Alors que les entreprises belges n’ont jamais fait autant de bénéfices, d’aucuns continuent de scander que ce sont « les entreprises qui paient la crise ». Que l’indexation automatique doit être reportée, que les salaires sont « trop élevés ». Les chiffres de la Banque nationale démontrent le contraire.
Fin juin, les syndicats se sont invités au Parlement. Avec, dans une main, 87 000 signatures de citoyens. Dans l’autre, l’une des plus grandes manifestations nationales de ces dernières années. Nous sommes venus expliquer pourquoi la loi sur les normes salariales doit être modifiée, pourquoi nous devons pouvoir négocier à nouveau des augmentations de salaire réelles, et pourquoi l’indexation automatique n’est pas un luxe mais littéralement une nécessité.
Moins d’un mois plus tard, la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) préconise de reporter d’un à deux ans l’indexation automatique des salaires. Car, selon elle, ce sont « les entreprises qui paient la crise ». À quel point les derniers résultats des entreprises belges sont-ils mauvais ? Est-il vrai que la situation est dramatique et que le « déraillement des salaires » est la cause de cette débâcle ?
Le groupe de réflexion Minerva s’est penché sur la question. Il a épluché les données officielles sur les chiffres des entreprises, fournis par la Banque nationale de Belgique pour le premier trimestre de 2022 (janvier – mars). Observons.
Toutes les données ci-dessous sont tirées de l’étude de Minerva, signée par Matthias Somers, coordinateur du groupe de réflexion Minerva.
Des bénéfices d’entreprise sans précédent, les salaires à la traîne
Au cours du premier trimestre 2022, la valeur ajoutée produite par les sociétés non financières en Belgique a augmenté de plus de 3 % par rapport au dernier trimestre 2021. La rémunération des travailleurs, par contre, a augmenté de moins de 2 %. Simultanément, les entreprises ont reçu près de 3 milliards d’euros de subventions (non liées aux produits) de plus que les impôts (non liés aux produits) qu’elles étaient tenues de payer.
Si l’on compare le premier trimestre 2022 au premier trimestre 2021, les résultats sont encore plus frappants : la valeur ajoutée brute a augmenté (en termes nominaux) de plus de 16%, la rémunération des travailleurs de 11%.
La marge bénéficiaire brute des entreprises n’a jamais été aussi élevée qu’au premier trimestre de 2022. Depuis le début du siècle, elle est passée d’environ 36 % à une marge bénéficiaire globale de plus de 46 %. En d’autres termes, de plus en plus de bénéfices vont au capital et non au travail.
La forte augmentation de l’excédent brut d’exploitation fait que les résultats d’exploitation battent tous les records. Au cours du premier trimestre de 2022, les sociétés non financières en Belgique ont gagné plus de 35 milliards d’euros.
Des bénéfices… grâce au gouvernement belge
En outre, les entreprises reçoivent des subventions d’un niveau jamais atteint. Par rapport au dernier trimestre de 2021, les entreprises ont reçu près de trois milliards d’euros de subventions de plus… que ce qu’elles devaient payer en impôts. Par rapport au premier trimestre de 2021, cette somme s’élève à 11,6 milliards d’euros.
Ces subventions sont principalement des subventions salariales. En Belgique, les subventions salariales sont proportionnellement presque deux fois plus élevées qu’en France, six fois plus élevées qu’aux Pays-Bas, et pas moins de 44 fois plus élevées qu’en Allemagne.
Les marges bénéficiaires belges sont également beaucoup plus élevées que dans nos pays voisins, surtout depuis le tax shift du gouvernement Michel. Non seulement les entreprises belges n’ont jamais gagné autant, mais elles le font beaucoup plus vite que celles de nos pays voisins.
Plus de charges sur moins d’épaules
De toute cette prospérité accrue, une part de plus en plus importante revient aux (propriétaires d’) entreprises. Inversement, une part de plus en plus réduite revient aux travailleurs, sous forme de salaires et de cotisations de sécurité sociale. La part des salaires dans l’économie belge est en baisse.
Conséquence : les finances publiques, et notre système de sécurité sociale en pâtissent.
Pas de saut d’index !
En bref : les salaires belges sont depuis longtemps à la traîne par rapport à la hausse des bénéfices. La part consacrée aux revenus du travail est en déclin structurel, les marges bénéficiaires des entreprises n’ont jamais été aussi élevées. Il n’est donc pas correct de prétendre que nous devons faire un saut d’index « parce que les salaires sont trop élevés ».
La vie devient trop chère pour un nombre croissant de personnes. De plus en plus se retrouvent en situation de pauvreté, ne peuvent plus payer leurs factures. Le nombre de sans-abri augmente, les « files d’attente » aux banques alimentaires ne cessent de s’allonger… Pendant ce temps, de nombreuses entreprises préfèrent déplacer leurs bénéfices faramineux – souvent grâce à des subventions salariales – vers des paradis fiscaux, plutôt que de contribuer à notre sécurité sociale.
Ceux qui prétendent que seules les entreprises paient pour la crise ferment les yeux sur la dure réalité économique des travailleurs et travailleuses. Les mêmes qui – ne l’oublions pas trop vite – viennent de risquer leur vie pour faire tourner l’économie… Et ainsi sauver des entreprises.
Vous pouvez télécharger l’étude complète (en NL) ici.
Plus d’infos sur notre campagne « De l’air pour les salaires » ici.