Utexbel: ouvrir les portes de l’usine

Utexbel: ouvrir les portes de l’usine

L’entreprise Utexbel ouvrait les portes de son site mouscronnois au grand public pour la première fois, mi-octobre. Une occasion unique de découvrir les coulisses d’un fleuron textile, le dernier du genre en Belgique, l’un des rares en Europe. Utexbel, filature « à l’ancienne » en apparence, est définitivement tournée vers l’avenir.

Les portes ouvertes chez Utexbel, c’est un événement. Une première, aussi. La filature a ouvert ses portes en 1929. L’âge d’or, elle l’a connu. Les années noires, aussi. Aujourd’hui, il reste un peu plus d’une centaine de travailleurs et travailleuses sur le site de Mouscron. Qui aujourd’hui vont « montrer » leur travail et leurs outils à un public de non-initiés. Et la sauce prend ! En une journée, plus de quatre cents personnes viendront profiter de la visite guidée. Syndicats Magazine est sur place, dans le cadre du projet « Le textile au fil des femmes », une exposition qui relate les tranches de vie des textiliennes de la région. Et profite, dès lors, de la visite. Reportage.

Rien ne se perd

L’entreprise est installée rue de Bilemont, à Mouscron. Presque en centre-ville, à deux pas du parc communal. Ici, pas de bâtiment neufs. On est loin des usines modernes qui ont poussé dans le zoning un peu plus loin. Ici, on voit la brique, rouge, reconnaissable. L’usine est fière, debout. Ses travailleurs aussi. Aux portes, plusieurs chats accueillent le visiteur. Ils vivent ici. Ils ont investi les anciens locaux, ceux où on stocke des vieilles machines et des pièces « au cas où ». Car ici, le maître mot, c’est le recyclage. Rien ne se perd. Ni les matériaux, ni la technique, ni le savoir-faire.

Nous rencontrons Joao et Céline. Tous les deux travaillent ici. D’habitude, Joao est délégué principal FGTB-Centrale Générale. Mais aujourd’hui, il est guide. Il présente, département après département, machine après machine, la transformation du fil. « Où est-ce que t’es allé mettre tes mains ? » demande Céline devant les mains noires de son collègue. « Bah j’ai montré les machines aux gens, vraiment bien expliqué. Faut mettre les mains dans le cambouis. On a du monde, c’est une déferlante, tant mieux ! Tout est bien structuré, les gens sont impressionnés ! Les dernières machines, là, ça claque ! »


Fier, Joao. « C’est quand même agréable de montrer son savoir-faire, d’avoir plaisir à le faire. J’ai essayé d’expliquer à fond. Dans chaque groupe, les gens posent des questions, et ça c’est bien. Comme il n’y a plus de filatures, les gens sont curieux, veulent comprendre les process. Comment d’une mèche si fragile, on aboutit à un fil si solide ? C’est simple en fait. Mais il faut comprendre.» Céline confirme : « C’est incroyable car on a fait très peu de publicité. Mais les gens sont tellement intéressés, posent tellement de questions ! Les visites durent plus d’une heure, et parfois, ça bouchonne entre les groupes ! En plus, j’avais peur que les gens trouvent le tout un peu « vieillot », mais pas du tout! Ça leur plaît!»


Travailler dans la poussière, le bruit

« Mais malheureusement, on ressent moins d’intérêt chez les jeunes », poursuit Joao. « On peut le comprendre… Moi j’ai commencé vers 1979-80. Le textile c’était quelque chose d’énorme. Aujourd’hui, que reste-t-il ? Presque rien, presque plus de formation, non plus. En plus, il faut travailler dans la poussière, dans le bruit. Beaucoup de jeunes pensent que ces métiers, ce n’est pas pour eux. Il faut vraiment les accompagner. Ne pas mettre le jeune seul à une machine dès le début, mais lui apprendre progressivement, le motiver pour qu’il s’accroche. Je crois en ça. C’est comme à l’école ou à la maison. Il faut enseigner l’ordre, le rangement à un enfant, sinon il ne fait rien. Ici c’est pareil. Tout s’apprend. »

« Bien sûr que j’aimerais faire toute ma carrière ici ! Qui ne le voudrait pas ? »

Céline

« Sans regret »

Céline, elle, a toujours travaillé chez Utexbel. Elle entre à 18 ans, suivant les pas de sa maman. « J’ai aimé ce métier tout de suite. Quelle déception pour ma maman, qui ne voulait pas que je reste ! Au final ça a bien tourné, c’est sans regret ! » Elle commence au continu à filer. Elle apprendra tous les métiers, puis deviendra responsable de planning. 20 ans plus tard, elle aussi est fière du chemin parcouru, et de l’entreprise. « C’est un lieu hautement symbolique. Bien sûr qu’il faut être fier de travailler ici. Je le suis. Les personnes plus âgées aussi ! Les jeunes travailleurs… je pense un peu moins. Je pense que la société a changé et que la jeunesse va prioriser autre chose, des valeurs plus individualistes. Il y a une solidarité qui est perdue, quelque part. »

Mais des jeunes qui sortent du lot, il y en a pourtant. Pour Céline, il n’est peut-être pas simple de faire son trou dans un milieu où les « anciens », ceux qui connaissent le métier sur le bout des doigts, sont toujours en poste. « Selon moi on est dans une période de transition entre les anciens du textile et les nouveaux. Ça ne colle pas forcément entre les générations. Mais il se peut que le temps fasse son œuvre, que les jeunes trouvent leur place, et qu’on soit surpris en bien. »

L’avenir ? Le recyclage

Surtout que l’entreprise veille particulièrement à se tourner vers le futur. Ici, on fabrique du fil technique, antifeu, à destination des métiers de la Défense et de la sécurité. Plusieurs corps d’armée font appel à l’entreprise pour leurs équipements. La police, les pompiers également. Une « niche » qui demande un savoir faire tout particulier. Olivier Dutordoir, directeur du site mouscronnois, nous en parle. « Ici on prouve qu’il y a de la place pour le textile en Belgique, en Europe. Avec les bons choix d’investissements et de produits, on peut exister et se développer. »

L’un de ces choix, c’est le recyclage, la circularité. Ici, on refait du neuf avec du vieux, au lieu de jeter. D’anciennes tenues de pompiers sont par exemple recyclées pour former un nouveau fil, qui donnera naissance à des chaussettes de sécurité antifeu ! « Le textile européen pourra se redéployer si le volet recyclage est correctement appréhendé, et soutenu politiquement », poursuit Olivier Dutordoir, « Beaucoup de tissu rentre en Europe en bafouant toutes les règles. Il faut renforcer les normes pour que l’industrie européenne ne subisse plus ce désavantage économique. Le recyclage, ça existe, c’est porteur, mais il faut renforcer la réglementation pour que ça marche. »

Par ces portes ouvertes, la direction d’Utexbel espérait amener un nouveau public dans ses locaux. Pari réussi. On lui laissera le mot de la fin. « Le textile, c’est quoi ? Nous, on investit dans des machines, on fait de bons réglages, on trouve de bonnes fibres. Mais le travail, la qualité, ce sont les opérateurs qui les font. »

Aurélie Vandecasteele
Rédactrice en chef, Syndicats Magazine, FGTB | Plus de publications

2 réactions sur “Utexbel: ouvrir les portes de l’usine

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Lire aussi x

Syndicats Magazine

GRATUIT
VOIR