Huit heures de travail, huit heures de sommeil et huit heures de détente. C’est l’idée qui est à l’origine de l’une des (r)évolutions les plus remarquables en matière de réduction collective du temps de travail. Cette année marque le centenaire de la journée de travail des huit heures.
La période qui a suivi la Première Guerre mondiale était clairement une période de progrès social, tout comme, on s’en rendra compte plus tard, l’était la période d’après-guerre, de la fin des années 1940 aux années 1950. Les ruines d’une guerre destructrice sont un terrain fertile pour la lutte sociale.
Pas une nouvelle exigence
La revendication d’une journée de travail de huit heures n’est pas nouvelle, même à l’époque. L’historien belge Jaak Brepoels écrit pour Denktank Minerva : « Le 1er mai 1890, la Deuxième Internationale a fêté la première Journée internationale du travail par de grandes manifestations en faveur de la journée de travail de huit heures. Le 8-8-8 était un objectif qui a frappé l’imagination : huit heures de travail, huit heures de détente et huit heures de repos. Le mouvement socialiste utilise alors des arguments qui deviendront de plus en plus importants dans les années 1920. La journée de huit heures réduirait le chômage, mettrait plus de gens au travail, augmenterait la productivité et les salaires, et donc le pouvoir d’achat. »
Comme à leur habitude, le patronat et les forces politiques conservatrices y sont obstinément opposés. Selon eux, le progrès social est invariablement le précurseur d’un effondrement économique total. Un discours toujours bien vivant aujourd’hui. Il en a été de même lors de la lutte pour l’interdiction du travail des enfants (1889) ou encore lors de la préparation de l’introduction des congés payés (1936).
Mines et métaux
Après la Première Guerre mondiale, il a été difficile de museler la revendication concernant la journée de huit heures. Brepoels écrit : « Il y avait les souffrances de la guerre, supportées unilatéralement par des soldats d’origine modeste, il y avait la menace de la révolution, qui était le résultat de cette guerre dans toute l’Europe, et il y avait la puissance croissante du mouvement socialiste ».
Dans son livre*, Jaak Brepoels écrit que l’inspection du travail a compté pas moins de 733 grèves en 1919. « Les principales revendications étaient : une augmentation de salaire de 100 %, la journée de travail de huit heures, un salaire minimum et la reconnaissance des syndicats. »
Les industries minières et métallurgiques ont été cruciales dans le processus de reconstruction, après cette guerre dévastatrice. C’est dans ces secteurs que la journée de huit heures et la semaine de 48 heures ont été appliquées pour la première fois. En 1921, ce fut au tour des autres secteurs économiques.
Gouvernement avec des socialistes
Après l’armistice, le mouvement ouvrier compte quelques alliés au Parti ouvrier belge (POB) dans le gouvernement d’Union nationale de Delacroix. Le socialiste Joseph Wauters est ministre de l’industrie et du travail. Selon Jaak Brepoels, « il s’est avéré être l’architecte de la politique de réforme socialiste ». Il conserve son poste de ministre dans le gouvernement suivant de Carton de Wiart (1920-1921). À ce titre, Wauters a piloté la loi sur les huit heures de travail au Parlement. En particulier au Sénat, nettement moins démocratique que la Chambre des représentants, l’initiative a rencontré une résistance farouche.
L’influence bienfaisante de loisirs plus étendus se fera mieux sentir. Les ouvriers belges pourront enfin s’instruire, savourer les joies de la vie de famille. Leur niveau moral ne tardera pas a s’élever considérablement à partir du moment où ils se considéreront comme des hommes libres parce qu’ils auront chaque jour quelques heures à employer en toute indépendance.
Le Mouvement syndical belge, juin 1921
Dans la presse syndicale, il y a 100 ans
« Le mouvement syndical belge » était le magazine de la commission syndicale, le précurseur de ce qui allait devenir la FGTB. Il est l’ancêtre de votre magazine Syndicats ! Le 18 juin 1921, nous y lisons ceci.
« Après le suffrage universel, après les pensions de vieillesse, après l’abrogation de l’article 310, voici enfin réalisée la quatrième grande réforme promise à l’armistice : la loi limitant la journée de travail a huit heures et la semaine a quarante-huit heures est votée. Dans quelques mois, le régime des heures de labeur interminables aura vécu dans l’industrie. Les patrons seront obligés de libérer leurs salariés après une prestation qui ne les aura pas épuisés. Dans toutes les branches de la production, les travailleurs jouiront du repos que les mineurs, les métallurgistes et les carriers ont déjà conquis. »
Crédit à la solidité des syndicats
« Le mouvement syndical belge » donne du crédit à ceux qui le méritent. Non seulement le ministre socialiste Wauters, mais aussi le Liégeois Isidore Delvigne, métallurgiste chez Cockerill Sambre, syndicaliste, journaliste et député, ont joué un rôle clé pour donner une force parlementaire aux revendications syndicales.
Finalement, c’est surtout grâce à la « solidité de nos syndicats » et à la mobilisation massive des travailleurs dans tout le pays que cette (r)évolution de la réduction collective du temps de travail est devenue une réalité. Il n’en a pas été autrement plus tard, avec l’introduction du week-end ou des congés payés, ou aujourd’hui, dans notre combat pour une nouvelle réduction collective du temps de travail, afin que le « système du toujours plus » appartienne au passé.
L’article du « mouvement syndical belge » du 18 juin 1921 se termine par : « La journée de huit heures a été conquise. À l’oeuvre pour l’organiser ».
Le combat continue.