C’est une première en Belgique. Durant la nuit du 20 octobre, la centrale des transports de la FGTB a signé un accord historique avec le géant Uber. Les livreurs et chauffeurs de la multinationale auront désormais l’opportunité d’être représentés s’ils le souhaitent. Nous avons interviewé Frank Moreels, Président de l’UBT, à ce sujet.
En quoi consiste l’accord entre l’UBT et Uber ?
Frank Moreels : La base de cet accord, c’est que la multinationale nous reconnaît comme organisation syndicale qui représente les chauffeurs et coursiers qui travaillent pour elle. Cela veut dire que Uber accepte le dialogue social. En nous laissant opérer à l’intérieur de la société, intervenir en cas de litige entre Uber et des chauffeurs individuels,… En bref, nous pouvons représenter les chauffeurs et défendre leurs droits. Il s’agit de 2500 chauffeurs et 3000 coursiers en Belgique travaillant pour Uber, c’est un nombre considérable, et nous savons qu’il existe là un besoin de protection syndicale.
Il s’agit d’un accord historique. Pourquoi ?
Parce qu’un tel accord est une première en Belgique. C’est aussi un accord qui sort des sentiers battus. Dans le passé nous avons eu des combats assez virulents avec Uber. Sous le régime de Kalanick, l’ancien CEO d’Uber, la société ne voulait rien savoir du dialogue social avec les syndicats. Nous étions considérés comme des ennemis. Cela à changé sous la direction de Dara Khosrowshahi. Ils ne suivent plus le chemin du conflit, mais sont à la recherche du dialogue social.
Mais soyons clair, nous ne sommes pas mariés à Uber. C’est un accord comme nous en concluons des centaines avec des employeurs dans le secteur du transport et de la logistique. Conclure un accord ne veut pas dire que nous n’avons pas des intérêts contradictoires, ou que nous sommes d’accord sur tout. Nous restons convaincus que les chauffeurs qui travaillent pour Uber sont des salariés. Et nous allons continuer à nous battre bec et ongles pour qu’ils obtiennent ce statut. Ainsi que pour une directive Européenne qui protège tous les travailleurs de plateformes.
« Nous restons convaincus que les chauffeurs qui travaillent pour Uber sont des salariés. Et nous allons continuer à nous battre bec et ongles pour qu’ils obtiennent ce statut. »
— Frank Moreels, Président de l’UBT
Comment avez-vous fait pour conclure cet accord ?
La Fédération Internationale des Ouvriers du Transport (ITF), dont nous sommes membres, a négocié un Mémorandum avec Uber mi-février 2022. Cet accord a ouvert la porte de la négociation. Les syndicats brittaniques (GMB) et australiens (TWU) ont été les premiers à discuter avec Uber et à conclure des accords. En ouvrant le dialogue social dans différents pays, Uber a demontré qu’elle était prête à s’engager. Donc nous avons pris le pari.
Après des négociations parfois tenaces, nous sommes arrivés à conclure un accord acceptable. Est-ce que c’est un accord idéal ? Non, c’est un compromis, comme tout accord. Mais c’est un bon compromis. Nous aurons maintenant l’opportunité de vérifier si Uber tiendra sa parole. Affaire à suivre !
Quelles sont les premières réactions sur cet accord?
Nous avons reçu beaucoup de félicitations et d’encouragements. Ces réactions positives mettent l’accent sur le courage qu’il a fallu pour nous engager dans cette aventure. Et c’est vrai que nous prenons un risque. Est-ce que Uber tiendra sa promesse d’améliorer le statut des ses chauffeurs et coursiers à travers le dialogue social ? Le futur va nous le démontrer.
Évidemment il y a aussi des réactions négatives. La réaction de GTL, l’organisation patronale des sociétés de taxi, m’a fait rire. Ils demandent que nous nous justifions en commission partiaire. Étonnant venant d’une organisation qui n’est pas intéressée par le dialogue social, qui refuse de signer des Conventions Collectives du Travail… en commission paritaire et dans les entreprises “régulières” de taxi. Avant de nous donner des leçons, il faut donner le bon exemple.
Enfin, le porte-parole de la section « United Freelancers » de la CSC, Martin Willems, dénonce apparemment le fait que nous signons un accord pour défendre les droits des travailleurs chez Uber. Mais si nous, en tant qu’organisation syndicale, ne le faisons pas, qui le fera ? Nous avons suivi l’exemple du syndicat new-yorkais qui a réuni les chauffeurs de taxi et de plateformes. Nous n’avons aucun intérêt à diviser les travailleurs.
Comment va-t-il concrètement changer les conditions de travail des livreurs et chauffeurs de Uber ?
Actuellement les coursiers et chauffeurs doivent se représenter eux-mêmes quand ils ont un litige avec leur employeur, Uber. Pour nous, Uber est clairement l’employeur… Cela n’est pas toujours évident. Le travailleur ne connaît pas toujours ses droits, et peut se sentir intimidé. L’assistance d’un représentant syndical est importante pour faire valoir ses droits.
Mais il y aussi des questions de sécurité et de conditions de travail qui pourront être discutées avec Uber. Nous sommes déterminés à jouer notre rôle afin de décrocher des avancées à ces niveaux. Plus de transparence au niveau du fonctionnement de l’algorithme est aussi l’un de nos points d’attention. Beaucoup de pain sur la planche donc. Raison de plus pour nous d’avoir signé cet accord. Il faut que les droits du personnel d’Uber soient améliorés.
Est-ce que d’autres accords, avec d’autres plateformes, sont envisageables pour l’avenir ?
Uber s’est engagé à entreprendre des démarches – ensemble avec nous – vis-à-vis d’autres plateformes pour qu’ils ouvrent aussi le dialogue social. Mais l’accord en soi pourrait aussi montrer l’exemple à d’autres plateformes et ouvrir le dialogue social au lieu de camper, sur leurs positions.
Parallèlement, l’UBT va continuer à faire pression sur les instances officielles pour légiférer. Il est important qu’au niveau européen nous obtenions une directive qui reste proche de la proposition initiale de la commission, qui prévoit un statut convenable pour les travailleurs de plateforme. Pas question de diluer cette proposition dans un mauvais compromis. Et nous allons continuer à confronter les plateformes qui refusent de s’asseoir autour de la table avec les organisations syndicales. Cela n’est pas une menace, mais une promesse.