruisons, dès que nous en avons l’occasion, leurs idées nauséabondes, fondamentalement contraires aux autres. Rappelons que l’extrême droite ne profite à personne. Qu’elle n’a jamais initié des avancées sociales ou en termes de droits des femmes. Qu’elle n’a jamais été du côté des travailleuses et des travailleurs. Nous avons toutes et tous notre rôle à jouer.

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