Les étudiants font basculer le décret Paysage

Les étudiants font basculer le décret Paysage

Dans la nuit du 16 au 17 avril, une majorité alternative composée d’Ecolo, du Parti Socialiste et du PTB a voté une série d’amendements mettant en échec la réforme libérale du décret Paysage. C’est une victoire pour les jeunes, qui se sont largement mobilisés ces dernières années pour faire valoir leur droit à un enseignement de qualité. Mais le combat est loin d’être terminé…

Depuis deux ans, l’Union syndicale étudiante (USE), membre des Jeunes FGTB, et la Fédération des Etudiants Francophones (FEF) se mobilisent contre le projet de réforme du Décret Paysage, adopté il y a 10 ans par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La réforme proposée par le MR prévoyait de durcir les conditions de réussite des étudiants afin de faire face au manque de financement de l’enseignement supérieur. Elle allait exclure des dizaines de milliers d’étudiants de leur cursus.

Qu’est-ce que le décret Paysage ?

Il y a dix ans, le Décret définissant le paysage de l’enseignement supérieur et l’organisation académique des études a été voté sous le mandat de Jean-Claude Marcourt. Les objectifs de ce décret consistaient à rationaliser l’organisation de l’enseignement supérieur, développer différents pôles territoriaux et faciliter la mobilité des étudiants.

Pour ce faire, le décret a supprimé la notion d’année académique. Techniquement, il permettait donc aux étudiants de reporter la réussite de certains cours, d’avancer dans leur cursus académique sans être bloqués par un ou deux échecs.

Cependant, l’individualisation des parcours d’étudiants qui en a découlé a augmenté le travail de suivi administratif. Sans embauches compensatoires, les différents services des universités et hautes écoles se sont retrouvés avec une charge de travail difficilement gérable.

Des problèmes structurels

Le financement de l’enseignement supérieur fonctionne par un mécanisme d’enveloppe fermée. Le budget global reste le même hors indexation, et la part attribuée à chaque établissement dépend du nombre d’inscriptions qu’il enregistre. Cette manière de fonctionner incite les établissements à se concurrencer pour obtenir la plus grosse part de financement. Par contre, ils voient d’un mauvais œil l’augmentation globale du nombre d’étudiants, qui fait baisser le financement qu’ils reçoivent par étudiant.

Entre 2000 et 2017, on estime que les universités ont perdu près de 22% des moyens qu’elles recevaient par étudiant [1].

Le manque d’encadrement induit par le sous-financement du secteur implique un taux d’échec inquiétant, notamment en première année. Cette année, on a ainsi pu lire dans la presse que moins de la moitié des étudiants de première année avaient réussi leur session d’examen. C’est en partie sur cette base que le MR affirme qu’il est urgent de réformer le décret, même si le taux de réussite des étudiants en première année n’était déjà que de 42% en 2012-2013 [2], années où le décret Paysage n’était pourtant pas encore d’application.

Pour résoudre le manque de financement par étudiant, le MR a opté pour… la réduction du nombre d’étudiants ! Pour y parvenir, la réforme prévoyait de contraindre les étudiants à réussir l’ensemble de leurs cours en maximum deux ans. Selon les libéraux, davantage de contraintes allaient permettre aux étudiants de réussir plus rapidement leurs examens.

De la mobilisation à la victoire

Il y a deux ans, l’Union syndicale étudiante dénonçait déjà les intentions du MR. Les étudiants sortaient de deux années compliquées avec les confinements successifs ; la question de la précarité était au cœur de leurs préoccupations.

Dans une enquête de l’ULB [3], 39,3% des étudiants sondés déclarent avoir au minimum des fins de mois difficiles. L’étude démontre également que les résultats académiques des étudiants précaires sont significativement moins élevés. Ce sont bien celles et ceux qui ne bénéficient pas de hauts revenus qui risquent d’être expulsés de l’enseignement.

Au fil des mois, la mobilisation a pris de l’ampleur. Les autres partis de la majorité ont annoncé que la réforme devait être reportée. Mais Françoise Bertieaux, ministre libérale de l’enseignement supérieur, n’en a pas démordu : la réforme ne pouvait être ni modifiée ni reportée. Les libéraux en ont fait un cheval de bataille, au point que leur président de parti a annoncé que « le décret Paysage valait une chute de gouvernement » [4].

C’est dans la nuit du 16 au 17 avril, lors de la commission enseignement supérieur, qu’une majorité de circonstance s’est créée avec Écolo, le Parti Socialiste et le PTB. Des amendements permettant un report d’un an de la mise en application du décret sont votés. D’autres amendements renforçant le droit effectif à la réorientation sont également adoptés. Il s’agit d’une première victoire, mais la lutte n’est pas terminée.

Quel avenir pour l’enseignement supérieur ?

La question de la réforme du décret Paysage reste un clivage important au sein du monde de l’enseignement supérieur. Aucune solution n’est actuellement à l’œuvre pour résoudre les problèmes de précarité étudiante, la baisse du taux d’encadrement et les difficultés liées à l’administration des différents établissements d’enseignement supérieur.

Le manque de financement reste la principale cause de tensions dans le secteur. Tant les membres du personnel que les étudiantes et étudiants souffrent des conséquences du manque de moyens. Une réforme globale du système est nécessaire pour garantir des conditions de travail et d’étude décentes.

Même s’il ne s’agit pas encore d’une solution durable, le report d’un an de la mise en application du décret permet cependant aux étudiants d’appréhender plus sereinement leur session d’examens, mais également aux syndicats de reprendre la main et d’être associés aux travaux concernant la prochaine réforme.


[1] Lambert, J. (2021). Ampleur et effets de la dégradation du financement de l’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Dynamiques régionales, 11, 11-29. https://www.cairn.info/revue–2021-2-page-11.htm.

[2] INDICATEURS DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR, Taux de réussite des étudiants inscrits en 1re bachelier en 2012-2013, site de l’ARES

[3] Paume J., Cauwe J., Enquête sur les ressources économiques des étudiants·es, Observatoire de la Vie Étudiante, Avril 2021

[4] Hutin C., Dubuisson M., Georges-Louis Bouchez (MR) : « Je ne le souhaite pas, mais oui, le décret Paysage vaut une chute de gouvernement », Le Soir, 3 avril 2024

Julien Scharpé

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