Entretien avec Jean Ziegler (vidéo complète)

Entretien avec Jean Ziegler (vidéo complète)

Jean Ziegler est sociologue et écrivain. Il a été rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation. C’est un intellectuel suisse internationalement (re)connu pour ses analyses, ses nombreux livres et son infatigable volonté d’agir pour changer le monde. L’équipe de « Regards FGTB » l’a rencontré il y a quelques semaines, chez lui, à Genève. Pour un long entretien filmé, diffusé en deux parties sur les trois chaînes de la RTBF, en décembre et janvier. Les émissions d’opinion « Regards » sont produites par le CEPAG et proposées par la FGTB wallonne. L’intégralité de l’entretien est disponible ci-dessous.

Les propos de Jean Ziegler ont été recueillis par Yannick Bovy et Julien Truddaïu. « Au cours de cet entretien, nous avons questionné Jean Ziegler sur son parcours, son engagement, et le regard qu’il porte sur la juxtaposition de crises que nous vivons : sociale, environnementale, économique, migratoire, géopolitique, démocratique… Il nous a livré son analyse sur le capitalisme prédateur, la montée de l’extrême droite, le rôle des intellectuels, des mouvements sociaux, et notre responsabilité face à « l’ordre cannibale du monde ».

« L’émancipation, l’humanisation de l’espèce humaine est en route, et ça dépend de nous. De notre capacité de combat, de patience révolutionnaire, de mobilisation pour imposer ce monde nouveau au monde meurtrier qui nous gouverne actuellement. »

– Jean Ziegler

Radicalité, lucidité, poésie 

À 88 ans, cet infatigable optimiste en appelle avec radicalité, lucidité et poésie à « l’insurrection des consciences ». Voici quelques courts extraits de cet entretien, que vous pourrez retrouver en intégralité dès le 30 janvier sur le site web de la FGTB wallonne ou ici-même sur Syndicats Magazine.

Extraits

Crise alimentaire

Parmi les multiples crises que nous vivons, la crise alimentaire mondiale. Jean Ziegler en mesure parfaitement la gravité, puisqu’il a été pendant des années Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation.

« Le massacre quotidien, par la faim, de dizaines de milliers de personnes est le scandale de notre temps. Je vous donne quelques chiffres : toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de la faim ou de ses suites immédiates. Plus de 70 millions de personnes meurent par an sur cette planète, toutes causes de décès confondues. Sur ces 70 millions de personnes, l’année dernière, 14 % sont mortes de la faim ou de ses suites immédiates.

Autrement dit, sur une planète qui déborde de richesses, la faim est encore aujourd’hui la cause principale de mort, de destruction de la vie. Il n’y a pourtant aucune fatalité. Un enfant qui meurt de faim maintenant, au moment où nous discutons, est assassiné. La faim est faite de main d’homme. Elle pourrait être chassée, liquidée de la planète dès demain, moyennant quelques réformes fondamentales de l’ordre économique du monde.

Je ne veux pas vivre sur une planète où toutes les 5 secondes des enfants meurent de faim. Alors que le double de l’humanité pourrait être nourri normalement s’il y avait une distribution des richesses et de l’alimentation organisée équitablement, réglée par des lois. Je ne veux pas de cet assassinat massif perpétré dans une normalité glacée, jour après jour.

Je ne veux pas de ce monde où tous les 4 minutes quelqu’un perd la vue par manque de vitamine A. Je ne veux pas ce monde où des mercenaires au service d’une oligarchie multinationale, au service du capital financier mondialisé, exploitent des dizaines et des dizaines de millions de travailleuses et de travailleurs sur le principe de la maximalisation du profit. Je ne veux pas de ce monde-là. »

La crise migratoire et la politique européenne répressive en matière de droit d’asile et d’accueil des personnes réfugiées

« L’Union européenne est coupable d’une politique meurtrière, qui viole les droits humains et qui en outre est totalement inefficace. Parce que si vous êtes bombardé, chez vous, et que vous avez des enfants encore vivants, vous partez, quelle que soit la perspective du refoulement ou de la répression que vous devrez affronter.

Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Il dépend des 27 pays de l’Union européenne, de l’opinion publique de chacun de ces pays, de se lever dans une insurrection des consciences qui se concrétise politiquement, collectivement, et de faire reculer l’Union européenne, pour qu’elle modifie radicalement sa politique. Pour qu’elle respecte désormais le droit d’asile et qu’elle cesse sa politique d’hostilité, de refoulement des êtres humains. »

Insurrection des consciences, insurrection populaire

« Si l’on n’arrive pas à briser, par l’insurrection populaire, par l’insurrection de la conscience, par l’action collective des peuples, cet ordre cannibale du monde, alors nous allons vers un monde totalement insupportable pour des milliards d’êtres humains.

Nous avons accès à l’opinion publique, accès à la libre parole. Dans les sociétés où nous vivons, il n’y a pas d’impuissance. Cette responsabilité est la nôtre.

Alors comment faire ? Ce qui est certain, c’est qu’un nouveau sujet de l’Histoire est né : la société civile planétaire. Des millions et des millions de personnes sont réveillées, se rendent compte que cet ordre du monde est meurtrier, intolérable. Cette société civile se renforce de jour en jour. Elle a de multiples expressions : les ONG, les syndicats, tous les mouvements sociaux, jusqu’aux plus inattendus. Voyez le mouvement « Me Too » : cette insurrection des femmes qui revendiquent, par millions, par des manifestations à travers les cinq continents, leur dignité, leur volonté d’être égales en droits. Voyez le mouvement des jeunes pour le climat. Extraordinaire !

Tous ces mouvements, tout à coup, provoquent une fêlure dans la conscience collective. L’aliénation est brisée. Et ce mouvement s’amplifie, s’amplifie. Donc, il y a de l’espoir ! La société civile incarne cet espoir.

Je pense que si la gauche se fixe, archaïquement, sur la conquête du pouvoir d’Etat, elle fait fausse route. Elle ne va pas vers l’urgence. L’urgence est de mobiliser, d’armer la société civile, dans ses différentes expressions, par l’intelligence, par le savoir, par l’action. D’attaquer directement l’ordre cannibale du monde, tel que l’oligarchie du capital financier globalisé nous l’impose, et permettre à l’humanité de déployer sa richesse, sa liberté à venir. Et nous sommes toutes et tous responsables. Nous sommes toutes et tous appelé.e.s à cette insurrection des consciences.

L’émancipation, l’humanisation de l’espèce humaine est en route, et ça dépend de nous. De notre capacité de combat, de patience révolutionnaire, de mobilisation pour imposer ce monde nouveau au monde meurtrier qui nous gouverne actuellement. »

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