Centrales d’urgence : « le manque de personnel met des vies en danger »

Centrales d’urgence : « le manque de personnel met des vies en danger »

En raison d’un budget insuffisant, de coupes drastiques et d’un manque de personnel persistant, les centrales d’urgence sont elles-mêmes en détresse. Il est grand temps que leur appel à l’aide soit entendu, sans quoi ceux du grand public au 100, au 101 ou au 112 risquent de rester sans réponse. Témoignages.

RAPPEL // N’appelez le 101 que si vous avez besoin d’une assistance policière urgente. Le 100 et le 112 sont réservés à l’assistance médicale urgente et aux alertes incendie. Si vous avez besoin d’un médecin de garde, composez le 1733. Le numéro 1722 est activé en cas de tempête ou d’orage. Appelez ce numéro ou surfez sur l’E-guichet 1722 lorsque vous avez besoin des pompiers, mais que personne n’est en danger. Tous les numéros d’urgence ici.

“Une honte”

« Tous les citoyens dans le besoin ont le droit de bénéficier d’une assistance sans faille. Malheureusement, aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de la garantir. C’est une honte pour un pays prospère comme le nôtre ». Tony Six, secrétaire fédéral de la CGSP (la centrale générale de la FGTB pour les services publics), compétent pour les fonctionnaires fédéraux dans les centrales d’urgence, ne mâche pas ses mots. « Depuis de nombreuses années déjà, nous dénonçons le sous-financement structurel. Lors d’une tempête ou d’une catastrophe, nous saisissons parfois la presse. S’ensuivent alors des promesses d’augmentation de budget et de personnel. Puis, c’est le retour à la normale, ou plutôt au chaos quotidien ».

Le budget alloué est en effet bien trop faible. Le gouvernement précédent, la « Suédoise » Michel-De Wever, a fait beaucoup de tort au secteur . « Le ministre N-VA, J. Jambon, a réduit de 10 % le budget des services de sécurité », souligne Tony, « alors que les centrales d’urgence sont confrontées à une pénurie historique de personnel et d’effectifs sur le terrain ».

S’agit-il d’économies réalisées à courte vue, voire aveuglément, sans tenir compte des conséquences pour les services ? « Non », répond Tony. Selon le secrétaire fédéral,  « il s’agit d’une politique de démolition délibérée. On organise des situations dramatiques pour ensuite prétendre que « la Flandre peut faire mieux ». Voilà ce qu’on obtient avec un nationaliste flamand comme Jan Jambon au niveau fédéral, et surtout aux affaires intérieures. Lorsqu’il est devenu ministre, nous avons dû attendre près de trois ans pour obtenir un premier entretien. Cela en dit long ».

Des sacs de sable qui traversent le pays

« Le mois dernier, lors des inondations dans le Westhoek, les sacs de sable et l’aide de la protection civile ont dû venir de Brasschaat. Tout cela parce que Jambon a fermé les casernes de Jabbeke, Liedekerke, Ghlin et Libramont en 2019, ne laissant ouvertes que celles de Crisnée et Brasschaat. Qui est, par hasard, sa ville natale… Mettant ainsi en jeu la sécurité des citoyens. Nous avons pu le constater en juillet 2021 lorsque les eaux tourbillonnantes de la Vesdre ont provoqué d’énormes dégâts en Wallonie ».

Avec l’actuelle ministre, Annelies Verlinden (CD&V), la situation n’est guère plus reluisante. « Nous nous sommes réunis récemment. J’ai été choqué par le mépris et l’arrogance à l’égard du personnel qui travaille très dur pour les citoyens », poursuit Tony. Jan Deby, délégué CGSP de la centrale 112 d’Anvers, lui emboîte le pas : « On m’a demandé comment je résoudrais les problèmes si j’étais ministre. C’est le monde à l’envers.».

Effectifs et services minimaux

Le grand problème ? Il n’y a pas assez de personnel pour répondre au téléphone. La norme de qualité qui consiste à répondre « à 95 % des appels, dans les cinq secondes », est impossible à atteindre avec la capacité actuelle. Tony : « Nous manquons d’opérateurs téléphoniques dans tout le pays : de la Flandre occidentale à Liège, d’Anvers au Luxembourg en passant par le Brabant. Il nous manque entre 30 et 55% de l’effectif nécessaire. Aujourd’hui, le 112 (numéro d’appel pour les ambulances et les pompiers) compte environ 230 personnes et le 101 (pour la police) environ 257. En réalité, l’effectif devrait être de  respectivement 286 et 361 personnes pour atteindre les niveaux minimums prescrits par la loi. Une cinquantaine de personnes ont été recrutées ces derniers mois, et de nouvelles embauches ont été promises, mais il faudra certainement quelques mois pour que ces personnes soient formées et opérationnelles ». « Un soir de début septembre, aucun opérateur téléphonique n’était disponible dans notre centrale pendant plusieurs heures », reconnaît Ann Vancutsem, déléguée CGSP pour le 101 du Brabant flamand. « Des collègues de la police ont dû être appelés en renfort pour répondre aux appels, mais ils sont déjà eux-mêmes débordés ».

Tony, Ann et Jan témoignent.

