Une contribution de FOS
Entre la matière première et le produit fini, les risques pour les travailleurs sont nombreux. Une loi sur le devoir de vigilance devrait obliger les entreprises à faire respecter les droits de travailleurs tout au long de la chaîne.
Violations des droits de l’homme par les entreprises
Ce n’est une surprise pour personne : les droits de travailleurs sont violés dans le monde entier. La responsabilité des entreprises est énorme. Et cette situation nous tend à tous, travailleurs et consommateurs, un piège duquel il est difficile de sortir. Car nos vêtements, notre équipement de travail, notre alimentation provient peut-être – certainement – du travail de quelqu’un dont les droits sont bafoués.
Les chaînes de valeur – qui correspondent aux différents stades par lesquels passe un produit, de la matière première au produit fini ou semi-fini – qu’elles mettent en oeuvre sont rarement transparentes. Elles passent par différents pays, plusieurs sièges, sites et sous-traitants. « Des structures d’entreprises et chaînes d’approvisionnement complexes permettent aux sociétés mères de contourner les droits humains, les normes sociales et environnementales », affirme sans détour la Confédération européenne des syndicats (CES).
De belles promesses et des labels
Les nombreux scandales et récits qui ont terni la réputation des sociétés et suscité l’indignation ont mené à une série de mesures sans grand impact : de belles promesses sur les sites web des marques de vêtements, des événements branchés sponsorisés et des campagnes sur la « responsabilité sociétale des entreprises » sur base volontaire et enfin, tout un éventail de certificats et de labels.
De beaux labels et de belles déclarations sur une bouteille de vin d’Afrique du Sud n’ont toutefois jamais rien changé à la situation des travailleurs concernés. « Pour nous, la certification n’est rien d’autre qu’un instrument de marketing, pour vendre du vin », explique Sam Pule Tilley du mouvement ouvrier d’Afrique du Sud SADSAWU.
« Les consommateurs pensent que les vins qu’ils boivent sont produits de façon éthique, ce qui est totalement faux. Ce n’est rien d’autre que de la tromperie pure et simple.”
Sam Pule Tilley
Un exemple : Chiquita en Colombie
Une étude récente de FOS, Solsoc et de l’IFSI, menée en collaboration avec le centre de recherche CETRI et des organisations locales de la société civile, documente comment les droits des ouvriers qui travaillent dans les plantations de bananes sont bafoués.
La banane est le troisième produit que la Colombie exporte, en grande partie vers la Belgique. Ainsi, le port d’Anvers voit passer chaque année près d’1,3 million de tonnes de bananes. Entre 1997 et 2004, la multinationale d’Amérique du Nord a payé 1,5 million d’euros aux paramilitaires colombiens. Des milices qui n’ont pas hésité à expulser les propriétaires de leurs terres, à menacer les opposants ou à les éliminer. Bien que la justice colombienne ait qualifié les pratiques de Chiquita de « condamnables », la multinationale a pu échapper aux poursuites pénales en trouvant un règlement avec le ministère de la Justice aux Etats-Unis. C’est pourtant l’évidence même : Chiquita est complice de la violence en Colombie.
Crise sociale et environnementale
Aujourd’hui, les paysans et les ouvriers dans la région des bananes d’Uraba sont menacés et vivent dans l’angoisse. Ils sont confrontés à une crise environnementale et sanitaire en raison du recours intensif aux pesticides et aux produits chimiques, à une absence totale de contrôle et de suivi des normes environnementales, à des soins de santé privatisés et fortement fragmentés et à un modèle de concentration économique dans lequel il n’y a aucune place pour la durabilité.
« Aucun des ouvriers occupés dans les bananeraies ne part à la pension en bonne santé », explique Diomer Durango du syndicat Sintracol.
Qui y gagne ?
Les labels et autres engagements volontaires n’auraient plus aucune raison d’être si les entreprises respectaient la réglementation nationale et internationale. Souvent toutefois, la mise en application par les autorités et les organisations internationales laisse à désirer. Lorsqu’une entreprise ne respecte pas les normes environnementales et du travail ou les droits humains, les victimes trouvent rarement une porte où aller frapper.
En attendant, de leur côté, les entreprises ou les investisseurs ont un accès royal à des accords obscurs. Pensons par exemple aux clauses d’arbitrage investisseur-Etat que l’on retrouve dans de nombreux accords de libre-échange. Devant les tribunaux, ils peuvent dénoncer des pays lorsque la réglementation menace leurs intérêts commerciaux. Ce sont eux qui façonnent le commerce mondial, dans les arrière-chambres des institutions internationales, comme l’Organisation mondiale du commerce.
