Lars Vande Keybus est l’un des experts économiques du service d’études de la FGTB. Cette carte blanche a été publiée en néerlandais dans De Tijd le 25 janvier dernier.
Une étude de la Banque nationale indiquait récemment que les entreprises belges auraient de plus en plus de mal à concurrencer les pays étrangers. Si l’on résume le propos : la marge bénéficiaire de l’entreprise belge “typique” stagne, voire diminue, en raison de l’augmentation rapide des coûts. Les syndicats ne devraient donc pas se plaindre. Mais il est intéressant de constater que les entreprises belges qui doivent effectivement concurrencer les pays étrangers sont largement ignorées dans cette étude.
Que montrent les chiffres?
Les chiffres macroéconomiques globaux de la Banque nationale montrent depuis longtemps que la rentabilité des entreprises belges est historiquement élevée. Cela constitue un argument important pour les syndicats dans leur défense de l’indexation, et leur demande de réforme de la loi sur la compétitivité (loi de 96). Les chiffres sur les marges font grincer des dents les organisations patronales depuis des mois. L’étude publiée lundi par la Banque nationale semble, elle, nuancer l’histoire macroéconomique et donner raison au patronat.
La question de recherche de l’étude est réelle : quelle est la situation d’une entreprise belge typique?
Les chercheurs prennent ici la médiane comme point de référence et ne prennent pas en compte les 1 % d’entreprises les plus performantes, car « cela fausserait le tableau ».
Déconcertant : ce 1 % représente plus de la moitié de la valeur ajoutée de l’économie belge.
Conclusion : plus de la moitié de l’économie belge est laissée de côté dans les résultats.
Qui sont les 1%?
Car l’image que l’on se fait est erronée. Quand on évoque ces fameux 1%, on a l’impression qu’il ne s’agirait que de quelques cas “super performants”. Les AB InBev et les Solvay de ce monde. Ce n’est pas le cas. On parle ici de 1 700 entreprises, comptant chacune plus de 250 employés. 1700 entreprises qui restent sous-exposées dans l’étude. Elles représentent près d’un million de travailleurs, soit un tiers des personnes employées dans le secteur privé. Mais plus important encore, ce sont précisément ces entreprises qui constituent l’épine dorsale de la machine à exporter belge. Et donc de la compétitivité.
« Quand on évoque ces fameux 1%, on a l’impression qu’il ne s’agirait que de quelques cas “super performants”. Les AB InBev et les Solvay de ce monde. Ce n’est pas le cas. On parle ici de 1 700 entreprises, comptant chacune plus de 250 employés. Près d’un million de travailleurs. »
— Lars Vande Keybus, expert économique du service d’études de la FGTB
C’est là que l’étude fait grincer des dents. La formation des salaires en Belgique a été freinée sous couvert de compétitivité. Pour concurrencer les pays étrangers, nous dit-on, les coûts des entreprises nationales orientées vers l’exportation ne doivent pas devenir incontrôlables. Dans le cas contraire, cela risque de peser sur les marges bénéficiaires de ces entreprises, qui pourraient délocaliser leur production.
Or, il s’avère que les entreprises pour lesquelles la loi sur la compétitivité a été écrite, les fameux 1 %, obtiennent tout simplement des résultats exceptionnels en termes de rentabilité. Et ce, alors que les salaires des travailleurs de ces entreprises n’augmentent pas au même rythme que leur productivité.
En d’autres termes, l’étude montre le contraire de ce qu’elle vise : les entreprises belges qui sont en concurrence avec les pays étrangers n’ont pas de problèmes de compétitivité. Les entreprises exportatrices réalisent des marges bénéficiaires exceptionnellement élevées.
Et les autres ?
Et qu’en est-il du reste de l’économie ? En Belgique, il existe environ 190 000 entreprises qui occupent du personnel, mais un petit nombre d’entre elles sont suffisamment importantes pour se lancer également sur le marché de l’exportation. Environ 4 % d’entre elles, soit 7 400 entreprises, emploient plus de 50 travailleurs.
Ainsi, une étude qui prend la médiane comme référence pour évaluer la marge bénéficiaire – et donc la compétitivité de l’économie belge – ignore précisément les entreprises qu’elle veut mettre sous la loupe. Les entreprises que l’étude prend comme référence ne sont pas celles qui exportent. Elles ont donc tout intérêt à voir la population maintenir son pouvoir d’achat, grâce à l’indexation et un salaire revalorisé.