Contexte // L’UBT s’est penchée sur la question des pensions, et a croisé, en mars 2022, les points de vue de deux expertes sur la question. Il s’agit de Selena Carbonero, secrétaire Fédérale FGTB, et Karine Lalieux, ministre des Pensions. De ces rencontres sont nés un podcast (que vous retrouverez également ici en fin d’article) et un dossier complet à découvrir dans un prochain numéro (date à définir) du magazine BeMotion, destiné aux affiliés de l’UBT. Vous trouverez ici, dans votre magazine Syndicats, un large aperçu de cet échange de vues.
Il faut toutefois rappeler qu’entre le moment de ces rencontres et aujourd’hui, plusieurs mois se sont écoulés. Depuis, la FGTB a publié ce communiqué. Ce denier rappelle que la priorité, en matière de pension, c’est de remettre la réalité du monde du travail au centre des préoccupations. D’après nos informations, la réforme qui sera ficelée avant l’été n’est en effet pas à la hauteur des enjeux réels. Âge de la pension, conditions d’accès, prise en compte de la pénibilité… Autant de points sur lesquels une attention particulière doit être portée. « À quelques jours de la manifestation nationale du 20 juin sur le pouvoir d’achat, nous demandons au gouvernement de ne pas appauvrir les travailleurs et travailleuses, en ficelant une réforme qui serait déconnectée du monde du travail. »
La pension minimum à 1500 euros, c’est pour bientôt !
Après une longue lutte syndicale, le relèvement de la pension minimum sera enfin réalité. La ministre Lalieux est enthousiaste : “Nous nous réjouissons que la FGTB ait pris l’initiative pendant tout ce temps. L’augmentation des pensions minimum était dès lors une priorité pour le PS. Nous sommes très heureux qu’elle ait été approuvée. En 2024, la pension minimum sera supérieure à 1500 euros nets pour ceux qui auront une carrière complète. Cela signifie une augmentation d’environ 25%, indexations et enveloppes de bien-être comprises.”
Un pas important dans la lutte contre la pauvreté, chez les personnes âgées
Cette réforme implique un investissement de 1,2 milliard d’euros dans les pensions. “C’est unique pour un gouvernement”, souligne la ministre Lalieux. “Plus de 777.000 personnes pourront en bénéficier, tout comme ceux qui ont travaillé un peu moins pendant leur carrière. Ainsi le pouvoir d’achat augmente et les pensionnés seront à nouveau mieux protégés. La GRAPA, la garantie de revenus aux personnes âgées, augmente d’ailleurs également, mais de 20%. Il s’agit d’un pas important dans la lutte contre la pauvreté chez les personnes âgées.”
Et pourtant, il s’agit d’un investissement neutre sur le plan budgétaire, poursuit la ministre Lalieux. “Nos jeunes doivent savoir que leur pension sera parfaitement payable. Avec ce plan, les pensions coûteront d’ici 2040 plus de 4% de plus au Produit Intérieur Brut, ce qui est beaucoup. Mais comparons-le au tax shift du gouvernement-Michel : il a coûté 2% du PIB et a rapporté très peu. Quand on pense à ce que cette réforme des pensions a rapporté sur le plan social, cet investissement vaut vraiment la peine.”
Selena Carbonero : « Il faut avant tout que cette réforme se fasse dans le sens du progrès »
Sur quels points de cette réforme la FGTB va t-elle se montrer particulièrement vigilante ?
Tous les éléments de cette réforme sont fondamentaux, que ce soit l’accès à la pension anticipée, la pension minimum, la pénibilité, la dimension familiale, le taux de remplacement ou le deuxième pilier. Pour la FGTB, il faut avant tout que cette réforme se fasse dans le sens du progrès c’est à dire pour une meilleure protection des pensionné·e·s. On sait que les dépenses liées aux pensions vont inévitablement augmenter au cours des prochaines décennies du fait du vieillissement de la population. La question du financement sera donc cruciale. Le gouvernement doit clarifier ses perspectives budgétaires et s’attaquer sérieusement aux fuites qui impactent la Sécurité Sociale comme les réductions linéaires de cotisations de Sécurité Sociale patronales ou les systèmes de rémunérations alternatives. Cela représente tout de même 13 milliards de manque à gagner pour la Sécu !
Existe t-il des propositions chères à la FGTB qui n’ont pas été reprises dans le programme de reforme des pensions présenté au Conseil des Ministres ?
Oui, il y en a plusieurs mais nous allons nous battre principalement sur deux points majeurs. L’âge d’accès à une pension pleine qui continue d’augmenter pour passer à 67 ans en 2030. Nous contestons fermement cette évolution qui ne tient pas compte de l’espérance de vie en bonne santé. Les inégalités socio-économiques en la matière sont criantes : entre les travailleurs les plus qualifiés et les moins qualifiés on atteint un écart de 10 années d’espérance de vie en bonne santé en défaveur des moins qualifiés. Pour les femmes cet écart monte même à 13 années ! Il faut vraiment que le gouvernement ouvre les yeux sur ces injustices en prenant en compte la pénibilité physique ou psycho-sociale de certains métiers.
Une nouvelle logique plus juste pour les pensions
Pourtant le combat est loin d’être terminé. Au cours des dernières décennies, les gouvernements ont chaque fois relevé l’âge de la pension. Une gifle au visage des métiers pénibles ! Avec la deuxième phase de son plan de pension, la ministre Lalieux souhaite donner l’occasion aux travailleurs de prendre leur pension après 42 années de carrière. Par la même occasion, elle veut les inciter à travailler plus longtemps s’ils peuvent et veulent le faire, en proposant des mesures positives.