Les ouvriers du textile en Amérique centrale
Dans les accords de libre-échange, des clauses contraignantes sur le respect des droits humains font une différence. Les ouvriers du textile d’Amérique centrale ne le savent que trop bien. Pendant des années, ils ont dénoncé les violations des droits du travail auprès des marques de vêtements, des pouvoirs publics de leur pays, du grand public et même de l’OIT. Finalement, ils ont décidé de se tourner… vers les Etats-Unis. Via l’accord de libre-échange entre les pays d’Amérique centrale et les Etats-Unis, ils ont forcé leur propre gouvernement à s’atteler à 17 cas de violations des droits du travail par les entreprises.
Néanmoins, l’équilibre reste toujours fragile. « L’accord de libre-échange comprend des mesures contraignantes, mais le ministère du Travail du Honduras exerce très peu de pression sur les entreprises. Il ne sera pas prompt à fermer une entreprise qui se montre peu collaborante. Nous essayons évidemment aussi d’éviter cela, car qui dit fermeture, dit aussi perte d’emplois », explique l’activiste Evangelina du syndicat CGT du Honduras.
Le commerce pourrait être un catalyseur
Le commerce pourrait pourtant être un catalyseur pour les droits humains, les droits du travail et les droits environnementaux. Des clauses contraignantes dans les traités commerciaux, permettant notamment aux syndicats de forcer l’application des par de nouvelles voies, pourraient porter leurs fruits. Mais malgré d’ambitieuses conventions de départ, la plupart des clauses sur les droits humains restent non contraignantes dans les traités finaux. Le non-respect de ces clauses reste donc sans conséquences pour les auteurs de ces violations.
Des règles de jeu équitables
Le respect des droits doit être appliqué dans le monde entier. Non seulement pour les travailleurs et l’environnement, mais aussi pour l’économie. Une entreprise belge active dans l’assemblage automobile par exemple, qui suit les normes internationales du travail, subira la concurrence déloyale d’une autre, qui tourne grâce au travail bon marché des enfants ou au travail forcé.
Des règles de jeu équitables freinent les entreprises dans leur recherche de pays où la réglementation est plus laxiste. « L’actuel cadre légal n’entraîne pas l’application des normes, mais induit une course vers le bas au niveau des droits humains, des normes sociales et environnementales », peut-on lire sur le site de la CES. « Nous devons fournir aux travailleurs les instruments leur permettant de lutter contre les violations des droits humains. »
Tenir les entreprises responsables
L’idée d’une « loi sur le devoir de vigilance » fait de plus en plus son chemin. Un tel cadre légal doit forcer les entreprises à contrôler leurs chaînes de valeur dans le monde entier. Et à agir en cas de violations. Une loi efficace veillera à rendre les entreprises réellement responsables, et à donner accès aux voies de droit nécessaires aux victimes.
Ceci signifie par exemple que PepsiCo, dont le siège se situe en Belgique, devrait veiller à ce que les noix du Brésil utilisées dans son muesli, en provenance de Bolivie, sont obtenues dans de bonnes conditions de travail, sans impact négatif pour l’environnement. La multinationale devrait s’atteler aux cas de travail des enfants et travail forcé relevés en Bolivie par les enquêteurs, avec les syndicats locaux partenaires de FOS et la FGTB Horval, et indemniser les travailleurs concernés. Mieux encore : en l’absence de solution trouvée, la société civile devrait pouvoir dénoncer l’entreprise, par le biais de la Belgique ou par la voie européenne.
Voie parallèle
Penser qu’une telle loi de sur le devoir de vigilance sera la solution idéale est utopique. En tout cas dans la forme restreinte qui est actuellement sur la table au niveau européen. Les syndicats sont ici beaucoup trop peu impliqués et il n’y a pas de responsabilité prévue pour les sociétés qui persistent et signent. Mais une loi bien ficelée pourrait permettre d’user du poids économique de l’Europe dans le monde, pour imposer un respect des droits humains dans le monde entier.
Pour les ouvriers de l’autre côté de la planète, cet instrument peut être une voie parallèle pour faire valoir leurs droits. Pendant trop longtemps, ils ont échoué auprès de leurs propres employeurs, de la justice et des politiques ou encore auprès des instances internationales et judiciaires. Pendant trop longtemps, ils ont été victimes d’un système mondial malhonnête qui fait primer les mauvais intérêts.