Moins de la moitié du personnel nécessaire

Normalement, le 101 du Brabant flamand doit compter 28 employés. « J’y travaille depuis 18 ans », témoigne Ann. « Nous n’avons jamais été à pleine capacité. Aujourd’hui, nous sommes 13, soit moins de la moitié de la capacité nécessaire. C’est largement insuffisant. Le travail devient donc plus difficile et le risque d’erreurs augmente. Nous effectuons trois ou quatre gardes de 12 heures par semaine, soit une moyenne de 38 heures par semaine. Sur ces 12 heures, nous traitons entre 80 et 120 appels. Au cours d’une garde, nous disposons normalement d’une pause de 45 minutes, mais il nous est très souvent impossible de la prendre. En raison du manque de personnel et parce que des opérateurs tombent malades, il arrive régulièrement que des collègues doivent être rappelés, effectuant ainsi parfois cinq gardes de 12 heures. Nous travaillons jour et nuit, les week-ends et jours fériés. Rares sont ceux qui tiennent longtemps ».

La centrale d’urgence 112 d’Anvers manque également d’effectifs. « Théoriquement, nous devrions être sept à répondre aux appels », explique Jan, « mais en général, nous sommes quatre et souvent, juste deux. Deux, pour traiter environ 400 appels en 24 heures. Pour réduire le temps d’attente, les appels sont constamment transférés vers d’autres centrales, mais celles-ci sont elles-mêmes déjà débordées ».

Inaccessible

« Pour des opérateurs téléphoniques très impliqués, il est extrêmement frustrant d’être toujours en retard », explique Tony. « Sans oublier que cela met des vies en danger. ».

Chaque semaine, des centaines d’appels sont abandonnés et personne ne sait pourquoi ces gens ont appelé. Ann : « Si cela ne va pas assez vite, les gens raccrochent. Souvent, nous n’avons pas le temps de les rappeler. Cela conduit inévitablement à des drames. On entend parfois dire que des proches parents consultent l’historique des appels d’un membre de la famille et constatent que la personne a appelé plusieurs fois les services d’urgence…»

« Je suis sûr », soupire Tony, « que des gens sont déjà morts parce que la centrale d’urgence était injoignable ou surchargée et que de précieuses minutes ont ainsi été perdues. C’est terrible, n’est-ce pas ? Mais quand le manque de personnel est structurel et que l’on coupe dans les services opérationnels… Qui est à blâmer ? ».

Assistance et première ligne

Quid du quotidien de ces métiers ? Une victime d’un accident de la route qui hurle. Un adolescent en pleurs qui n’arrive pas à réveiller son père. Un vieil homme confus qui vient de se faire voler. Une personne âgée en panique en raison de douleurs dans la poitrine. Le personnel des centrales d’urgence doit calmer les appelants,  recueillir des informations précises et  faire en sorte que les services d’urgence arrivent rapidement sur place. Mais tous les appels aux numéros d’urgence ne sont pas des appels d’urgence. Ann et Jan confirment : trop souvent encore, ils passent du temps précieux à fournir des informations plutôt qu’une aide d’urgence.

« Nous sommes littéralement les soins de première ligne », souligne Jan. « On a l’impression que la ligne d’écoute du Centre d’Aide au Suicide ou du Télé Accueil ne sont pas connues. Nous recevons en effet beaucoup d’appels de personnes souffrant de problèmes mentaux. Même des personnes qui ne sont pas du tout en détresse nous appellent. Ils nous appellent parce qu’ils ne parviennent pas à contacter leur médecin-traitant, ce qui arrive de plus en plus, compte tenu de la pénurie structurelle de médecins généralistes. Il arrive aussi que des appelants nous demandent de leur prendre un rendez-vous à l’hôpital. Ou parce qu’ils ont besoin d’organiser un transport pour se rendre à l’hôpital pour une consultation ».

Ann confirme : « Lorsque la porte du commissariat local est fermée, saviez-vous que les appels passés via l’interphone nous sont renvoyés ? Il peut s’agir d’une urgence lorsque quelqu’un s’est enfui de chez lui et sonne à l’interphone, mais souvent, il s’agit de personnes qui veulent récupérer leur permis de conduire, voire de livreurs de colis qui ne trouvent pas une adresse. La centrale d’urgence 101 est un peu le portier de la police locale ».

Faire la différence

Les collaborateurs des centrales d’urgence en ont plus qu’assez. Le flot d’appels incessant, les gardes successives, l’impossibilité de prendre des jours de repos. La charge mentale et la charge de travail écrasante deviennent insupportables. « Le manque de personnel rend les gens malades, les oblige à travailler à temps partiel ou les fait partir, ce qui augmente chaque fois la pression sur le personnel restant », explique Tony. « Cette spirale négative, avec la menace d’un exode total, doit être brisée par le ministre. En rattrapant le retard par un recrutement plus rapide et des trajets de formation plus courts. Ce renforcement, ainsi qu’une rémunération adéquate et de meilleures conditions de travail, doivent offrir des perspectives à ceux qui travaillent encore ».

Malgré tout, Jan et Ann restent impliqués et motivés. « J’aime toujours mon travail », confirme Ann. « Nous sommes un maillon essentiel de la chaîne d’assistance. Par téléphone, nous pouvons apporter beaucoup aux personnes en détresse ainsi qu’aux secouristes sur le terrain ».

« Nous évitons le pire, nous aidons les gens à surmonter une situation difficile et c’est satisfaisant », conclut Jan. « Il n’y a rien de plus agréable que d’entendre que l’ambulance arrive à temps et que tout se termine bien ».

3 réactions sur “Centrales d’urgence : « le manque de personnel met des vies en danger »

  1. En même temps quand on voit l ambiance en centrale et le turn over de ce métier, il faudrait peut-être que les chefs de centre se posent des questions

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