“Je ne veux plus parler d’âge de la pension mais d’années de carrière ”, explique-t-elle. “Ma proposition est basée sur une nouvelle logique. Nous proposerons le choix aux gens. Ils pourront terminer leur carrière à 60 ans après 42 ans de carrière de travail. Ceux qui choisissent de travailler au-delà de 42 ans recevront un incitant supplémentaire, sous forme d’un bonus pension et la pension à temps partiel. Mais personne ne vous regardera d’un mauvais œil si vous décidez d’arrêter de travailler après 42 ans. Le bonus pension s’élèvera à deux euros par jour. Donc quelqu’un qui travaille encore trois ans après une carrière de 42 ans, recevra mensuellement 100 euros en plus de sa pension. Ce qui n’est pas rien pour le pouvoir d’achat de nos personnes âgées.”
Selena Carbonero : « On sort du fétiche de l’âge »
Le plan mentionne un âge de départ en retraite anticipée « souple» à partir de 42 ans de carrière. Est ce une réelle avancée?
Ce qui est positif dans cette proposition c’est que l’on sort du fétiche de l’âge. Par contre, pour atteindre 42 ans de carrière avant 60 ans il faut avoir commencé à travailler très tôt. On estime que cela permettrait à 8 000 personnes de partir en pension anticipée à 60,61 ou 62 ans chaque année. En théorie 50 000 personnes pourraient même partir en retraite un an plus tôt mais cette estimation est trop optimiste car elle ne prend pas en compte la perte financière qu’engendre un départ anticipé.
Et puis cette mesure ne prend pas suffisamment en compte la condition féminine. À l’heure actuelle, 40% des femmes n’atteignent pas ces fameux 42 ans de carrière à l’âge de la pension. Il y a là une inégalité patente. Enfin, il manque aussi fondamentalement un réel système de prise en compte de la pénibilité. Nous attendons la mouture finale de la proposition pour ouvrir des discussions avec le gouvernement sur ce sujet. Nous comptons aussi sur l’appui des autres organisations syndicales pour qu’un système qui colle aux réalités du monde du travail soit construit. Cela passera probablement par une valorisation des périodes pendant lesquelles les travailleur·euse·s ont été confronté·e·s à des circonstances de pénibilité portant atteintes à leur espérance de vie en bonne santé.
Karine Lalieux s’est positionnée pour la réduction des inégalités entre hommes et femmes en terme de pension. On imagine qu’en tant qu’ex-Présidente du Bureau des Femmes de la FGTB wallonne vous partagez cette ambition. Quels sont les leviers dont dispose la Ministre?
On doit concéder à Madame Lalieux que c’est la première fois qu’un Ministre des pensions manifeste une réelle préoccupation pour le sort des femmes. Elle souhaite activer toute une série de leviers pour contrer les injustices de genres comme par exemple appliquer une nouvelle méthode de calcul pour revaloriser la pension minimum des temps partiels. Dans le même temps l’accord du gouvernement prévoit aussi l’ajout d’une condition de carrière effective pour l’accès à la pension minimum. Nous y sommes clairement opposés car cela porterait atteinte aux périodes assimilées. Plus généralement, c’est un moment important pour pousser à l’individualisation des droits et pour que chacun puissent se construire une pension propre quelque soit sa situation familiale. C’est un point essentiel car beaucoup trop de femmes passent encore au travers des mailles de la protection minimale. Nous serons derrière la Ministre pour la soutenir dans ce domaine et pour la rappeler à l’ordre si nous estimons que les mesures sont trop timides.
“Le choix de parler d’années de carrière et non plus d’âge de la pension est aussi une question de justice sociale. Les travailleurs peu qualifiés qui ont donc commencé à travailler à l’âge de 18 ou de 20 ans, doivent travailler aujourd’hui 43 ou 44 ans avant de pouvoir partir à la pension, et ce alors qu’ils exercent très souvent un métier lourd : techniciens de surface, conducteurs de bus, caissières, etc. Les personnes très qualifiés qui commencent à travailler bien plus tard peuvent prendre la pension anticipée après 42 ans. Nous devons rectifier cette inégalité entre travailleurs peu qualifiés et très qualifiés. Il y a donc encore beaucoup de pain sur la planche !”
Karine Lalieux
Une pension complémentaire abordable et transparente
La ministre Lalieux projette aussi pour finir une réforme de la pension complémentaire. “En tant que socialiste, je me bats d’abord pour une pension légale solide”, poursuit-elle. “C’est le premier pilier : la base de notre régime de pension pour tous les citoyens. Le deuxième pilier est la pension complémentaire, qui vient en plus de la pension légale. Ici, il y a beaucoup d’inégalités entre travailleurs et secteurs. Beaucoup de travailleurs n’ont pas de pension complémentaire du tout. Et pour ceux qui en ont une, elle est souvent inférieure à 3% du salaire brut. Je suis d’avis que la fiscalité avantageuse et la parafiscalité donnent lieu à des inégalités encore plus grandes. Mais les partenaires sociaux ont convenu d’un standstill et c’est un accord que je respecte. Il appartient maintenant aux partenaires sociaux – et donc aussi à la FGTB – de contribuer à trouver des solutions.”