Ils s’appellent Seb, Yohann, Cheik Omar, Saïd, Abou, Kévi… Certains vivent au coeur du « Refuge », le centre Fedasil de Mouscron. Certains y travaillent. D’autres sont des voisins ou amis. Ils s’appellent Senjour, Miguel, Abdul, Patrice, Mylène, Tara, Léa… Certains ont vécu à Mouscron toute leur vie, d’autres sont arrivés de très loin dans des conditions tragiques, pour y trouver l’asile. Ils parlent des langues différentes, viennent de contrées diverses. Mais tous les jeudis, ils se réunissent devant l’église du Tuquet pour… courir ensemble.
« Courir ensemble », c’est d’ailleurs le nom de l’initiative lancée par l’équipe d’encadrement du centre. Le but: établir un lien entre les résidents du centre et les riverains. Et ça marche. Nous les avons accompagnés pour nous en rendre compte. Le petit groupe s’élance dès 16h30 pour 5, 7 km ou plus encore dans les rues du quartier. L’un donne la cadence, les autres suivent à bon rythme. Au fil des rues, l’on croise de nombreux voisins. La convivialité est de mise. On se salue, on se reconnaît. Des jeunes encouragent les coureurs. Ici, les clichés négatifs ne font pas le poids.
L’un des moteurs de l’initiative, Yohann Miessen, responsable de la communication, nous en parle. « C’est un projet qui a été lancé par un bénévole il y a quelques années déjà. Pendant la période Covid, on ne pouvait rien faire d’autre que du sport à l’extérieur. Et la course à pied est un sport mixte, qui demande peu de matériel, pas de budget, et qui est accessible, physiquement aussi, à beaucoup de monde. Mais c’est aussi et surtout un moyen de mettre en contact les résidents, les travailleurs du centre et les personnes de l’extérieur. »
Trail urbain
Les entraînements du jeudi ont aussi un objectif sportif : celui de participer à l’Hurluban Trail, une course en ville de dix kilomètres, organisée par la police locale. L’équipe « Fedasil » y trouve une belle occasion de marquer les esprits, positivement. « La première année, notre participation a été très remarquée, parce que quelqu’un de chez nous a très bien couru. Mais surtout, on participe à la bonne ambiance et on court avec les maillots du Stade mouscronnois, le club de football local avec qui nous avons de très bonnes relations. C’est quand même un joli symbole pour beaucoup de nos résidents. »
L’année suivante, la police contactait alors directement le centre Fedasil pour faire passer le trail dans le jardin de l’infrastructure. « Ce qu’on a accepté directement. Parce qu’on adore la course, mais aussi parce qu’on veut attirer le plus de monde possible, pour faire découvrir notre centre et faire tomber un peu tous les préjugés qui existent sur les personnes qui y vivent. On avait mis les petits plats dans les grands, avec un ravitaillement, un concert, des encouragements de la part des enfants… Des gens nous ont dit qu’on avait été le meilleur point de passage de la course ! »
Nous voulons mettre les résidents en valeur et permettre aux gens de l’extérieur de passer un bon moment chez nous. De voir qu’on a beaucoup d’amour et de richesse à offrir.
Yohan Miessen
Un quartier qui héberge le plus grand centre d’accueil du pays
Car tout n’a pas toujours été facile. Voilà 5 ans que Fedasil a repris la gestion du plus grand centre d’accueil en Belgique pour les demandeurs de protection internationale. Au maximum de sa capacité, 900 personnes vivent au sein de l’ancien hôpital au nom prédestiné, le « Refuge ». Le lieu est historique. De très nombreux Mouscronnois y sont nés, y ont été soignés pendant des décennies. Aujourd’hui, des centaines de familles y cherchent un tremplin vers une nouvelle vie. Les oppositions à la venue du centre Fedasil ont par contre été nombreuses. Le très populaire quartier du Tuquet a vu son visage changer avec la fermeture, d’abord, de l’hôpital en 2010, puis l’installation du premier centre d’accueil, géré de 2015 à 2016 par l’entreprise Bridgestock. En 2019, Fedasil rouvre le centre, cette fois à pleine capacité. La semaine dernière, l’équipe en place célébrait les cinq ans du projet, avec grand succès d’ailleurs.
