L’image est forte. Des chauffeurs routiers burkinabè interceptent des enfants victimes de traite des êtres humains, lors de leurs déplacements vers la Côte d’Ivoire. Et les empêchent ainsi d’être emmenés – et réduits à l’esclavage – dans les champs de cacao.
Combattre le problème à la source. C’est précisément ce que font les camarades de l’Union nationale des Chauffeurs Routiers du Burkina (UCRB), avec le soutien de la FGTB Horval et de l’ONG Solsoc. Nous avons rencontré Brahima Rabo (à droite sur la photo), Président de l’UCRB, et Madi Sawadogo (à gauche), Président d’ATY, une association qui scolarise et forme ces enfants victimes de trafic. Un projet « propre », comme disent les burkinabè, et porteur d’espoir.
Un cacao au goût amer
La Côté d’Ivoire est le premier pays producteur de cacao, à hauteur de 40% de la production mondiale. Il approvisionne notamment des multinationales qui transforment le cacao dans notre pays, comme Barry Callebaut ou Cargill.
Dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest, le cacao représente 14% du PIB national. Mais il est entaché par plusieurs tristes phénomènes : la déforestation, l’esclavage, l’usage de glyphosate et enfin, le travail des enfants. Ces derniers constituent en effet une main d’œuvre bon marché pour les cacaoculteurs à qui les fèves sont achetées à un prix dérisoire par les multinationales. Selon une enquête de l’Université de Chicago, près de 800 000 enfants travaillaient dans les plantations de cacao en 2019. Et ce, malgré que le travail des enfants soit interdit. Le phénomène s’est accentué avec la crise sanitaire.
Un travail dangereux et gratuit
Dans les plantations, les enfants effectuent des travaux lourds et dangereux, sans aucune protection. Ils décrochent les cabosses des cacaotiers et utilisent des machettes pour les briser. Ils parcourent de longues distances en transportant les lourdes cabosses récoltées. Enfin, ils font usage de produits phytosanitaires, comme le glyphosate, qui constituent un danger pour leur santé.
Malgré les risques qu’ils courent, et les promesses qui leur avaient été faites, les enfants travaillent gratuitement, pendant plusieurs années, contre de la nourriture. Dans le meilleur des cas, ils ne seront payés que plusieurs années plus tard, par l’octroi d’une petite parcelle. Ils deviendront alors eux-mêmes cacaoculteurs et utiliseront ironiquement à leur tour des enfants dans les champs. Un vrai cycle infernal.
A la racine du problème
La majorité des enfants qui travaillent dans le cacao en Côte d’Ivoire viennent de pays voisins, principalement du Burkina Faso. Les trafiquants s’adressent directement à des familles pauvres, qui acceptent de se séparer de leurs enfants sans véritablement connaître les risques que ces derniers courent. Les enfants sont alors acheminés vers la Côte d’Ivoire.
C’est là qu’intervient l’UCRB, partenaire de la FGTB Horval. Le syndicat burkinabè des chauffeurs routiers – qui compte plus de 28.000 membres – a développé un projet pour mettre fin à ce fléau. Comment cela fonctionne-t-il ? Les chauffeurs de camions et de bus qui parcourent le Burkina sont formés pour reconnaître des situations de trafic des enfants. Le cas échéant, ils contactent immédiatement les services et autorités compétents. « En 2019, nous avons démantelé un réseau qui déplaçait une soixantaine d’enfants de moins de 15 ans », nous explique fièrement Brahima Rabo. « Le trafiquant en question a été traduit en justice. Il a écopé d’une condamnation de 14 ans. » L’impunité faisant partie des problèmes principaux qui empêchent d’éradiquer le phénomène, le Président de l’UCRB est confiant. « Cette condamnation est un bon début et pourra servir d’exemple. La gendarmerie s’est engagée à démanteler l’entièreté du réseau. Une enquête sera ouverte », précise-t-il.
« La place des enfants est à l’école, et pas dans les champs »
— Brahima Rabo, Président de l’UCRB
Une fois interceptés, les enfants sont logés et nourris dans des structures prévues à cet effet. « En premier lieu, nous privilégions le retour à la famille. Si cela n’est pas possible, les plus jeunes seront pris en charge par l’action sociale burkinabè et scolarisés. La place des enfants est à l’école, et pas dans les champs. » s’indigne-t-il.
La formation des jeunes
Mais le projet ne s’arrête pas là. Un nouveau partenariat est entamé avec l’association Tind Yalgré (Espoir de grandir en burkinabè) qui forme professionnellement les plus âgés. « Plusieurs formations sont possibles : boulangerie, coiffure, mécanique…» nous explique Madi Sawadogo, président d’ATY. « Beaucoup de jeunes que nous avons formés sont au bout de 2-3 ans devenus entrepreneurs » précise-t-il. Parallèlement à leur formation, les jeunes reçoivent une formation en gestion pour apprendre à gérer leur argent, créer un compte en banque, etc. Ils reçoivent aussi de l’argent de poche, que la majorité envoie à sa famille. Enfin, ils sont inscrits à une mutuelle de santé.
« Beaucoup de jeunes que nous avons formés sont au bout de 2-3 ans devenus entrepreneurs. »
— Madi Sawadogo, Président d’ATY
Quand on demande à Madi de nous raconter un cas concret, une histoire d’un jeune qui l’a touché particulièrement, il est ému. « Ce projet avec les enfants, ça touche mon cœur », avoue-t-il. Il choisit alors de nous raconter l’histoire de Kabre – qu’il appelle par son nom de famille, comme l’on fait souvent au Burkina. Kabre était orphelin quand il a intégré le projet, à 17 ans. Il était l’aîné d’une grande fratrie de dix, dont il devait s’occuper. « Nous l’avons formé en boulangerie et nous avons scolarisé ses frères et sœurs. Il a ouvert un café grâce auquel il peut nourrir sa famille. Aujourd’hui il forme à son tour d’autres jeunes du projet. » Et la boucle est bouclée.
La solidarité internationale
« Tout ça ne serait pas possible sans la solidarité internationale » expliquent unanimement les deux présidents burkinabè. « Les partenariats qui ont été développé avec la FGTB Horval et l’ONG Solsoc permettent la création d’articulations entre les différentes organisations au Burkina. Mais également un partage de connaissances et un soutien financier et politique » explique Rabo. En effet, Horval plaide par exemple auprès d’institutions européennes et internationales pour un prix décent payé par les multinationales pour le cacao. Cela permettrait aux planteurs de mieux s’en sortir et de ne pas recourir à la main d’œuvre bon marché que constituent les enfants. Plusieurs missions ont également été organisés, où des délégués FGTB ont visité des usines de leur entreprise dans d’autres pays, afin de pouvoir y comparer les conditions de travail.
Des villages du Burkina Faso où des enfants sont retirés à leurs familles… à la praline de chocolat consommée en Belgique. Ce projet rappelle que la lutte des travailleurs est internationale. Il n’y a qu’ensemble que nous pouvons combattre les ravages du capitalisme et les dérives des multinationales. Il n’y a qu’ensemble que nous pouvons assurer un monde meilleur pour nos enfants. Ici et ailleurs. Au sens figuré, comme au sens… propre.