“Qui sont les casseurs?”

“Qui sont les casseurs?”

C’est la question qui ouvre le livre que vient de publier Jean-François Tamellini, Secrétaire général de la FGTB Wallonne. Une question qui semble provocatrice. De qui parle-t-il ? Des syndicalistes, des activistes, des grévistes ? Pour y répondre, il s’appuie sur des exemples concrets, certains personnels, d’autres plus généraux, et s’emploie à déconstruire le discours dominant pour rétablir les faits, rien que les faits. On y revient avec lui, dans cet entretien.

Il est possible de faire quelque chose, c’est à nous d’agir, sans attendre qu’on nous impose une manière de vivre à sens unique. C’est notre capacité de résistance qui fera la différence.

JEAN-françois tamellini

On en a beaucoup parlé des casseurs ces derniers mois, notamment avec le projet de loi de l’ancien Ministre Open VLD de la Justice, Vincent Van Quickenborne. Ce projet de loi a été combattu par la FGTB, et d’autres organisations de la société civile, jusqu’à ce qu’il soit finalement abandonné. C’est de cette bataille victorieuse que vous êtes parti pour écrire ce livre ?

Jean-François Tamellini : Le titre est clairement une référence à ce projet de loi dit « anticasseurs » de Van
Quickenborne, qui cherchait à intimider tous ceux et celles qui essayent de recréer des équilibres. Le point de départ, c’est 2022 et les prix de l’énergie qui explosent. On reçoit des centaines de messages de gens
qui nous disent qu’ils ne s’en sortent plus. Des factures de plusieurs milliers d’euros, des saisies sur salaire. Et au même moment, on comprend que ce n’est pas la crise pour tout le monde. Certains accumulent les surprofits. C’est ce qu’on appelle la « greedflation » : des actionnaires, des grosses boîtes qui, par cupidité, maximisent leurs profits.

On comprend très vite que les casseurs, ce ne sont pas les syndicalistes, ni les travailleuses et travailleurs qui se battent pour leurs droits, les militants antifascistes ou les activistes pour le climat. Qui sont, donc, les casseurs ?

Il y a une détresse sociale qu’on mesure tous les jours : le coût de la vie qui est intenable, les factures d’énergie, l’alimentation… Il y a des enjeux climatiques terriblement anxiogènes. Et puis, il y a des enjeux démocratiques de plus en plus attaqués. Avec, notamment, comme conséquence la montée de l’extrême droite un peu partout en Europe.

Et ça c’est malheureusement encore une fois vérifié lors des dernières élections, le 9 juin dernier. Face à ces déséquilibres, je lance un appel à recréer des équilibres. Et ceux que je dénonce comme des casseurs,
les véritables casseurs, ce sont ceux qui empêchent de recréer ces équilibres, à savoir les partis libéraux, les partis de droite qui s’arrangent pour placer, de manière systématique, au-dessus de tout le reste, les intérêts financiers de quelques-uns.

Il suffit de tendre l’oreille. Certaines attaques sont sans fin : casser nos services publics, casser notre sécurité sociale, chasser les chômeurs et les malades de longue durée… Ce sont systématiquement la droite, les libéraux, certaines fédérations patronales qui s’acharnent sur l’ensemble de nos protections collectives. Des protections collectives qu’ils vont très certainement essayer de démanteler et que
nous devrons à tout prix protéger.

Dans le livre, vous revenez également sur les multiples crises qu’on a traversées ces dernières années…

À chaque fois que surgit une crise systémique, les « subprimes » en 2007, la crise bancaire de 2008, le Covid plus récemment, il y a une porte qui s’ouvre, une prise de conscience collective : il faut changer les bases de nos sociétés, agir différemment.

Et ensuite, on laisse cette porte se refermer et rien ne change. Cette fois, agissons ! Une porte s’est ouverte avec la crise liée à l’inflation et au prix de l’énergie. Elle met en lumière l’avidité omniprésente, sans limites, des casseurs. Ce livre est un appel à changer de cap sans attendre.

Vous mettez en avant des exemples concrets de ceux qui tentent de casser ces équilibres. L’un d’eux concerne les aides publiques à la formation. Quel est le problème ?

J’explique ce qui s’est passé lors des négociations avec les fédérations patronales en 2023 sur les incitants publics à la formation : congé-éducation payé, crédit adaptation, chèque formation. On crée des ouvertures pour les indépendants, les grandes entreprises… C’est l’été 2023, on a un préaccord. Puis, quelques mois plus tard, en décembre 2023, les employeurs mangent leur parole alors que tout le monde
sait très bien que l’argent ne sert pas aux formations. Des consultants externes démarchent les entreprises. Ils montent des dossiers bidons de formations, avec des listes de présence inventées. En échange, les consultants et les entreprises se partagent les subventions.

Ce n’est pas le seul exemple de ce type ?

Prenez les aides à l’emploi SESAM qui doivent venir en aide aux petites entreprises qui embauchent des demandeurs d’emploi : 300% d’augmentation en 6 ans. Vous avez vu une augmentation de 300% de l’emploi wallon ? L’argent, il passe où ? Dans les poches des boîtes d’intérim qui captent ces
aides publiques. Donc, on sponsorise de l’emploi précaire alors qu’il faudrait faire l’inverse : proposer des contrats de plus de 3 mois aux chômeurs de longue durée pour qu’ils sortent de ce statut. On passe complètement à côté des objectifs.

Ces moyens doivent être utilisés pour améliorer les compétences des demandeurs d’emploi de longue durée, les amener à l’emploi. Pas pour enrichir les actionnaires de l’intérim. Je vais vous citer deux chiffres. Randstad a capté 30 millions d’euros d’aides publiques et dans le même temps, on apprend que le
fisc lui demande des comptes sur 70 millions d’euros planqués en Suisse.

Vous dites aussi avoir été marqué par la démission de Jean-Luc Crucke, ex-Ministre wallon MR du Budget, passé ensuite chez Les Engagés. Pourquoi ?

C’est emblématique des combats de la droite. Jean-Luc Crucke essaie de mettre en place un décret pour mettre fin à l’ingénierie fiscale des entreprises. Par exemple, les camionnettes qui sont déclarées comme véhicules de société, et bénéficient donc d’avantages fiscaux, alors qu’elles ne sont en réalité pas du tout utilisées comme camionnettes de société. Et il dit autre chose : il va falloir laisser plus de temps
à l’administration pour aller chercher la fraude fiscale. Il va trop loin pour son parti qui le dégage sans attendre. Le MR fait tout ce qu’il peut pour qu’on ne puisse pas récupérer des marges.

Des marges qui pourtant existent. Pour faire circuler vos idées, vous avez entamé un tour de Wallonie. Qui avez-vous rencontrés ?

Ce tour de Wallonie me permet de me rendre compte que celles et ceux, qui comme moi, ont besoin de vivre dans une société plus équilibrée, sont largement majoritaires. Des hommes, des femmes, de tous les âges, avec ou en recherche d’emploi, des allocataires sociaux… Je me suis arrêté dans 15 étapes, de Verviers à Mons, en passant par Arlon ou Nivelles.

Plus de 2.000 personnes ont participé à ces rencontres. Et je suis plus que jamais convaincu que nous sommes à un moment pivot. Il est possible de faire quelque chose, c’est à nous d’agir, sans attendre qu’on nous impose une manière de vivre à sens unique. Et ce malgré le vent de droite qui s’est abattu sur
l’Europe, la Belgique et la Wallonie. C’est notre capacité de résistance qui fera la différence.


« Qui sont les casseurs ? » est publié aux éditions Weyrich.

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