Un confinement difficile
L’ancien Refuge ne ment pas: il est ce qu’il est, un hôpital « à l’ancienne ». Certaines ailes ont été rénovées plus récemment que d’autres. Les chambres sont exiguës, les espaces privatifs rares. Des fresques et dessins d’enfants viennent aujourd’hui égayer les lieux. 900 personnes d’origines, de cultures et de langues variées y vivent aujourd’hui, parmi les habitants du Tuquet. Elles fréquentent les plaines de jeux, les infrastructures sportives, les écoles et le parc communal tout proche. Parmi elles, de nombreux mineurs non accompagnés. Oui, des altercations peuvent survenir, des débordements aussi. De tristes faits divers ont pu, à quelques occasions, se produire. Avec à la clé, la grogne des riverains, ou les attaques de l’extrême droite. Yohann, lui, a rejoint l’équipe il y a quatre ans. Son but : apaiser les relations, et créer des amitiés. « Je suis arrivé en plein confinement. Une période très difficile parce que nos résidents étaient enfermés dans un centre de 900 places. Ils partagent leur chambre avec 5, 6 voire 7 personnes, qu’ils ne connaissent pas forcément bien. Donc déjà en temps normal, en temps de « liberté », ce n’est pas toujours simple, mais en temps de confinement, c’est très, très compliqué. J’ai le sentiment que cette période a marqué un contrecoup dans nos relations avec les voisins, et a même un peu empiré la situation. Mais depuis, ça va mieux. Le déconfinement nous a permis de sortir du centre et de montrer ce qu’on fait, qui on est. »
Trois événements par semaine
Et les chiffres sont impressionnants. « En 2023 seulement, on a mis en place ou pris part à 88 projets différents de nature sociale, culturelle ou sportive. J’entends par là des rencontres avec différents publics, par exemple des jeux de société, du sport… Il s’agit de 88 projets différents, dont certains se sont répétés 10 à 15 fois tout au long de l’année. Donc, on peut dire qu’en moyenne, il y a 3 événements par semaine où nos résidents rencontrent des personnes extérieures, voire plus. »
Et des amitiés se créent. Entre voisins et résidents, entre jeunes… Tout n’est pas parfait, mais les choses s’améliorent. « Sur deux ans, à force de multiplier les projets, les journées portes ouvertes, les sensibilisations, les choses deviennent plus fluides. Il y aura encore des nuisances sonores, il y aura encore parfois une impolitesse, des personnes qui, oui, boivent un verre devant le centre parce qu’ils ne peuvent pas le faire à l’intérieur. Mais nous sommes devenus un acteur « normal », voire attractif de la vie locale. »
Au coeur de la lutte
Acteur culturel, social, sportif, le petit monde du « Refuge » multiplie les collaborations avec des associations, des clubs de sport, des écoles. Et est, par ailleurs, de tous les combats. Depuis cette année, l’équipe et les résidents ont activement rejoint la Coalition 8 mai Mouscron, où ils proposent réflexions, ateliers de sensibilisation et prestations artistiques. Une présence essentielle, sachant que l’extrême droite s’est particulièrement attachée à nuire à la réputation de la structure et des personnes qui y vivent. Depuis quelques mois toutefois, ces attaques perdent en intensité. « Je pense qu’on a réalisé un travail efficace, via tous ces projets, ces rencontres. Cela a permis de casser beaucoup de barrières, de préjugés – alors peut-être pas chez les personnes qui figurent dans ces partis d’extrême droite ou qui propagent des propos nauséabonds sur Internet – mais en tout cas chez des gens qui n’étaient pas forcément proches de nous auparavant. Il faut savoir que l’on organise des sessions de sensibilisations partout. Une centaine par an. Dans les écoles secondaires et supérieures, auprès de travailleurs sociaux, d’agents communaux, de gardiens de la paix, de policiers, etc. »
« Nous sommes mécanisés, manquant d’humanité
Nous sommes inhumains à force d’intelligence
Nous sommes cultivés mais manquons de gentillesse
Nous sommes riches, mais manquant de tendresse »
Ousmane
Extrait du texte d’Ousmane, jeune slameur et résident du centre, sur la scène de la Coalition 8 mai.
Le but ? Contrer les fake news et parler des réalités du parcours d’un demandeur d’asile. « Nous essayons de démonter toutes les fausses informations qui circulent à propos de notre centre. Car on a rencontré des gens qui pensaient que nos résidents touchaient des indemnités du CPAS, qu’ils avaient des chambres privées, qu’ils vivaient dans un quasi luxe…. Nous, on montre la réalité d’un centre d’accueil et des gens qui y vivent. Une idée reçue persistante, c’est que nos résidents viennent en Belgique pour améliorer leur situation économique, alors que dans l’écrasante majorité des cas, d’un point de vue financier, leur qualité de vie diminue par rapport à leur vie dans leur pays d’origine… C’est la sécurité qu’ils viennent chercher ici. »
Pour en savoir plus sur le centre et ses activités: https://www.facebook.com/FedasilMouscron